Mères seules : fin de la stigmatisation ?

 

À Bruxelles, 1 famille sur 3 est monoparentale. Ce sont en majorité les mères (81%) qui élèvent seules leurs enfants, souvent de façon précaire. La situation juridique et sociale des mères seules a fortement évolué au fil du temps. La monoparentalité est devenue un modèle à part entière. Peut-on pour autant parler de la fin d’une stigmatisation? Pas si évident dans les faits. Des chercheur·es de l’UCLouvain font le point sur la question.

En Belgique, la vision de la famille est de plus en plus ouverte. Depuis la deuxième moitié du 20ième siècle, le regard porté sur les mères seules évolue. Malgré tout, elles se heurtent encore aujourd’hui à des normes contraignantes qui ne tiennent pas compte de leurs spécificités. L’Etat est ouvert mais pas assez protecteur. La précarité sociale des femmes monoparentales, amplifiée par le confinement, persiste pour beaucoup d’entre elles. Martin Wagener, Aurore François et Laura Merla croisent leurs approches sociologiques et historiques sur ce sujet dans le dernier numéro de « Sociétés en changement » de l’Institut d’analyse du changement dans l’histoire et les sociétés contemporaines. Rencontre avec le sociologue Martin Wagener, chercheur au sein du Centre Interdisciplinaire de Recherche Travail, Etat et Société (CIRTES).

Quelle est la situation de mères seules aujourd’hui ?

« Beaucoup d’entre elles vivent dans une situation précaire. 75% des familles avec enfants aidées par le CPAS sont monoparentales. Ce qui ne veut pas dire que toutes les mères seules sont pauvres. Elles sont nombreuses à travailler et à être indépendantes. Cependant, elles sont plus à risque. Le cadre juridique belge en la matière est assez progressiste mais dans les faits les mères monoparentales font face à des normes très contraignantes notamment en ce qui concerne le divorce. Par exemple, l’idéal d’une séparation à l’amiable occulte de multiples situations conflictuelles et violentes. Celles-ci sont considérées comme hors norme et donc peu encadrées. Ou encore le statut de cohabitant qui influence l’aide sociale alors que les relations entre partenaires relèvent de l’intimité des personnes. L’Etat organise un contrôle de la vie privée qui enlève beaucoup de légèreté dans la construction d’une nouvelle vie à deux. Un nombre important de femmes qui élèvent seules leurs enfants revendiquent une autonomie financière et ne souhaitent pas nécessairement une recomposition familiale, un retour à l’idéal de la famille nucléaire. Elles vivent en couple mais séparément. Par ailleurs, les politiques sociales déployées montrent que les mères seules subissent des inégalités et des discriminations, notamment en matière d’emploi, qui les fragilisent ».

Une vulnérabilité accentuée par le confinement ?

« La crise a en effet amplifié la précarité des mères seules. Certaines étaient dans l’impossibilité de télétravailler, sans solution de garde des enfants par les grands-parents. D’autres ont perdu leur emploi, dans l’Horeca notamment. La situation particulière des familles monoparentales a été peu considérée dans la gestion de la pandémie. Or, par rapport aux ménages duoparentaux, elles représentent 32,2% à Bruxelles, 30,4% en Région wallonne et 21,8% en Région flamande. Les mesures sanitaires qui ont été prises faisaient référence à une image de la famille très traditionnelle : un couple, deux enfants, dans une maison avec un jardin… Un modèle bien loin de la réalité. Il n’y avait hélas pas beaucoup d’experts en sciences sociales et humaines pour orienter les décisions ». 

Quelles mesures politiques pour une meilleure reconnaissance des mères seules ?

« Il ne faut pas une grande révolution. Il est important que les dirigeants se donnent les moyens de garantir à toutes et tous une protection légale, un traitement égal et l’accès à des services de soutien adaptés, en tenant compte des diversités familiales et des différentes formes de vulnérabilité sociale. Développer une politique spécifique pour les familles monoparentales n’a pas de sens. Elles sont difficiles à cibler. Je parlerais d’une spécificité belge pour qualifier l’approche politique: « l’universalisme avec adaptation ». Par exemple ? Garantir aux mères seules l’accès aux crèches ou à des structures d’accueil extrascolaire de qualité. En réalité, toutes les politiques qui aident les femmes en général par rapport à l’emploi, à la vie familiale, à l’autonomie ou à l’émancipation soutiennent aussi les familles monoparentales. D’où l’idée d’universalisme. Il s’agit de construire un Etat qui offre une protection sociale plus respectueuse des parcours individuels ».

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Publié le 28 juin 2021