ARC 2022/2027 - L’écriture de soi et de l’autre dans les littératures de la post-migration d’ascendance musulmane en langues allemande, française et italienne : enjeux identitaires et sociétaux
Promoteur·rices :
Autres membres de l’équipe :
|
Dans la plupart des pays européens, les années 1970 et 1980 ont vu l’apparition remarquée d’écritures de la migration. Ce phénomène sociétal découlait du fait que les champs littéraire et culturel commençaient à intégrer l’accélération et la densification des migrations économiques et des exils politiques au sein de nos sociétés. Certes, la reconnaissance effective de ces écritures s’est d’abord faite en marge, la critique universitaire leur attribuant, dans un premier temps, les qualifications incertaines de « littérature de la migration » (migrant literature), plus récemment de littérature de l’interculturalité, de type « nomade », « sans domicile fixe » ou encore venue d’ailleurs (scrittori d’altrove). Les deux dernières décennies ont toutefois clairement signifié que « l’autre » était à présent devenu partie intégrante de nous-mêmes. Aux premier·ères exilé·es et migrant·es ont à présent succédé des générations dites post-migrantes, dont le lien au « pays natal » (ou à la Heimat) relève, de par les processus de scolarisation et socialisation, d’un ancrage premier dans nos sociétés, en même temps que ces générations veillent à perpétuer l’idée d’appartenances multiples et même de « métissage ».
À l’intérieur de ce champ culturel foisonnant et en fonction de leurs compétences disciplinaires respectives, les responsables de l’ARC NarraMus et les membres de l’équipe entièrement constituée au 1er octobre 2022 se consacreront à l’étude d’un choix exemplaire de textes narratifs – en langues allemande, française et italienne – rédigés par des auteurs et autrices d’ascendance musulmane aux origines ethno-nationales diverses et issu·es de la post-migration. Ces textes illustrent et thématisent sur un mode narratif et littéraire les « noeuds identitaires » et les difficultés liées aux références et appartenances culturelles multiples, entre société d’origine et société d’accueil. En ce sens, ils participent d’une logique simultanée de l’écriture de soi et de l’autre.
Parce qu’ils mettent en scène les enjeux de l’interculturalité, des regards et relations réciproques entre musulman·es et non-musulman·es, ces textes appellent un traitement fondamentalement interdisciplinaire, à l’intersection des sciences humaines (Humanities) et des sciences sociales. La conception de la littérature que nous représentons s’entend nécessairement au sens large et inclusif des cultural studies, englobant jusqu’aux genres du poetry slam et du rap de l’interculturalité comme formes contemporaines du littéraire. Les différents corpus abordés dans les thèses de doctorat, les séminaires et journées d’étude feront se croiser la prose littéraire narrative traditionnelle, les genres « courts » de la narration – en ce compris également les productions des singer-songwriters (auteurs/compositeurs/interprètes) d’ascendance musulmane – ou encore les nombreux témoignages ou « récits de vie » de nature autobiographique. L’extension à d’autres genres narratifs comme le théâtre, le cinéma ou les blogs Internet est également prévue par le biais de collaborations scientifiques en interne ou à l’international. La constitution d’une base de données relative aux autrices et auteurs et à leurs productions écrites narratives sous forme de l’archivage de fiches tient à la fois d’une logique de recherche fondamentale et de recherche appliquée. D’une part, ces fiches garantissent une fonction empruntée à la critique génétique, l’identification d’écrits de la post-migration parfois difficilement reconnaissables dans les ouvrages de référence et sur Internet. D’autre part, on organisera pour toute personne intéressée la mise à disposition de fiches didactiques sur les parcours des écrivain·es de la post-migration et d’extraits de textes particulièrement représentatifs, dans une visée de dissémination du travail de recherche.
En termes de méthode et d’objectifs, la nécessaire articulation interdisciplinaire au coeur de ce projet mènera systématiquement à démêler les fils de la construction de perceptions, de représentations et d’attitudes co-inclusives, y compris contradictoires, à partir de dispositions incorporées hétérogènes. Ce travail se fera sur base de la complémentarité de méthodes empruntées aux études littéraires et sémiotiques, au comparatisme, à la sociologie et à l’anthropologie. Notre approche entend pleinement intégrer les enjeux de durabilité au niveau sociétal, dans le sens où le travail mené sur les représentations de soi et de l’autre est indissociable d’une volonté de prendre son point de vue au sérieux et d’aborder les dispositifs qui oeuvrent en (dé)faveur de la construction de liens de confiance, seuls susceptibles d’asseoir une cohésion sociale.