L’angle magique du moiré de graphène

graphene

 

Piégés à l’étroit au sein de deux mono-couches de carbone superposées selon un angle précis, les électrons interagissent et peuvent s’apparier, engendrant de la supraconductivité. C’est ce que montre l’équipe de Jean-Christophe Charlier dans une publication dans Nature. Cette propriété quantique permet au courant électrique de circuler sans aucune résistance et donc, sans perte d’énergie, au sein de la nanostructure. 

Le graphène, un matériau à deux dimensions exclusivement composé de carbone a révélé des propriétés extraordinaires : conductivités thermique et électrique élevées, transparence, flexibilité… Des propriétés qui, combinées, sont particulièrement intéressantes à l’ère des écrans tactiles et de l’électronique flexible ! «Contrairement aux matériaux du monde macroscopique qui sont en 3D, le graphène a une épaisseur réduite à la dimension ultime de l’atome. Il s’agit donc d’un plan d’atomes de carbone disposés en nid-d’abeilles», explique le Professeur Jean-Christophe Charlier, chercheur en physique nanoscopique au Institute of Condensed Matter and Nanosciences.

Dans une étude publiée dans Nature, le scientifique et son équipe ont décortiqué le comportement des électrons au sein de deux couches de graphène superposées selon un angle de 1.1° (appelé angle magique) engendrant un effet de moiré (animation voir PPT en fichier joint ci-dessous). Bien connu des photographes, des peintres ou encore des stylistes, cet effet d’optique consiste en une figure composée en alternance de domaines sombres et clairs résultant de la superposition de deux réseaux. «Lorsque deux couches de graphène sont superposées sous cet angle magique, les électrons se localisent dans certains domaines de la structure de moiré, et peuvent sous certaines conditions de corrélation engendrer de la supraconductivité», précise Jean-Christophe Charlier. Une propriété plus qu’utile pour transporter de l’électricité sans perte d’énergie… «Nous avons démontré que sous cet angle magique, les deux plans de graphène ainsi twistés interagissent plus intensément, ce qui entraîne une restructuration des atomes en domaines liés au moiré où les électrons se retrouvent piégés, localisés dans l’espace ». Or, dans les métaux, les électrons libres ont tendance à se mouvoir en s’évitant, en s’écartant les uns des autres puisque leurs charges négatives respectives se repoussent. Mais dans le graphène bicouche « twisté », les électrons sont contraints d’interagir et leur comportement collectif est «corrélé». «Pour minimiser leurs interactions, les électrons se réorganisent soit en alignant leur spin, ce qui engendre des propriétés magnétiques, soit en formant un état isolant lié à leur répulsion coulombienne, soit encore en s’appariant pour produire un état supraconducteur». De plus, ces scientifiques ont également montré que cette localisation spatiale ne se limitait pas aux électrons, mais également aux phonons, particules associées aux vibrations des atomes au sein des solides, également piégés dans les domaines de moiré formés au sein de ce graphène twisté.

Effet moiré du graphène twisté

La découverte de nouveaux matériaux 2D constitués d’autres types d’atomes, et l’observation de propriétés extraordinaires qui en découlent a engendré un réel engouement pour cette nouvelle physique à deux dimensions. Avec l’idée d’un jour peut être parvenir à empiler ces structures de manière contrôlée, « brique par brique », et créer un matériau artificiel aux propriétés souhaitées. Ou de pouvoir extrapoler les connaissances fondamentales acquises grâce à des matériaux simples, comme le graphène, sur des matériaux beaucoup plus complexes, permettant de rendre plus performants les supraconducteurs déjà présents dans la vie courante. Les patins supraconducteurs des trains japonais à sustentation magnétique (Maglev) qui lévitent au-dessus des rails ou les aimants supraconducteurs qui équipent les appareils à Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) en sont des exemples.

 

Écoutez Jean-Christophe Charlier sur sa récente découverte publiée dans Nature :
 

 

En savoir plus sur les recherches de Jean-Christophe Charlier :
 

 

Publié le 17 février 2021