Anne-Marie Vuillemenot

Anthropologue, professeure à l’UCLouvain et codirectrice du Laboratoire d'anthropologie prospective (LAAP)*.
 
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Quels types de séjours internationaux avez-vous effectué?
En tant qu’anthropologue, les terrains ethnographiques sont nombreux : je travaille en Asie centrale depuis 1992 et je me suis dirigée ensuite vers d’autres régions pour d’autres recherches, au Nord de l’Inde notamment. J’entame maintenant d’autres « terrains » en Bosnie-Herzégovine et en Moldavie.
 
Quelles ont été vos premières impressions liées à ces expériences internationales?
La question de l’anthropologue est de réussir à comprendre un mode de vie radicalement autre que le sien, surtout pour l’anthropologue qui travaille sur des terrains éloignés de ceux qu’il ou elle côtoie habituellement. L’approche que je privilégie est celle d’apprendre la langue locale. C’est la meilleure manière d’entrer dans une culture. Il est important aussi de vivre le quotidien des personnes, dans une observation participante. J’ai par exemple passé beaucoup de temps avec des semi-nomades, dans des yourtes installées dans les montagnes, à fabriquer du pain, garder les moutons, travailler avec eux, et apprendre peu à peu leur manière de se penser au monde.
 
Quelles langues avez-vous apprises?
J’ai commencé par le russe, ensuite le kazakh que j’ai appris sur le terrain, au fin fond des yourtes.
En quoi ces langues ont-elles permis d’enrichir vos projets de recherche?
La langue est la condition de base de la vie avec les autres. C’est à travers la langue et le non-verbal que les habitants m’ont enseigné, petit à petit, leur mode de vie. C’est un processus d’apprentissage, de transmission qui se fait tout d’abord par une série de gestes, de mimes, d’attitudes et qui progressivement m’ont permis d’entrer dans ces langues qui étaient relativement éloignées de ma langue maternelle.
 
Ces expériences ont-elles été inspirantes?
Toutes ces rencontres ont été un apprentissage extraordinaire avec des gens d’une générosité incroyable. Ils et elles m’ont transmis considérablement de leur culture et de leurs modes de vies. Bien sûr que toutes ces expériences ont eu une influence indéniable sur ma vie quotidienne et sur mon travail d’anthropologue et sur ma manière d’enseigner.
 
Un conseil pour les candidat·e·s au départ?
Il me semble que, au moins une fois dans sa vie, il faut faire cette expérience de l’altérité radicale. Il faut oser faire le choix de sortir de sa zone de confort et essayer d’apprendre à adopter un autre point de vue que le sien. Adopter le point de vue de l’autre qui se pense et se voit au monde. Et c’est dans ce sens-là que je conseille à tout un chacun de tenter l’expérience.
 
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Ouvrir l’Université à d’autres mondes, à d’autres logiques, à d’autres cultures
Comment voyez-vous l’UCLouvain à l’international?
L’Université a noué de nombreux liens avec des universités occidentales qui ont eu tendance à se réunir afin de se soutenir dans des projets internationaux : une démarche tout à fait magnifique. Mais dans cette perspective, il me semblerait intéressant d’ouvrir l’Université à d’autres mondes, d’autres logiques, d’autres cultures et d’autres univers linguistiques. Pas seulement en termes d’axe Nord-Sud, mais aussi dans un axe Est-Ouest, qui dans la plupart des cas, est oublié, alors que ce monde de l’Est s’est ouvert depuis de nombreuses années, pratiquement 25 ans voir un peu plus…
 
Pourquoi cette ouverture vers l’Est est-elle importante?
Il s’agit d’abord d’échanger des méthodes et d’adopter d’autres manières de travailler, mais aussi de s’ouvrir à des épistémologies radicalement autres. C’est en ce sens que nous avons tout intérêt à la fois d’ouvrir et de décoloniser nos pensées. Nous avons tout intérêt à écouter ce que les autres ont à nous dire et à nous intéresser à d’autres manières de faire science.
Je travaille depuis de nombreuses années sur le chamanisme et sur les présences autres que celles des êtres humains
 

A découvrir

 
Fin 2018, Anne-Marie Vuillemenot
a publié aux éditions Académia
 
Tulös est une bergère kazakhe que j'ai connue en 1993. Dans les pâturages, cette ancienne voisine de yourte est l'objet de plaisanteries en raison de son comportement décalé et de sa coquetterie. Avec le temps, elle se met à divaguer et finit par délaisser son foyer. Au printemps 2010, je la retrouve alors qu'elle poursuit une initiation. Elle est aujourd'hui baqsi, c'est-à-dire chaman soufi

 

 

 

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Anne-Marie Vuillemenot is an anthropologist, professor at UCLouvain and co-director of the Laboratory of Prospective Anthropology (LAAP).

What international residencies have you done? 
As an anthropologist I’ve worked on ethnography in the field many times and continue to do so. I’ve worked in Central Asia since 1992. From there I branched out to northern India, in the Ladakh region. Now I’m beginning research in Bosnia and Herzegovina and Moldova.

What are your impressions of these international experiences? 
The anthropologist’s mission is to understand a way of life radically different from his or hers, that is, to enter a culture via the language and live every day as a participant observer in order to work with people and gradually learn how they think about the world.

Were these experiences inspiring?
An extraordinary learning experience with people of incredible generosity who taught me a lot about their knowledge, culture, practices, lifestyles. A way to establish a social connection differently. And the influence it can have on both my daily personal life and my work as an anthropologist and how I teach my students. 

Any advice for those who are considering going abroad?
It seems to me that at least once in life one has to experience this radical otherness, to make the choice to really get out of one's comfort zone and try to learn from how other people think and see themselves in the world. And it’s in this sense that I advise everyone to try it.

How do you describe UCLouvain international policy?
It’s part of a broader phenomenon, it’s not just the reasoning of a single Western university’s international policy, but of Western universities generally. University networks, such as The Guild, demonstrate that Western universities tend to come together to support each other in international projects, which in itself is magnificent, but from this perspective, which is rather in the sense of a world that is Anglo-American, to me it seems valuable to open up to other worlds, other ways of thinking, other cultures and of course other linguistic worlds, and not only in North-South terms but also East-West, which in most cases concerns largely forgotten projects, while in fact the Eastern world has been open for 25 years or more. 

How does mobility inspire?
It often entails exchanges of methods and ways of working but also of epistemologies that are radically ‘other’. It’s in this sense that we all have an interest in both opening our minds and decolonising our thoughts.
Listen and try to understand what others have to say based on their way of thinking about science.