Dès son apparition la police et son fonctionnement ont posé de nombreuses questions. Comment la contrôler ? Quelles tâches délimitées doit-on lui assigner ? Comment considérer et rémunérer les policiers ? Des critiques, aussi, apparaissent dès sa naissance et font les beaux jours des clichés : des policiers pas assez actifs, qui coûtent cher, qui se montrent violents, corrompus, brutaux. Bref, on remet régulièrement en doute la qualité, la professionnalisation et l’efficacité d’une police qui va subir des réformes importantes tout au long de son histoire au sein de nos sociétés.
Quand, pourquoi et comment la police se transforme-t-elle ? Laurent Dehossay interrogeait Jonas Campion, docteur en histoire de l'UCL et de Paris-Sorbonne, chercheur à l'Institut de recherches historiques du Septentrion à Lille et chargé de cours invité à l'UCL. Il a dirigé l'ouvrage collectif Organiser, innover, agir - Réformer et adapter les polices en Belgique (18e-21e siècles) ; éd. Presses Universitaires de Louvain.
La police comme fonction et comme institution
Pour comprendre la police et ses réformes historiques, il faut distinguer la police comme fonction et la police comme institution. La police en institution, telle qu’on la connait aujourd’hui (policiers en uniforme dans la rue) est quelque chose de relativement récent. Cette police comme institution date de la fin de la période moderne (18ème siècle). On assiste à ce moment-là à la formation de corps qui se spécialisent et qui occupent des fonctions délimitées avec une hiérarchie bien déterminée et visible dans l’espace public. Par contre, la police comme fonction, comme par exemple assurer la bonne gestion de la Cité, du marché, du ravitaillement, et assurer l’ordre public, remonte en large partie au Moyen Age où le champ d'intervention de la police est beaucoup plus large. C’était à l’époque une fonction qui était exercée par différents et divers acteurs comme des milices bourgeoises, des sergents de ville ou des personnes dépendant de l’autorité.
Pourquoi et comment rémunérer un policier ?
En 1867, on tente de réformer ce qu’on appelle les sergents de ville à Bruxelles. En toile de fond, l’enjeu du statut … et du salaire. Jonas Campion précise : "Tout l’enjeu est de déterminer un niveau de revenu suffisant qui permette au policier d’agir avec discernement et indépendance dans l’espace public. Si le niveau de salaire est trop peu élevé, cela entraine un risque de corruption ou de paresse, et on ne veut pas monter trop haut car ça coûte cher et il faut toujours réduire les dépenses publiques." Comment les payer et pour quels services rendus ? Avant cette réforme, les policiers sont rémunérés à la tâche, un peu comme les huissiers. Le risque ? Se concentrer sur des tâches qui rapportent le plus et donc laisser de côté des matières qui sont moins rentables.
Un héritage du régime français
Vingt ans après la réforme sur les statuts et le salaire des policiers, une autre tentative de réforme est proposée sous l’impulsion de l’empereur Joseph II. " C’est une volonté de réformer toute la société à l’époque des Pays-Bas autrichiens. Joseph II veut complètement la rationnaliser dans une logique absolutiste éclairée. Il veut organiser, centraliser mieux contrôler la police et son action : le territoire, sa hiérarchie, le contrôle de l’espace " rajoute Jonas Campion.
L’implantation du régime français dans nos régions va lui aussi apporter son grain de sel. En 1795 les territoires des Pays-Bas autrichiens sont annexés à la France révolutionnaire, avec des conséquences fondamentales : l’annexion va dessiner le système policier tel qu’on le connait de nos jours. C’est la création d’un appareil policier duel structuré entre police civile (commissariats) et police militaire (gendarmerie), police locale et police centralisée qui va perdurer au-delà du régime hollandais et dont le modèle va séduire la jeune Belgique indépendante.