Extraordinaire plasticité cérébrale

 

Olivier Collignon, chercheur à l’UCL, a mené une étude qui démontre qu’une courte privation visuelle chez les nouveaux-nés a un impact permanent sur l’organisation des cortex sensoriels.

Dans le monde, on estime à 1,4 million le nombre d’enfants âgés de moins de 15 ans souffrant de cécité. La cause la plus fréquente? La cataracte congénitale bilatérale, une opacification des cristallins qui empêche le passage de la lumière. Cette anomalie est tout à fait curable, c’est pourquoi les bébés sont opérés le plus tôt possible afin de remplacer les cristallins endommagés par l’implant de lentilles. Une opération aujourd’hui courante et peu couteuse. La courte privation visuelle expérimentée par les nouveaux-nés au tout début de leur vie peut-elle cependant avoir un impact permanent sur l’organisation de leurs systèmes sensoriels? Pour répondre à cette question, une étude a été menée par Olivier Collignon, chercheur qualifié FNRS à l’Institut de recherche en sciences psychologiques et à l’Institute of NeuroScience de l’UCL, en collaboration avec une équipe de l’Université McMaster (Ontario, Canada). Les résultats sont publiés dans la revue scientifique Current Biology ce 10 novembre.

Olivier Collignon étudie la plasticité cérébrale, c’est-à-dire la manière dont le cerveau s’adapte et se réorganise suite à la privation d’un sens. Il travaille avec des aveugles depuis 15 ans, notamment pour évaluer leurs habilités auditives. Dans le cadre de cette étude, le chercheur de l’UCL et son équipe, dont Adélaïde de Heering, chercheuse à l’ULB et premier auteur, ont testé une cohorte de patients opérés d’une cataracte congénitale bilatérale à l’âge de 6 mois en moyenne et suivis depuis environ 25 ans par une équipe de l’Université de Toronto. Ces patients n’ont de prime abord aucun problème de vue. Ils présentent toutefois des problèmes légers de traitement visuel tels que :

  • la difficulté de percevoir les mouvements non-biologiques (vers la droite ou la gauche) et une moins bonne reconnaissance des différences entre les visages
  • la difficulté de traiter les hautes fréquences spatiales (par ex. percevoir les détails très rapprochés d’une image)

Pour les besoins de l’étude, les patients ont effectué des tâches comportementales simples. Le principe? Détecter le plus rapidement possible des flashs (informations visuelles) ou des sons (informations auditives) qui surviennent de façon non prédictible à la gauche ou à la droite des participants.

Les résultats montrent que les patients «cataracte» répondent de manière plus rapide et efficace aux stimuli auditifs en comparaison avec les sujets qui n’ont jamais connu de privation visuelle. Leur traitement auditif est donc plus fin. L’étude a également comparé le coût du changement de modalité chez ces patients. De manière générale, il est plus aisé de traiter une information visuelle comme un flash après avoir traité une première information visuelle, car le cerveau s’habitue et «automatise » son mode de traitement. Mais traiter deux informations différentes l’une à la suite de l’autre est plus difficile: c’est le coût du changement de modalité. Chez les « voyants», la dominance visuelle est un phénomène classique: il est plus facile pour le cerveau de passer au traitement visuel d’une information après avoir traité une information auditive que le contraire. L’équipe de chercheurs de l’UCL a observé exactement l’inverse chez les patients ayant subi une opération de la cataracte. La dominance sensorielle est débalancée vers le système auditif, qui est devenu le système dominant. C’est donc plus facile pour ces patients de repérer un son après un flash que le contraire.

La courte privation du sens de la vue expérimentée par les patients «cataracte» a donc un impact permanent sur l’organisation des systèmes sensoriels malgré qu’aucun déficit visuel ne soit détecté lors de cette tâche en particulier. Pourquoi est-ce intéressant? Cela montre à quel point les premiers mois de la vie sont cruciaux pour mettre en place l’interaction entre nos régions sensorielles.

 

Quelques chiffres: La cataracte congénitale touche entre 1 et 6 nouveaux-nés sur 10 000. Dans 25% des cas, la cause est héréditaire et dans 25% des cas, la maladie est due à une infection de la mère durant la grossesse. Dans 50% des cas, la maladie est idiopathique.

Découvrez le portrait d’Olivier Collignon, l’un des visages de la recherche de l’UCL

 

Olivier Collignon donne ce mardi 15 novembre à Louvain-la-Neuve une conférence grand-public intitulée «Perdre et retrouver la vue: Prodige et vertige de l’étonnante plasticité du cerveau».

Publié le 15 novembre 2016