L’équipe d’Olivier Feron a découvert que la molécule synthétisée pour empêcher l’absorption de lactate et de glucose par les cellules tumorales, limite aussi l'utilisation d'oxygène par ces cellules. L'oxygène non-consommé entraîne alors une ré-oxygénation des tumeurs, les rendant ainsi plus vulnérables à la radiothérapie !
On sait aujourd'hui que dès qu'il est question de trouver de l'énergie pour croître, les cellules tumorales font tout pour parvenir à leurs fins ! Le Professeur Olivier Feron, chercheur à l’Institut de recherche expérimentale et clinique de l’UCL, et son équipe, ont pour objectif d’inhiber les mécanismes métaboliques qui permettent aux tumeurs de grandir. Mais en recherche, une découverte en amène souvent une autre ! Les chercheurs de l’UCL ont observé que la molécule synthétisée par leurs soins pour bloquer l’accès des cellules cancéreuses aux sources d’énergie provoquant la croissance tumorale limitait aussi la consommation d’oxygène dans ces cellules, augmentant par conséquent l’efficacité de la radiothérapie. L’ensemble de leurs découvertes sont publiées dans la revue Nature Communications ce 23 mars 2018.
Le Professeur Olivier Feron et son équipe avaient déjà montré qu'à côté du glucose, les cellules cancéreuses pouvaient trouver de l’énergie en recyclant certains déchets métaboliques qui seraient produits soit ailleurs dans la tumeur, soit dans des organes sains puis véhiculés par le sang jusque dans la tumeur. Suivant cette observation, le Pr Feron et le Dr C. Corbet, chercheur postdoctoral FNRS, ont cherché à comprendre ce qui dans une tumeur détermine l'utilisation préférentielle du glucose ou de l'un de ces déchets métaboliques emblématiques, le lactate.
L'objectif derrière cette recherche ? Identifier une cible thérapeutique unique capable d'empêcher les cellules cancéreuses de s'adapter à l'un ou l'autre substrat, les chercheurs ayant montré que si l'on bloquait l'utilisation du glucose, les cellules cancéreuses pouvaient utiliser le lactate, et inversement. Les chercheurs ont aujourd’hui identifié cette cible thérapeutique, une protéine appelée MPC (mitochondrial pyruvate carrier) localisée dans la membrane des mitochondries. La protéine MPC transporte le pyruvate dans la mitochondrie, le pyruvate étant un dénominateur commun à l'oxydation du glucose et du lactate dans la cellule. Les mitochondries sont quant à elles des usines intracellulaires capables - entre autres - d'extraire l'énergie du pyruvate et de produire la matière première nécessaire à la croissance des cellules cancéreuses.
Concrètement, c’est en recherchant des composés capables de bloquer le métabolisme du lactate que les chercheurs ont mis à jour l’intérêt de cibler la protéine MPC. Avec l’aide du laboratoire du Professeur UCL Olivier Riant, une molécule capable d’empêcher le lactate d’être exploité comme substrat énergétique a été synthétisée. Elle a reçu le doux nom de 7ACC2. Une collaboration avec la plateforme de transfert technologique CD3 spécialisée dans le développement de candidats médicaments, a alors été entreprise pour optimiser cette nouvelle famille de composés thérapeutiques. C'est l'ensemble de ces résultats qui sont aujourd'hui publiés dans le journal Nature Communications.
Comme souvent en recherche, une découverte qui n'avait pas été anticipée est venue compléter ces travaux. Les chercheurs ont en effet observé que le composé 7ACC2, en bloquant l'utilisation du glucose et du lactate par les mitochondries des cellules cancéreuses, limitait très significativement l'utilisation d'oxygène par ces cellules. Et qui dit oxygène non consommé, dit ré-oxygénation tumorale.
Or, les radio-oncologues cherchent désespérément les moyens d'augmenter le taux d'oxygène dans les tumeurs avant d'irradier les patients car les effets des rayonnements sont alors fortement augmentés.
Les travaux de l'équipe du Pr Olivier Feron montrent que plutôt que de travailler sur l'apport en oxygène, il suffit d'empêcher l'oxygène d'être consommé par la tumeur pour augmenter indirectement sa disponibilité. Les résultats publiés ce jour montrent que dans ces conditions, l'augmentation de l'efficacité de la radiothérapie est sans appel dans différents modèles animaux.
Aujourd’hui, les chercheurs travaillent au positionnement de leur molécule comme un puissant inhibiteur du métabolisme tumoral mais aussi comme un radio-sensibilisateur, c-à-d une molécule capable de sensibiliser un cancer à l'action de la radiothérapie. Affaire à suivre, d'autant plus que d'autres inhibiteurs sont en développement sur base du mode d'action inattendu du 7ACC2. En effet, pour inhiber l'utilisation du lactate, ce composé favorise son accumulation à l'intérieur de la cellule cancéreuse, empêchant de nouvelles molécules de lactate de rentrer dans la cellule. On peut oser le parallèle avec un berger qui pour protéger son troupeau, laisserait entrer un loup sur ses pâturages sans toutefois le laisser s’approcher de ses moutons mais empêchant de facto d'autres loups de s'aventurer sur un territoire déjà marqué par un prédateur.
Contrôle 7ACC2
Culture en 3 dimensions de cellules cancéreuses mimant la formation d’une tumeur. En bleu, les noyaux des cellules tumorales. En vert, les régions hypoxiques (le composé 7ACC2 supprime l’hypoxie, et augmente ainsi l’efficacité de la radiothérapie)