Piscines nucléaires, gare à l’évaporation !

 

Le combustible usé des centrales nucléaires passe un temps plus ou moins long… en piscine ! A Fukushima, celles-ci contenaient près de quatre fois plus de matières radioactives que les six réacteurs du site. Lors de l’accident, elles ont été à deux doigts de libérer ces matières dans l’air. Depuis, les autorités s’intéressent davantage à ces piscines. L’équipe du Professeur Miltiadis Papalexandris étudie les phénomènes qui s’y déroulent.

Le combustible usé (lire l’encadré) d’une centrale nucléaire est entreposé dans des piscines proches des réacteurs qu’il a alimentés. Ce combustible est en effet radioactif et dégage de la chaleur. L’eau, pour sa part, arrête les rayonnements et absorbe bien la chaleur dégagée. Ces piscines de stockage sont aussi appelées piscines de désactivation car les éléments très radioactifs du combustible peuvent y perdre rapidement une bonne part de leur radioactivité et disparaitre. Ces piscines sont en général profondes d’une douzaine de mètres et munies de grilles dans lesquelles viennent s’insérer les crayons de combustible (des pastilles d’uranium enrichi empilées dans des gaines d’alliage de zirconium). Ces crayons en forme de barreaux ont en général 4 m de haut, ce qui laisse un confortable matelas d’eau d’une hauteur de 8 m au-dessus d’eux.

Un système de stockage pas infaillible

« Jusqu’il y a une dizaine d’années, explique le Professeur Papalexandris, de l’Institut de Mécanique, Matériaux et Génie civil et de l’Ecole Polytechnique de Louvain, on s’est peu intéressé à ces piscines de stockage. C’est l’accident de Fukushima qui a attiré l’attention sur elles. » Comme la chaleur se dégage en continu, il faut pomper l’eau pour la remplacer en permanence par de l’eau plus froide. Et si ce mécanisme bien huilé s’interrompt ? Si le niveau de l’eau descend petit à petit jusqu’à ce que les crayons de combustible soient à l’air libre, plusieurs phénomènes dangereux se produisent. Tout d’abord, les rayons gamma qui s’échappent du combustible ne sont plus arrêtés par l’eau et se répandent donc dans l’air de la piscine, interdisant toute approche de celle-ci. Ensuite, n’étant plus refroidis par l’eau, les crayons combustibles s’échauffent et, au contact de l’air, le zirconium des gaines s’oxyde et peut prendre feu sous l’effet de la chaleur avec risque de rejet d’éléments radioactifs. C’est le risque que l’on a couru à Fukushima en mars 2011 dans deux piscines proches des réacteurs 3 et 4 : la centrale étant dépourvue d’électricité et ayant subi des destructions à cause du tsunami, il n’y avait plus moyen de pomper l’eau chaude pour la remplacer par de la froide. Le niveau a baissé, les radiations ont augmenté, interdisant toute approche (même par hélicoptère, les pilotes devaient voler trop haut). Il a donc fallu remplir ces piscines au jugé à l’aide de puissantes lances à incendie. La situation à ce niveau a pu être maîtrisée au bout de quelques jours et des vidéos prises dans les semaines qui ont suivi ont montré que les crayons combustibles entreposés dans les piscines de désactivation n’ont pas été dégradés et qu’ils n’ont pas conduit à des rejets de produits radioactifs.
« Il n’en reste pas moins, constate Miltiadis Papalexandris, qu’on a pris conscience du risque que représentaient ces piscines alors que l’attention était auparavant surtout focalisée sur les réacteurs. Comment mieux faire face à des accidents de ce type ? » Une question d’importance car, on l’ignore souvent, il y a plus de matières radioactives dans ces piscines que dans le cœur des réacteurs : à Fukushima, elles contenaient près de 4 fois plus de matières radioactives que les 6 réacteurs du site !

Quels scénarios en cas de panne?

Le Ministère fédéral belge de l’énergie et du développement durable a donc financé, via le Fonds de Transition Énergétique, un programme de recherches qui a débuté en novembre 2020. Ancien doctorant du professeur Papalexandris, Vincent Deledicque, aujourd’hui branch manager à Bel V, la filiale technique de l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire (AFCN) en charge des contrôles réglementaires et des évaluations de sûreté dans les installations nucléaires belges, s’est tourné vers l’UCLouvain pour s’attaquer à ce problème, en collaboration avec l’Institut français de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN). « Il y a beaucoup de phénomènes physiques qui se produisent simultanément dans ces piscines, notamment lorsque l’eau n’est plus refroidie. On ne les connaît pas tous. C’est un de nos objectifs, explique le Professeur Papalexandris. Nous étudions notamment ce qui se passe à le frontière air-eau ainsi que les phénomènes de convection thermique turbulente qui se produisent lors de l’évaporation. Notre but est de donner des estimations de temps d’évaporation en fonction de divers scénarios. » Car même si les centrales ferment, les piscines, elles, vont perdurer plusieurs années après leur fermeture !

Henri Dupuis

Coup d'oeil sur la biographie de Miltiadis Papalexandris
Miltiadis Papalexandris est diplômé en architecture navale et ingénierie marine de l’Ecole Polytechnique d’Athènes en 1991. Il part ensuite aux Etats-Unis où il décroche d’abord un diplôme en aéronautique au California Institute of Technology (Caltech) en 1993 avant d’y défendre sa thèse de doctorat en Aéronautique et mathématiques appliquées (1997)
De 1998 à 2002, il travaille au Jet Propulsion Laboratory de la NASA dans le domaine des télescopes spatiaux. Il rejoint l’UCLouvain en 2002; il y est Professeur ordinaire depuis 2018 et enseigne la mécanique des fluides et la thermodynamique au sein de l’Ecole Polytechnique de Louvain. Il encadre également son équipe de recherche au sein de l’Institut de Mécanique, Matériau et génie Civil (https://uclouvain.be/en/research-institutes/immc).

Le combustible usé

Même si elle dépend de la quantité initiale de combustible fissile (uranium, plutonium,…) et de la durée d’utilisation, la composition du combustible nucléaire usé peut être schématisée. Prenons l’exemple d’une tonne d’uranium enrichi à 3,5% (cas fréquent). Cela veut dire que le combustible se compose de 965 kg d’uranium 238 (238U, l’isotope le plus répandu de l’uranium, non fissile) et de 35 kg d’235U, l’isotope fissile. Au bout de 3 ans de production d’électricité, il restera 941 kg d’238U mais seulement une dizaine de kg d’235U. A cela s’ajoutent des nouveaux éléments produits par l’irradiation du combustible : une trentaine de kilos de produits de fission, surtout du plutonium, des actinides, c’est-à-dire des noyaux plus lourds que l’uranium, essentiellement du plutonium mais aussi du neptunium, etc et des produits d’activation (matériaux irradiés).
Comme la charge d’un réacteur dure environ 3 ans, le renouvellement se fait par tiers chaque année. L’ensemble de l’opération se fait sous eau. Les crayons de combustible passent ainsi du cœur à la piscine du réacteur puis dans une piscine d’entreposage (objet de cet article) où ils restent au moins un an. La fonction de l’eau est d’arrêter les rayonnements (donc protéger les opérateurs) et de refroidir le combustible.
Le sort de ce combustible diffère selon l’usage. Soit il est retraité (séparation du plutonium et de l’uranium) pour servir à nouveau de combustible. Dans ce cas, il ne reste qu’un an en piscine environ puis est transporté vers une usine de retraitement. Soit il n’est pas retraité et peut alors demeurer en piscine plusieurs dizaines d’années… en attendant une décision quant à la manière de le stocker définitivement.

 

Publié le 28 avril 2021