Lutter contre les minerais du sang

 

Pour Magdalena Krukowska, Bernheim Fellow in Social Responsibility (Chaire Hoover, UCL), le règlement que l’Union européenne va adopter ne suffira pas à affaiblir le lien entre guerre et minerais.

L’UE représente un quart du commerce mondial d’étain, tungstène, tantale et or. Extraits en grandes quantités en République démocratique du Congo, ces minerais y sont la principale source de revenu des groupes armés. Depuis les années 90, les conflits y ont fait au moins 5 millions de victimes.

Plusieurs initiatives ont été prises en vue de rompre le lien entre guerre et minéraux. La plus connue est l’article 1502 du Dodd-Frank Act de 2013 aux États-Unis. Il exige des entreprises américaines cotées d’effectuer des vérifications dans leurs chaines d’approvisionnement. Elles doivent déterminer si leurs achats ont profité aux groupes armés de RDC. Elles doivent alors faire rapport des mesures prises auprès de la Commission fédérale de « security and exchange » (la SEC).

À l’issue d’une longue procédure, les institutions européennes ont abouti elles aussi le 22 novembre dernier à un accord sur un texte de règlement allant dans le même sens. Il impose aux importateurs de ces minerais issus des zones de conflit un devoir de diligence raisonnable dans le contrôle de leurs fournisseurs. Ce texte doit être soumis au Parlement européen en ce début 2017. Il s’agit d’une avancée majeure car grâce à la pression des parlementaires européens, le système prévu va au-delà d’une certification volontaire.

Pourtant, son impact risque d’être limité, pour deux raisons. D’une part, ce règlement ne s’imposera qu’aux importateurs de minéraux bruts, et non aux producteurs et importateurs de produits de consommation qui les incorporent. Or, bien que l’UE importe un quart des minéraux du sang, elle n’héberge qu’un vingtième des fonderies mondiales qui les travaillent. Il se pourrait donc bien que le règlement ait pour effet que les fabricants européens d’électronique et d’autres biens aillent simplement s’approvisionner en métaux auprès de fournisseurs situés hors de l’UE et qui ne seraient pas soumis à une telle règlementation.

D’autre part, - et ceci importe plus encore – le règlement européen ne traite pas des problèmes de corruption, de commerce illégal et de mal-gouvernance présents dans un pays comme la RDC. Or ils constituent les raisons principales pour lesquels l’argent issu du secteur minier ne nourrit pas seulement la guerre. Il enrichit aussi personnellement les officiers supérieurs de l’armée, les membres des autorités et des élites locales. Souvent avec la complicité d’intermédiaires commerciaux étrangers qui investissent dans le pays.

Il est donc essentiel que l’UE ne s’arrête pas en si bon chemin. Elle doit s’attaquer aussi aux questions de gouvernance dans des pays comme le Congo. Cela pourrait passer par des sanctions ciblées sur des membres hauts placés de l’appareil d’Etat ou des forces de sécurité responsables de violations des droits humains. Cela pourrait aussi se faire par la suspension des programmes d’aide non-humanitaire, visant les secteurs de la justice ou de la sécurité. Enfin, l’UE devrait aussi mettre en place un mécanisme efficace permettant d’éviter des opérations financières douteuses d’entreprises européennes au Congo ou de corruption des responsables locaux.

L’aide européenne devrait cibler la société civile congolaise et contribuer à défendre la liberté d’expression, d’association ou de presse. Une telle aide pourrait aussi jouer un rôle significatif dans l’éducation des communautés locales dont les perspectives d’emploi n’offrent pas d’alternative à l’activité minière.

Une bonne illustration d’une telle approche est l’Alliance du Virunga qui a pour objectif de promouvoir la paix et la prospérité via un développement économique responsable au sein du Parc National des Virunga. Cela se traduit par des investissements dans des infrastructures d’énergie renouvelable, la formation des locaux aux techniques d’agro-industrie, l’éducation des enfants et la création d’emplois dans le tourisme. De telles initiatives ont besoin de soutiens extérieurs.

Le nouveau règlement sur les minéraux du sang constitue donc un pas en avant en vue de réels changements sur le terrain mais d’autres mesures sont nécessaires en sus si l’on veut faire une différence significative.

Auteur : Magdalena Krukowska. Cet article est paru dans La Libre Entreprise du 7 janvier 2017.

La vidéo ci-dessous a été réalisée par Magdalena Krukowska.

 

Publié le 18 janvier 2017