Le rythme dans le cerveau !

 
Le Pr Sylvie Nozaradan a reçu un « ERC starting grant ». Ce prestigieux financement européen va l’aider à poursuivre ses recherches sur la perception et la production de rythmes par le cerveau. Portrait d’une chercheuse atypique qui a fait médecine et le Conservatoire… en même temps !       

En 2002, Sylvie Nozaradan étudie le piano au Conservatoire de Bruxelles. « Je me posais beaucoup de questions au sujet du cerveau et de son fonctionnement, questions suscitées par la perception et la performance musicales », raconte-t-elle. Ces questions l’intriguent tellement qu’elle entame, en parallèle, des études de médecine. Mener de front deux formations aussi longues(1), exigeantes et compétitives n’est pas de tout repos ! « Pourtant, les deux cursus m’ont semblé complémentaires. Le matin, je suivais les cours de médecine et l’après-midi, je répétais au Conservatoire. C’était inspirant et rafraichissant ! »  

Du Canada à l’Australie

En médecine, Sylvie Nozaradan s’intéresse à la neurophysiologie. « L’interface entre, d’une part, le cerveau et, d’autre part, la perception et la production de la musique, du langage ou encore des mouvements est l’une des questions les plus complexes de la biologie… et elle est encore irrésolue à ce jour. De plus, ce champ d’investigation couplait mes deux centres d’intérêt. » Mais à l’époque, il n’y a pas de recherches de ce type à l’UCLouvain. Une fois ses diplômes en poche, la jeune femme s’envole donc pour Montréal. Après un premier stage au Laboratoire international de Recherche sur le Cerveau, la Musique et le Son (BRAMS), elle réalise un doctorat en neurosciences cognitives, en cotutelle avec l’Institut de Neurosciences (IONS) de l’UCLouvain. Après le doctorat, la chercheuse poursuit ses travaux dans les deux institutions avant de s’envoler, en 2016, pour Sydney, où elle décroche un important financement de recherche.  

Comprendre le cerveau grâce à la musique

Depuis le départ, les travaux du Dr Nozaradan portent sur la perception du rythme — particulièrement les « beats » — et la synchronisation des neurones à ce rythme. Un rythme n’est pas qu’une question d’oreille et d’ouïe. « Le système auditif n’est que la porte d’entrée de l’information rythmique dans le cerveau », explique-t-elle. « La perception du beat sous-tend l’activation simultanée d’autres aires cérébrales. Le lobe frontal, par exemple, qui gère notamment les fonctions motrices. Ce qui nous fait hocher la tête, taper du pied et danser. C’est un mécanisme universel – on produit de la musique et on danse dans toutes les cultures. Mais il y a de grandes disparités entre les individus : certains ont “le rythme dans la peau”, alors que d’autres éprouvent de grandes difficultés à taper dans leurs mains à la bonne cadence. D’où viennent ces différences entre les individus ? Comment la synchronisation des neurones au rythme fonctionne-t-elle ? Quels facteurs l’influencent ? Est-elle modulée par l’entrainement ou une connaissance préalable de la musique ? » 

Pour explorer ces questions, le Dr Nozaradan utilise l’éléctroencéphalogramme. « Nous enregistrons l’activité électrique du cerveau pendant que le volontaire écoute un rythme, une musique ou marque le rythme avec sa main, par exemple. Nous utilisons cette activité cérébrale pour tenter de comprendre comment le cerveau traite l’information rythmique dans différentes circonstances. »

Un nouveau laboratoire de recherche

Le Conseil européen de la Recherche a été séduit par les recherches du Dr Nozaradan puisqu’il lui a octroyé un « ERC starting grant ». Ce qui va lui permettre de créer son propre laboratoire à l’UCLouvain et de recruter d’autres jeunes chercheurs. Ensemble, ils vont travailler sur différents angles de recherche :

  1. Comprendre l’origine des différences interindividuelles dans la perception du rythme en étudiant chez de nombreux volontaires la synchronisation des neurones et des mouvements à différents types de stimuli rythmiques (musicaux, visuels, etc.).
  2. Étudier la façon dont le cerveau des bébés se modèle et ce qui relève de l’inné et de l’acquis (grâce à l’entrainement, par exemple) dans la perception des rythmes.
  3. Enregistrer l’activité cérébrale de patients épileptiques déjà équipés d’électrodes intracérébrales. Une approche inédite qui promet de fournir des informations d’une grande précision !   
  4. Évaluer la façon dont le cerveau de patients « cérébrolésé » traite l’information rythmique. Objectif : déterminer dans quelle mesure il serait possible de réactiver les zones cérébrales lésées grâce à des informations rythmiques. 

Ce programme de recherche vise à comprendre comment le cerveau fonctionne – ce que nous ignorons encore largement ! Si certains le voient comme un superordinateur, le Dr Nozaradan ne partage pas cette vision. « De mon point de vue, il faut remettre le cerveau dans son contexte biologique. C’est un organe inséré dans un corps et un environnement, dont la structure et la fonction se modèlent au cours de l’évolution, du développement individuel et des expériences quotidiennes. Reste à découvrir comment… »  

Candice Leblanc

(1)    À l’époque, les études de piano au Conservatoire duraient six ans et la médecine sept ans. 

Coup d'oeil sur la bio de Sylvie Nozaradan

2005: Master en musique au Conservatoire royal de Bruxelles 
2009: Diplôme de médecine (orientation neurologie) à l’UCLouvain
2013: Doctorat en neurosciences à l’Institut de Neurosciences (IONS) de l’UCLouvain, en cotutelle avec le BRAMS, Université de Montréal (Canada)  
2013-2016: Chargée de recherche FNRS
2016-2018: Chercheuse au MARCS Institute for Brain, Behaviour and Development à la Western Sydney University (Australie), et lauréate du Discovery Early Career Researcher Award du Conseil australien de la recherche
Depuis 2018: Professeure assistante à l’IONS, UCLouvain

Publié le 03 octobre 2018