Issa Haman - Madrasa et réislamisation au Cameroun septentrional. Anthropologie politique d’une instance de changement social

ESPO Louvain-La-Neuve, Mons

15 mai 2020

16h

Par Teams

Le Recteur de l'Université catholique de Louvain fait savoir que

M. Issa Haman

soutiendra publiquement sa dissertation pour l'obtention du titre de Docteur en sciences Politiques et Sociales

« Madrasa et réislamisation au Cameroun septentrional. Anthropologie politique d’une instance de changement social ».

Abstract

The madrasa appeared in the region of sub-Saharan Africa in the fifties. In Cameroon, it can be described as a theological school professing in Arabic, on the fringe of the state’s educational system, proposing a structured religious teaching, structuring new identities and new social reports. It is a source of hybrid modernity. This in-depth study examines the establishment itineraries of these schools, their functions, the modalities of their creation and their figures. This allowed this empirical and theoretical investigation in social and human sciences to take ground in the field of education and to seize the transformation that moulds the Cameroonian Muslim society. Furthermore, the study enabled us to dissect the contribution of an “of track” society in the setting of a –human capital that is more or less efficient in distributing social and institutional positions.

The contemporary madrasa was born in a colonial context, emerging from an educational and religious reform aimed at reducing the delay of Muslim societies on the occidental world. It was involved, in Cameroon as well as in Sahelian Africa, in the social dynamic of reislamisation and in the movement of subversion of the traditional Islamic model. This work enabled us to observe how the cultural and symbolic capital stored in this institution is reused by people as a resource and an instrument at the service of emancipation and social ascension strategies. It observes how it leads to strategies of subversion of established state models (State, patriarchy, religious order), and how it leads to the grabbing of leadership in Muslim environments by “bottom social actors” and lettered person “in lack of state” that have decided to subtract themselves from the promised social destiny of the people that have no official school education. The development of the madâris in Cameroon is therefore a form of social resilience and an indicator of the capacity of graduated Arabic people to undertake, (even on a political level) in response of the limits of the state to take over the education and de social recognition of every person. Furthermore, the madrasa brought about an opening up to the masses and a feminization of the religious teaching and the emancipation of woman, once cloistered. These phenomena are also indicators of the incompletion of the domination phenomenon and of the agency of the dominated, including inside religious institutions. The madrasa appears therefore as the generator of a new social order that created a new source of legitimacy and new forms and places of power in Muslim societies.

At the center of the Islamic awakening, the madrasa deploys an Arabo-Islamic education that, certainly detains a potential of spiritual and cultural emancipation and participate to promote social mobility of some learners, but also reveals itself, in general more as a « D system », constructing a mix of consolation and adoration, rather than a real alternative educative system to the state’s educational system. The new institutions and social practices that the madrasa generated did not bring about the disappearance of the ancient ones. They are the epicenter of Islamic Modernity but so far they proved to be incapable of creating the conditions of an accomplished emancipation of individuals and social groups that have placed their trust in this educative system and, by extension, in the Islamic model.

Résumé

La madrasa apparait en Afrique subsaharienne autour des années 1950. Au Cameroun, elle prend la figure d’une école de théologie professant en langue arabe, en marge du système éducatif étatique, proposant un enseignement religieux structuré, structurant de nouvelles identités et des rapports sociaux nouveaux, sources d’une modernité hybride. Ce travail d’étude approfondie des itinéraires d’implantation, des fonctions, des modalités de formation, et des figures de cette école, a permis de porter l’investigation empirique et théorique en sciences sociales et humaines sur le terrain éducatif, pour saisir les transformations qui travaillent la société musulmane camerounaise et pour disséquer les contributions d’une scolarisation « hors champ » dans la constitution d’un capital humain plus ou moins efficient à la distribution des positions sociales et institutionnelles.

La madrasa contemporaine est née en contexte colonial, d’une réforme éducative et religieuse destinée à combler le retard des sociétés musulmanes sur le monde occidental. Elle a participé au Cameroun comme en Afrique sahélienne à la dynamique sociale de réislamisation et au mouvement de dégagisme de l’islam traditionnel. Ce travail a permis d’observer comment le capital culturel et symbolique engrangé dans cette institution est réutilisé en tant que ressource et instrument au service des stratégies d’émancipation et d’ascension sociales, de subversion des modèles établis (État, patriarcat, ordre religieux) et de captation du leadership en milieux musulmans, par des acteurs sociaux « d’en bas » et des lettrés « en manque d’État » décidés à se soustraire du destin social promis aux déscolarisés du système éducatif officiel. Le développement des madâris au Cameroun est ainsi une forme de résilience sociale et un indicateur de capacité d’entreprendre, y compris politique des diplômés arabisants devant les limites de l’État à prendre en charge l’éducation et la consécration sociale de tous. La massification et la féminisation de l’enseignement religieux qu’elles ont entrainées en même temps que l’émancipation des femmes autrefois recluses sont aussi des indicateurs de l’inachèvement du phénomène de domination et de l’aptitude à l’agentivité des dominées, y compris au sein des institutions religieuses. La madrasa apparait ainsi comme génératrice d’une nouvelle donne sociale, qui a vu émerger dans la mouvance de son développement, des sources nouvelles de légitimité, des formes et des lieux nouveaux de pouvoir dans les sociétés musulmanes.

Foyer du réveil islamique, la madrasa déploie une éducation arabo-islamique qui, certes, recèle un potentiel d’émancipation spirituelle et culturelle, et participe à la promotion et à la mobilité sociales de certains apprenants, mais se révèle, dans l’ensemble, davantage être un « système D », bricolant une formation de consolation et d’adoration, qu’une réelle alternative éducative au système scolaire étatique. Les nouvelles institutions et pratiques sociales qu’elle a générées n’ont pas entrainé la disparition des anciennes. La modernité islamique dont elle est l’épicentre s’est montrée — jusque là — incapable de créer les conditions d’une émancipation aboutie des individus ou des groupes sociaux qui ont placé leur confiance dans ce système éducatif et par extension dans le modèle islamique .

Membres du jury

Professeur Jean-François Bayart (IHEID de Genève)
Professeure Muriel Gomez-perez (Université Laval)
Docteur Mayek Kaag (Université de Leiden)
Professeur Hamadou Adama (Université de Ngaoundéré)
Professeur Pierre-Joseph Laurent (UCLouvain),
Professeure Jacinthe Mazzocchetti (UCLouvain), Promotrice et Secrétaire
Professeur Olivier Servais (UCLouvain), Président du jury