L’incroyable histoire d’une cuticule

 

Elle était là, sous le nez de la communauté scientifique depuis deux siècles, et à la portée du microscope électronique depuis des dizaines d’années. Et c’est Alice Berhin qui l’a découverte en 2019… La cuticule présente sur les racines des plantes ! Des travaux qui sont aujourd’hui récompensés par le Prix Schäfli Biologie de l’Académie suisse des Sciences naturelles.

Chez les humains, la cuticule désigne la petite peau qui recouvre la base des ongles. Mais chez les plantes, la cuticule est la « peau » qui recouvre l’ensemble des parties aériennes afin de les protéger des pathogènes et de limiter de trop grandes pertes d’eau à la surface de celles-ci. « Quand on prend une tomate par exemple, on se rend bien compte que sa peau est plutôt imperméable et que l’eau ruisselle à sa surface »,  Alice Berhin, post-doctorante au laboratoire du Professeur Charles Hachez au Louvain Institute for Biomolecular Science and Technology. « Jusqu’il y a peu, on pensait que cette cuticule était spécifique des parties aériennes des plantes car les racines doivent absorber de l’eau et des nutriments pour leur permettre de vivre et de croître ». Mais, lors de son doctorat à l’Université de Lausanne, Alice Berhin fait une découverte très surprenante. Alors qu’elle étudie l’expression des gènes impliqués dans la formation de la cuticule d’une plante modèle, Arabidopsis thaliana, elle découvre que ces mêmes gènes sont également exprimés dans les cellules de la coiffe, zone située au bout des racines des plantes. « C’était totalement inattendu ! Nous avons alors utilisé un microscope électronique pour observer cette zone et nous avons constaté qu’il y avait bel et bien une cuticule qui recouvrait la coiffe au bout des racines de cette plante et des autres plantes que nous avons observées », explique Alice Berhin. Un « détail » qui avait échappé à la communauté scientifique alors que les racines des plantes sont largement étudiées depuis le 19e siècle et que le microscope électronique est utilisé depuis des dizaines d’années pour les observer. Les résultats obtenus par la jeune scientifique ont été publiés dans la prestigieuse revue Cell en février 2019 et lui valent aujourd’hui le Prix Schäfli de Biologie de l’Académie suisse de Sciences naturelle.

Les mois qui ont suivi cette découverte, Alice Berhin les a consacrés à comprendre notamment la fonction de cette cuticule présente sur le bout des racines des jeunes plantes. « Dans cette zone, les cellules des racines se divisent afin de permettre à la racine de grandir. La cuticule permet de limiter ce qui entre et sort dans cette zone pour protéger le bout des racines », indique Alice Berhin. « Lorsqu’on met, par exemple, du sel alors que la cuticule est présente, les cellules de cette zone sont peu affectées. Mais si la cuticule est absente, beaucoup des cellules meurent à cause de la présence du sel ». Une autre fonction de cette cuticule « racinaire » constatée par la chercheuse est la lubrification des zones où des racines latérales poussent à partir de la racine primaire : « la présence de la cuticule aide les racines latérales à sortir correctement ».(voir schéma en bas de page)

Après sa thèse, Alice Berhin est revenue à l’UCLouvain où elle avait fait ses études de Bioingénieur. Elle a intégré le laboratoire du Professeur Charles Hachez en février 2020 pour étudier les trichomes glandulaires. « Je suis passionnée de manière générale par tout ce qui touche à l’adaptation des plantes à leur environnement et à leurs interactions avec ce dernier. Les trichomes sont les poils des plantes, tels que ceux que l’on observe facilement sur les orties par exemple. Et les trichomes glandulaires sont des poils qui produisent des composés comme les huiles essentielles ou des molécules d’intérêt pharmaceutique ». La chercheuse s’attèlera à comprendre comment ces poils se développent en vue de pouvoir peut-être un jour trouver le moyen d’augmenter le nombre de poils présent sur les plantes qui produisent des composés d’intérêt qu’on ne sait pour l’instant toujours pas reproduire de manière synthétique.

Publié le 20 mai 2020