Ethique de la recherche en sciences sociales

09 septembre 2019

11 septembre 2019

Louvain-la-Neuve

place Montesquieu 1- LECL93

Pour l’éthique de la recherche en sciences sociale

Nous sommes des chercheurs en sciences sociales. A ce titre, nous sommes convaincus de l’importance cruciale de l’éthique de la recherche. Les compétences et l’intégrité intellectuelle sont les deux conditions nécessaires de nos recherches : sans les compétences, l’intégrité est creuse ; sans l’intégrité, les compétences sont dévoyées. Personne parmi nous n’a jamais douté de l’importance des compétences. L’Intégrité intellectuelle était de son côté à ce point considérée comme allant de soi que son importance a pu parfois être oubliée. De même que les questions de compétence –méthodologiques notamment- sont collégialement débattues entre les chercheurs, les questions d’intégrité peuvent et doivent l’être. Elles sont susceptibles de se poser à n’importe quelle phase de la recherche : en amont, dans sa conception ; durant sa mise en oeuvre, tant dans la production et le recueil des données que dans leur traitement ; en aval, dans leur diffusion, tant au sein des arènes scientifiques qu’auprès d’autres destinataires, avec depuis quelques années des enjeux inédits liés aux publications en ligne et en accès libre. C’est dire qu’il y a du pain sur la planche.

Nous regrettons cependant la manière dont l’éthique de la recherche tend aujourd’hui à s’institutionnaliser. Notre déploration a des sources multiples. Tout d’abord, rompant avec le principe de la collégialité –le contrôle par les pairs qui caractérise l’ensemble du fonctionnement scientifique- des organes composés d’individus étrangers à la pratique de la recherche interviennent de façon croissante dans la définition et l’imposition des valeurs et des normes auxquelles nous sommes astreints. Il résulte de cet état de fait une prise de contrôle de la production scientifique par des non-scientifiques absolument contraire au principe de la liberté de la recherche. De plus, ces valeurs et ces normes ont pour la plupart été pensées dans le contexte de recherches expérimentales à visée médicale. Elles ignorent tout des spécificités de la recherche en sciences sociales. Il en résulte qu’elles se révèlent bien souvent sans pertinence et inapplicables pour nos travaux. Il arrive même fréquemment qu’elles aient pour conséquences, si elles étaient appliquées, de rendre nos recherches impossibles à mener. Troisièmement, sur le plan formel cette fois, nous sommes confrontés à des procédures toujours plus bureaucratiques qui, souvent non contentes de passer à côté des vraies questions auxquelles nous nous heurtons, nous font perdre en vain un temps précieux. Plus fondamentalement encore, les formalités actuelles qui tendent à se généraliser –par exemple concernant l’obtention du consentement des personnes impliquées ou la protection des données à caractère personnel- minent paradoxalement la confiance dont nous avons besoin dans la conduite de nos recherches. Elles présentent implicitement les chercheurs comme des prédateurs potentiellement dangereux pour l’intégrité de leurs sujets-objets de recherche, porteurs de menaces d’autant plus suspectes qu’elles sont indéterminées. Nous souhaitons développer d'autresmodalités de réflexion éthique, utiles aux sciences sociales.

Comme l’écrivait notre collègue Eric Gagnon, il est en effet temps de reformuler la réflexion éthique: « Le temps me semble venu de faire évoluer les comités, d’un rôle d’examinateur et d’arbitre vers un rôle d’animation et de discussion. Le chercheur est responsable de sa recherche, le comité est là pour lui indiquer certaines règles de droit, lui rappeler ses responsabilités, prévenir certains problèmes, mais surtout alimenter sa réflexion sur les conséquences possibles de ce qu’il projette de faire et soulever la question de la pertinence, sans toutefois en être le juge »1.

Nous savons ce que nous voudrions mais force est de constater que nous ne sommes pas entendus. Les vices de fonds et de procédure de l'éthique standardisée et bureaucratique ont beau avoir été documentés, identifiés et analysés dans une littérature de plus en plus abondante, les travers que nous dénonçons ne sont généralement pas pris en considération par nombre de commanditaires, en ce compris les agences nationales et internationales dédiées au financement de la recherche scientifique.

Il convient donc de nous organiser afin de construire un format d'échanges et des mécanismes utiles pour les recherches en sciences sociales.

A cette fin, nous nous proposons d’organiser une rencontre à l'Université de Louvain. Celle-ci regrouperait des membres de comités d’éthique de la recherche francophones et des représentants de nos associations professionnelles désireux de s’organiser et de s’unir peut-être en une fédération de comités d’éthique de la recherche composés principalement de praticiens de la recherche. Nous inviterions d’autre part des chercheurs à venir discuter des difficultés qu'ils.elles ont pu rencontrer dans les processus d'évaluation éthique de leur projet de recherche. A partir de ces exemples concrets, il s'agira de développer une réflexion collective sur des mécanismes d'encadrement éthique qui soient mieux adaptés aux enjeux éthiques de la recherche en sciences sociales. Ces discussions pourraient par ailleurs amorcer la création d’une revue francophone d’éthique appliquée de la recherche en sciences sociales. La fédération et la revue seraient les deux instruments par lesquels nous tenterions de faire entendre notre voix et d’infléchir
les évolutions actuelles de l'encadrement éthique de la recherche dans un sens plus favorable à nos disciplines et questionnements.

Prof. Jean-Michel Chaumont (uni. de Louvain) et Prof. Claudine Burton-Jeangros (uni. de Genève)

1 Eric Gagnon , « Le comité d’éthique de la recherche, et au-delà », Ethique publique, vol. 12, n°1, 2010, pp. 299-308. Article disponible en ligne : https://journals.openedition.org/ethiquepublique/284