La transition s'ancre dans le local

Julie Hermesse, docteure en anthropologie, membre du Laboratoire d’anthropologie prospective (LAAP) et du Louvain4Nutrition de l’UCLouvain, observe les transitions agroécologiques, à Bruxelles notamment. 

Dix maraîchers qui se lancent dans la relocalisation de la production alimentaire bruxelloise. Dix « NIMAculteurs », des néo-cultivateurs non issus du milieu agricole, qui ont opéré une reconversion dans le secteur. Une véritable aventure que Julie Hermesse a suivie pendant trois ans. En 2016, cette docteure en anthropologie, membre du Laboratoire d’anthropologie prospective (LAAP) de l’UCLouvain observe ces petits systèmes agricoles bruxellois avec la même curiosité que lors de ses précédents terrains d’étude. Après le Guatemala, Cuba ou les Philippines, c’est en Belgique que cette chercheuse s’est penchée sur les systèmes de résilience des petites productions agricoles.

« Cela devenait capital pour moi en tant que chercheuse d’être présente auprès de collectifs qui cherchent des solutions à ces pratiques agricoles en milieu urbain et péri-urbain, explique-t-elle. En regardant autour de moi, j’ai très vite trouvé des associations près d’Anderlecht qui mêlaient maraîchage et inclusion d’acteurs locaux souhaitant travailler la terre. »

Une étude sur et avec les acteurs de terrain

Comme dans le film-documentaire « Demain » réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, qui en a inspiré plus d’un, ils sont nombreux à avoir cherché à réinventer ce métier. Mais comment ces NIMAculteurs arrivent à rendre leur activité viable et, plus concrètement, comment soutenir efficacement l’installation de tels projets ? C’est en posant ces questions et en souhaitant y apporter des réponses que Julie Hermesse entame il y a trois ans un projet de recherche-action participative : Ultra Tree, financé par l’appel Co-Create de l’Institut bruxellois pour la recherche et l’innovation (Innoviris). Aujourd’hui, le résultat prend la forme d’un livre présentant une série de portraits et d’outils pour NIMAculteurs : Des maraîchers dans la ville, dix parcours d’installation en Région bruxelloise.

Concrètement, son regard a porté sur deux terrains d’expérimentation à Anderlecht : l’espace test agricole Graines de Paysans dont l’ambition est précisément de permettre aux agriculteurs récemment formés de se tester avant de s’installer et le Champ-à-Mailles dont l’originalité est de vouloir articuler l’ambition de produire des fruits et des légumes de qualité à celle de sensibiliser et de former le public bruxellois à l’alimentation durable.

« Nous avons travaillé au plus près des maraîchers, raconte la professeure. Relevant leurs heures de travail, ce qu’ils gagnaient, ce qu’ils ressentaient, ce qu’ils mettaient en place pour tenir le coup… Les aspirations se heurtent souvent à la réalité. C’est pour rendre compte des raisons pour lesquelles certains jettent l’éponge ou que d’autres tiennent encore aujourd’hui que nous avons mené cette recherche. »

Des outils concrets

Les conclusions de l’étude ont été publiées en novembre dernier, avec des outils concrets pour accompagner les maraîchers et leur permettre de s’auto-évaluer : « Nous avons créé un guide qui donne des clefs pour renforcer la viabilité des projets, explique Julie Hermesse. Fruit du travail de la recherche, ce B.A.-BA cible des questions très spécifiques telle que : comment réfléchir à la collaboration avec d’autres maraîchers ou comment associer des bénévoles au projet, par exemple. » Autre outil pensé : une boussole de la viabilité, qui permet de se positionner par rapport aux compromis à faire pour maintenir le projet sur la durée, d’évaluer les marges de manœuvres, les relais et les soutiens extérieurs possibles…

« La stratégie Good Food lancée en Région Bruxelles-Capitale table sur la production locale de 30% des fruits et légumes non transformés consommés par les Bruxellois en 2035, rappelle la chercheuse. Pour assurer cette ambition, il est urgent de réfléchir concrètement à la réalisation de la transition agroécologique en région urbaine et péri-urbaine. »

 

ECONOMIE CIRCULAIRE

Une fois le projet Ultra Tree terminé, Julie Hermesse a lancé d’autres projets de recherches dans le secteur de l’économie circulaire et en partenariat avec des collègues de l’ULB. Elle encadre une thèse de doctorat dans le cadre du projet CONECI qui vise à réfléchir à comment donner une seconde vie aux matériaux, l’idée étant d’étudier la circularité d’objets du quotidien comme l’électroménager et les vêtements, de travailler sur les rapports de quartier par rapport à ces usages. La recherche vient de commencer, la doctorante visitant les magasins de seconde main bruxellois.

A Molenbeek, le deuxième projet encadré par la chercheuse s’installe durablement dans le quartier. « Il y avait des problématiques liées au déchet de bois sur la voirie, explique-t-elle. En voulant développer des solutions contribuant à la qualité du vivre ensemble, nous avons, en collaboration avec une équipe de l’ULB, réfléchi à la manière de redonner vie à ce bois abandonné. » Résultat : en 2017, un atelier de menuiserie a été mis en place dans le quartier Heyvaert pour retravailler ce bois et redonner de la valeur à ces déchets. « Tout le monde peut y venir, sans avoir besoin de montrer ses papiers, c’est ouvert et gratuit », précise Julie Hermesse.

Également financé par Innoviris, ces deux projets se poursuivent activement sur le terrain.

Marie Dumas

Coup d’œil sur la bio de Julie Hermesse

Actuellement docteure en anthropologie à l’UClouvain, Julie Hermesse est d’abord passée par une licence en sociologie. Son parcours l’a conduite à réaliser une thèse intitulée « L’ouragan Stan : quand les glissements de terrain dévoilent des transformations environnementales et culturelles. Ethnographie d’une municipalité de l’altiplano mam du Guatemala ». Une expérience qui la conduit à poursuivre son parcours dans l’Agroécologie : elle est membre du Groupe de contact interdisciplinaire de recherche en agroécologie du FNRS et membre du Laboratoire d’anthropologie prospective (LAAP) de l’UCLouvain.

Publié le 11 avril 2019