Comme toutes les bactéries, les streptocoques se « parlent », grâce à des systèmes de phéromones et de senseurs-récepteurs. La plupart ne maitrisent qu’une seule « langue ». Et s’il était possible de les rendre (au moins) bilingues ?
Lorsque des bactéries sont soumises à un stress, elles peuvent réagir de différentes manières. Elles peuvent s’échanger des gènes en capturant des fractions d’ADN extérieur et les recombiner à leur propre génome pour mieux survivre. Elles peuvent aussi entrer en concurrence et attaquer (prédation) les bactéries qui les entourent, y compris leurs « sœurs » de la même espèce.
« Le contrôle de la prédation nous intéresse particulièrement », explique le Pr Pascal Hols, Directeur de Recherche FNRS au LIBST de l’UCLouvain. « En effet, nous pourrions programmer certaines bactéries inoffensives pour l’être humain pour qu’elles attaquent les espèces pathogènes. Et manipuler leur système de communication ComRS[1] pourrait peut-être nous aider à y parvenir. »
Comment les bactéries se parlent-elles ?
Car, oui, les bactéries « se parlent » ! « Elles possèdent des systèmes de communication qui leur permettent d’échanger des informations et de coordonner une réponse commune à un stimulus donné », poursuit le Pr Hols. « Ces systèmes sont basés sur la production de phéromones et leur détection par des senseurs-récepteurs. La phéromone sort de la bactérie, s’accumule dans l’environnement, puis est captée par le senseur-récepteur de la même ou d’une autre bactérie. » Un peu comme un message radio (phéromone) émis et capté par des antennes (senseurs-récepteurs).
Bactéries unilingues et multilingues
A cet égard, on distingue deux cas de figure :
- Le senseur-récepteur de ce système est souvent strict. Il ne reconnait qu’un type de phéromone. La bactérie est alors unilingue et ne peut pas communiquer avec les bactéries qui ne parlent pas sa langue.
- Le senseur-récepteur de certaines bactéries peut être permissif. C’est-à-dire qu’il reconnait deux ou plusieurs phéromones émises par d’autres bactéries. Ce « multilinguisme » bactérien s’appelle le « cross-talk ».
Apprendre une nouvelle langue aux streptocoques
Que ce soit pour faire la guerre, des affaires ou de la diplomatie, maîtriser plusieurs langues est généralement un atout ! Et ce qui est valable pour les êtres humains est sans doute valable pour les bactéries. L’équipe du Pr Hols a donc voulu vérifier s’il était possible de rendre permissif un senseur-récepteur strict. Ou, pour reprendre la métaphore, apprendre une nouvelle langue à une bactérie. Pour ce faire, l’équipe du Pr Hols – et particulièrement Laura Ledesma-García – s’est associée avec l’équipe de la Pr Sylvie Nessler (Université de Paris-Sarclay). Première étape : étudier la structure du senseur-récepteur. « La phéromones y est logée dans une poche. En comparant la structure interne de la poche des senseurs-récepteurs de deux streptocoques différents, nous avons compris comment le senseur-récepteur capte et interagit avec la phéromone. »
Modifier la poche du senseur-récepteur
Deuxième étape : modifier la structure interne de la poche afin d’obliger le senseur-récepteur à reconnaitre d’autre(s) phéromone(s). Grâce aux techniques de mutagenèse dirigée, les chercheurs ont généré un senseur-récepteur modifié. « Nous avons ainsi ciblé quelques acides aminés dans la poche », explique le Pr Hols. « Ce faisant, nous avons élargi le spectre de reconnaissance vis-à-vis de plusieurs phéromones. Ce qui permet à la poche du senseur-récepteur de capter et reconnaitre non plus une, mais au moins deux phéromones différentes. » Des streptocoques naturellement unilingues sont donc devenus bilingues !
Quel effet sur la prédation des bactéries ?
Les résultats de cette expérience ont fait l’objet d’une publication[2] dans la prestigieuse revue PNAS. « Nous avons démontré qu’il est techniquement possible de modifier le système de communication ComRS des streptocoques », conclut le Pr Hols. « Maintenant, nous devons explorer les outils que nous avons générés. Et voir si nos manipulations modifient le comportement des streptocoques entre eux. Est-ce que cela change quelque chose à leur prédation ? Les bactéries que nous avons rendues bilingues ont elles un avantage sur les autres ? Si oui, lequel ? À terme, y aurait-il un intérêt thérapeutique à créer des couples inédits de phéromones/senseurs-récepteurs ? » L’avenir et des recherches supplémentaires nous le diront.
Les streptocoques
Les streptocoques (Streptococcus) sont des bactéries à Gram positif. Ce genre de bactéries regroupe un grand nombre d’espèces différentes. On les divise souvent en deux grandes catégories :
- Les espèces commensales composent une partie de notre flore intestinale, buccale, etc. Certaines sont même probiotiques. Exemple : S. salivarius.
- Les espèces pathogènes sont susceptibles de provoquer des infections chez l’être humain. Exemples : S. pyogenes (angines bactériennes, abcès, etc.), S. mutans (à l’origine des caries dentaires), S. pneumoniae (qui provoque notamment des pneumonies et des méningites bactériennes), etc.
Candice Leblanc
Coup d’œil sur la bio de Pascal Hols
Pascal Hols est Professeur et Directeur de Recherche FNRS à l’UCLouvain. Il est membre du groupe « Biochemistry and Genetics of Microorganisms » (BGM) du LIBST de l’UCLouvain. Il est titulaire d’un Master en Biologie-Biotechnologie obtenu en 1987 à l’UNamur, et d’un Master en Biologie moléculaire et d’un Doctorat en Sciences, obtenus respectivement en 1991 et 1994 à l’UCLouvain. Ses recherches portent principalement sur la biologie moléculaire des bactéries acides lactiques.
Coup d’œil sur la bio de Laura Ledesma-García
Laura Ledesma-García est chercheuse post-doc au laboratoire BGM de l’UCLouvain depuis 2015. Elle est titulaire d’un Master et d’un Doctorat en Biotechnologie, obtenus respectivement en 2007 et 2012 à l’Université Pablo de Olavide de Séville (Espagne).
[1]ComR et ComS sont respectivement le régulateur et la phéromone qui forment le système de communication ComRS.
[2]L. Ledesma-García et al., « Molecular dissection of pheromone selectivity in the competence signaling system ComRS of streptococci » in PNAS, 20 mars 2020.