Les réovirus, des armes contre le cancer ?

Le Pr David Alsteens a reçu récemment deux prix scientifiques couronnant les recherches de son équipe sur les premières interactions entre un virus et une cellule. Des recherches qui pourraient un jour déboucher sur de nouveaux médicaments antiviraux… ou anticancéreux.

Contre les bactéries pathogènes, nous avons des antibiotiques. Contre les virus, nous avons les vaccins et quelques médicaments antiviraux. Et contre le cancer, nous pourrions bientôt avoir… des virus ! « Une infection virale signifie qu’un virus est parvenu à s’introduire dans une cellule (humaine) et de s’y dupliquer », rappelle le Pr David Alsteens, chercheur qualifié FNRS, à la tête du NanoBiophysics Lab de l’UCLouvain. « Or, nous savons que certains virus sont oncolytiques. C’est-à-dire qu’ils peuvent infecter des cellules cancéreuses et, le cas échéant, les détruire. C’est tout le paradoxe – et l’intérêt ! – des recherches sur les virus : nous cherchons à mieux les connaître pour pouvoir les neutraliser ou, au contraire, les utiliser comme outils thérapeutiques. »

L’AFM, au plus proche du réel

Pour ce faire, le Pr Alsteens et son équipe travaillent depuis plusieurs années avec des microscopes à force atomique (AFM). « Cette technologie fonctionne un peu comme un tourne-disque », explique le chercheur. « Sa pointe très fine balaye l’échantillon et mesure son relief, avec une précision proche du nanomètre (soit un milliardième de mètre). À une échelle aussi petite, il est possible d’étudier des structures unitaires : une cellule et un ou deux virions. »

L’équipe a aussi développé et fait breveter une chambre d’analyse. Ce petit caisson peut être régulé de façon très précise au niveau de la température, du pH, du taux d’humidité, de la concentration d’oxygène ou de CO2, etc. En associant cette chambre d’analyse à l’AFM, l’équipe du Pr Alsteens a pu commencer à étudier les interactions entre virus et cellules vivantes. « C’est l’avantage de l’AFM par rapport aux technologies antérieures. Avec un microscope électronique, par exemple, les échantillons doivent être fixés avant d’être analysés. Il n’y a donc plus aucun mouvement. En revanche, en combinant la pointe d’un AFM à un microscope optique, nous pouvons observer des échantillons vivants. Et, ainsi, être au plus près des conditions naturelles réelles. »

Des publications prestigieuses

Au NanoBioPhysics Lab, la moitié des chercheurs – soit une dizaine de personnes – étudient les interactions entre virus et cellules. « Nous nous intéressons particulièrement aux phases les plus précoces de ces interactions, aux tout premiers contacts entre un virion et une surface cellulaire », explique le Pr Alsteens. « Depuis 2015, l’AFM nous permet d’obtenir des résultats passionnants ! » Des résultats qui lui ont valu le prix Heinrich Emanuel Merck pour la science analytique en septembre 2019, ainsi que le prix BAEF Alumni, décerné ce 28 novembre. Les découvertes de son équipe font aussi régulièrement l’objet de publications. La dernière en date a paru dans la prestigieuse revue Nature Communications.

Pour cette recherche, l’équipe du Pr Alsteens s’est penchée sur les reovirus. Ces virus sont de bons modèles pour étudier les rotavirus, responsables de certaines gastroentérites, et qui font partie de la même famille. Les réovirus sont aussi impliqués dans la maladie cœliaque (intolérance au gluten) et ont un potentiel oncolytique.   

Clé, serrure et sucre

« Pour pouvoir rentrer dans la cellule, le virion doit introduire sa clé (sigma-1) dans une serrure (le récepteur JAM-A) de la cellule », explique le Pr Alstens. « Or, en temps normal, cette clé est repliée. Nous voulions savoir ce qui dépliait la clé lorsque le virion entre en contact avec la cellule. »

Grâce à la technologie AFM, les chercheurs ont trouvé la réponse. « Il y a toute une série de sucres sur la membrane cellulaire. Jusqu’ici, nous n’y avions pas prêté beaucoup attention, car nous ne pensions pas que ces sucres jouaient un rôle important dans l’interaction virus-cellule. Nous avions tort ! En effet, nous avons découvert que le virion se lie d’abord avec l’un de ces sucres, l’acide sialique. Et c’est cette liaison qui permet de déplier la clé. »

Identifier et mieux connaitre ce mécanisme ouvre des perspectives très intéressantes. « Comprendre les étapes précoces de l’infection virale pourrait, à terme, nous permettre de la moduler », explique le Pr Alsteens. « Par exemple, si nous utilisons les réovirus comme arme contre les cellules cancéreuses, nous aurions tout intérêt à trouver le moyen de “booster” les probabilités d’infection virale. » Les recherches allant en ce sens sont d’ailleurs en cours…

Candice Leblanc

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Coup d’œil sur la bio de David Alsteens

David Alsteens est chercheur qualifié FNRS et responsable du NanoBiophysics Lab de l’UCLouvain. Il est titulaire d’un Master en ingénierie chimique et bio-industrie et d’un doctorat en bio-ingénierie obtenus respectivement en 2007 et 2011 à l’UCLouvain. Sa thèse a été primée par la Société de microscopie de Belgique. Chercheur FNRS à l’UCLouvain depuis 2011, il a aussi passé deux ans (2013-2015) à l’École polytechnique fédérale de Zurich (Suisse).

Les recherches du Pr Alsteens ont été principalement financées par un ERC Starting Grant (Europe) reçu en 2017, un financement Welbio (Région wallonne) obtenu en 2019, le FNRS et l’UCLouvain.

Publié le 28 novembre 2019