Mars, de l'intérieur

Pour une fois, le nom de la mission résume bien ses objectifs : InSight Mars doit amener à une meilleure compréhension de la structure interne de la planète Mars. Depuis novembre 2018, des flots de données ont été analysés par les scientifiques, dont Véronique Dehant, de l’UCLouvain et de l’Observatoire Royal de Belgique. Les premiers résultats viennent d’être publiés dans la revue Nature Geoscience.

L’atterrisseur InSight (INterior exploration using Seismic Investigations, Geodesy and Heat Transport) de la NASA s’est posé sur Mars, dans un cratère peu profond situé dans la plaine Elysium en novembre 2018. Depuis lors, les différents instruments présents à bord n’ont cessé d’envoyer des données vers la Terre. Données dont les scientifiques viennent de tirer des premiers résultats. Deux de ces instruments intéressent particulièrement Véronique Dehant, Professeure extraordinaire à l’UCLouvain (Earth and Life Institute et Coordinatrice de Louvain4Space) : le sismomètre SEIS et le système de radioscience RISE.

En attente du Big One

« Le sismomètre est calibré pour enregistrer tous les tremblements de Mars avec une amplitude comprise entre celle des tremblements de Lune et celle des tremblements de la Terre, explique Véronique Dehant. On estime en effet que c’est dans cette fourchette qu’ils doivent se produire sur Mars. » La Lune est relativement calme au niveau sismique alors que notre planète peut être le siège de tremblements violents à cause de la tectonique des plaques. Et c’est bien ce qui est confirmé dans les articles qui viennent d’être publiés dans Nature Geoscience.

« Jusqu’à aujourd’hui, on a mesuré beaucoup de tremblements de Mars (environ 200), mais seulement une vingtaine d’une magnitude importante de maximum 3 ou 4. C’est important mais on ne peut pas les qualifier de gros tremblements. » Le grondement de deux séismes parmi les plus importants peut être écouté sur le site de la mission.

Comment expliquer cette séismicité ? « Les gros tremblements enregistrés seraient dus aux mouvements d’une faille située non loin du site d’atterrissage, explique Véronique Dehant. Mars présente une séismicité particulière, sans doute fortement liée aux effets de l’atmosphère sur la surface et, pour certains tremblements plus violents, liée à de la tectonique locale, à des mouvements de faille. Il faut en effet rappeler qu’il n’y a pas de tectonique des plaques sur Mars comme il y en a sur la Terre ; Mars est monoplaque et il ne peut donc y avoir de tremblements dus à la rencontre entre plaques différentes.

C’est intéressant car ainsi toute son histoire est inscrite à sa surface alors que sur la Terre, les plaques pénètrent à l’intérieur du manteau provoquant un recyclage continu des roches ; il n’y a que très peu de roches qui sont restées en surface depuis leur formation. Sur Terre, presque tout est recyclé alors que sur Mars, on a des roches de surface qui datent du tout début du système solaire. » Les scientifiques espèrent cependant avec impatience le « big one », un tremblement de magnitude plus élevée encore, assez puissant pour atteindre le manteau inférieur et le noyau. Car les ondes sismiques sont sensibles aux matériaux qu’elles traversent ; en observer qui s’enfoncent profondément vers le centre de la planète, c’est pouvoir étudier la structure interne de la planète, but de la mission.

L'oeuf cuit et le cru

Il existe cependant un autre moyen de sonder le centre de la planète : la radioscience dans laquelle Véronique Dehant est particulièrement impliquée. Le principe en est simple. Des ondes radio sont envoyées vers Mars. Sur celle-ci, un transpondeur en bande X, l’instrument RISE (Rotation and Interior Structure Experiment), renvoie ces ondes vers la Terre où elles sont accueillies par un système de grandes antennes (de 70 m de diamètre) réparties le long de l’Equateur. On mesure alors le décalage de fréquence entre ondes émises et ondes reçues, lequel est lié à la vitesse relative de Mars par rapport à la Terre.

Il est alors possible d’en déduire des informations sur la rotation et l’orientation de la planète. Comme ces mesures atteignent une précision de l’ordre de quelques cm, il est possible d’obtenir de l’information sur l’intérieur profond de Mars, comme on le fait pour la Terre. Mais en quoi la rotation et l’orientation de Mars concernent-elles sa structure interne ? « L’analogie la plus simple est celle de l’œuf, explique Véronique Dehant. Un œuf cuit tourne de manière différente d’un non-cuit. Avec un peu d’habitude, il est possible de distinguer l’un de l’autre. Il en est de même avec les planètes : l’étude de l’orientation et de la rotation des planètes dans l’espace permet de déduire des informations sur leur structure interne. En particulier, nous voulions confirmer que le noyau de Mars est liquide. »

Un souhait qui n’est pas encore exaucé ? « Nous n’avons encore rien publié à ce propos cette fois-ci car cela demande encore des observations plus nombreuses ; notre échantillon de mesures n’est pas encore suffisant car il faudrait au moins les poursuivre sur une année martienne… qui équivaut à un peu plus de deux années terrestres. Et nous ne disposons que de 400 jours d’observation pour le moment. »

Habitabilité

A priori pourtant, on pourrait penser que le noyau de Mars est solide car elle est plus petite et se serait refroidie plus vite que la Terre. En outre, il existe un autre moyen de savoir si le noyau d’une planète est solide ou non : la présence d’un champ magnétique. Celui-ci est en effet créé par le mouvement dans un matériau conducteur. C’est le cas avec la Terre dont le champ magnétique provient des mouvements dans son noyau constitué essentiellement de fer liquide. Or, il n’y a pas de champ magnétique autour de Mars.

Donc pas de noyau liquide ? « Pas exactement, fait remarquer Véronique Dehant, cela veut dire qu’il n’y a pas de mouvement suffisant pour engendrer ce champ. Nous pensons que comme Mars est monoplaque, la lithosphère qui est d’un seul tenant agit comme un couvercle qui garde la chaleur à l’intérieur. Il pourrait donc y avoir un noyau liquide. »

Derrière cette interrogation se cache la question de l’habitabilité de la planète rouge. Car on a observé un champ magnétique fossilisé dans des roches datant du début du système solaire, entre 4,6 et 4 milliards d’années. A son début, la planète rouge a donc été protégée par un champ magnétique et l’eau y était abondante comme le montre la présence de deltas asséchés, de vallées, etc. Or cette eau a commencé à disparaître voici 4 milliards d’années quand le champ magnétique a disparu lui aussi.

« On ne sait pas ce qu’il s’est passé, s’interroge Véronique Dehant. On sait que le champ magnétique protège de l’érosion par les vents solaires. Il protégeait sans doute l’atmosphère. Au départ, on pense qu’il y avait une atmosphère suffisante pour avoir une pression à la surface et des températures suffisantes pour avoir de l’eau liquide. Puis cette atmosphère a disparu et on a maintenant une pression de 7 millibars, soit moins d’un centième de la pression à la surface terrestre. Sur Mars, il n’y a donc plus d’eau liquide et les températures oscillent entre -150°C et +20°C, mais les +20°, c’est exceptionnel ! »

La mission ExoMars reportée

Pour aller plus loin, la communauté scientifique comptait beaucoup sur la mission russo-européenne ExoMars qui devait être lancée cet été. En plus d’un Rover qui effectuera des prélèvements de roche et les analysera, cette mission comporte l’envoi d’une plateforme contenant un système de radioscience, appelé LaRa (Lander Radioscience) qui doit compléter le travail de RISE. Un instrument très belge puisque, outre les équipes de Véronique Dehant qui interprètent les signaux envoyés, le transpondeur a été fabriqué par Antwerp Space (voir Figure 1) et ses antennes ont été conçues et fabriquées par le laboratoire du Professeur Christophe Craeye de l’UCLouvain. De véritables petits bijoux technologiques qui ne pèsent que 115.6 grammes pour les deux antennes d’émission (voir Figure 2) et 152.6 grammes pour l’antenne de réception (voir Figure 3) !

Mais la mission vient d’être reportée à …. 2022 ! On sent le dépit chez Véronique Dehant, mais aussi un soulagement : « Il y avait une série de problèmes, notamment au niveau des parachutes de freinage, qui se sont accumulés et qui n’auraient pas pu être résolus dans les temps (ndlr : pour le lancement prévu cet été), sauf si on ne testait pas... mais quand on ne teste pas suffisamment, on s’expose à des échecs... donc je pense que c'est une sage décision... ». Pendant plus de deux ans encore, il faudra donc se contenter des signaux envoyés par RISE.

Figure 1 : Modèle de vol du transpondeur LaRa

Figure 1 : Modèle de vol du transpondeur LaRa

Figure 2 : Modèle de vol de l’antenne d’émission

Figure 2 : Modèle de vol de l’antenne d’émission

Figure 3 : Modèle de vol de l’antenne de réception

Figure 3 : Modèle de vol de l’antenne de réception

Henri Dupuis

Une nouvelle bourse ERC

Véronique Dehant ne s’est pas toujours intéressée à la rotation des autres planètes de notre système solaire. Son premier amour a été la Terre. Elle a étudié les variations de rotation et orientation de notre planète jusqu’à mettre au point un modèle de ces variations, un modèle qui dépend de l’intérieur profond de la planète. « Le problème dans la modélisation, résume-t-elle, c’est le noyau et ce qui se passe au niveau de l’interface entre lui et le manteau. Pour étudier cela, nous avons bénéficié d’une bourse ERC qui a débuté en 2015 et va se terminer au mois d’août de cette année. » Mais l’histoire ne s’arrêtera pas là. Car ces travaux ont aussi permis d’observer des variations rapides dans le champ magnétique terrestre.

Véronique Dehant a donc constitué une équipe de trois partenaires : une spécialiste de la gravimétrie, Annick Cazenave de l’Observatoire Midi-Pyrénées à Toulouse, car les scientifiques se sont rendu compte que les mouvements des masses à l’intérieur du noyau perturbent aussi les mesures de la gravitation terrestre, une spécialiste du géomagnétisme, Mioara Mandea du CNES (Centre national d’Etudes Spatiales à Paris) et elle-même pour laquelle la rotation de la Terre n’a plus guère de secrets. C’est ce trio féminin de choc qui vient de décrocher une ERC synergie. Avec bien sûr la volonté d’appliquer les résultats de ces recherches terrestres…. à la planète Mars !

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Coup d’œil sur la bio de Véronique Dehant

Véronique Dehant, a obtenu une Maîtrise en mathématiques à l'Université catholique de Louvain (UCLouvain), en Belgique, en 1981 et une Maîtrise en physique dans cette même université en 1982. Elle a obtenu son Doctorat en Science et son habilitation dans la même université, respectivement en 1986 et 1992. Elle travaillait, à l’époque de sa thèse de doctorat, sur la rotation et l'intérieur de la Terre. Elle a tout d'abord été (1981-1992) chercheur au Fonds National de la Recherche Scientifique (FNRS). Elle a ensuite travaillé comme chercheur à l’Observatoire royal de Belgique (1993-présent) et est devenue, en 1994, Chef de section de la Section « Heure, rotation de la Terre et géodésie spatiale », département appelé actuellement « Systèmes de Référence et Planétologie » qu’elle dirige à l’heure actuelle et qui contient environ 40 personnes.

En 2006, elle est devenue PI (Principal Investigator) de l’expérience LaRa (Lander Radioscience expérience) dans le cadre de la mission ExoMars vers Mars sélectionnée en 2015 et dont le lancement est prévu en 2020. Actuellement Véronique Dehant est de plus Co-I (Co-Investigator) dans la mission InSIGHT (Interior exploration using Seismic Investigations, Geodesy, and Heat Transport) vers Mars dont le lancement a été effectué avec succès et l’atterrissage sur Mars est prévu en novembre 2018.

Véronique Dehant a également obtenu plusieurs prix dont le Prix Descartes de l'Union européenne. En 2014, elle avait été nommée Docteur Honoris Causa de l’Observatoire de Paris. En 2015, elle a obtenu une prestigieuse European Research Council (ERC) Advanced Grant, avec le projet RotaNut: Rotation and Nutation of a wobbly Earth.

Elle est également Professeur extraordinaire à l’Université catholique de Louvain. Elle est actuellement (Juillet 2018) auteur de 480 publications, dont 165 dans des revues avec rapporteurs ou comité de lecture, et a fait actuellement plus de 1085 communications scientifiques. Son principal intérêt scientifique actuel est la planétologie comparée, et en particulier ce qui concerne l’intérieur et la rotation des planètes, leur évolution et leur habitabilité.

Publié le 24 mars 2020