Proclamation 2022 : discours de Monsieur Herman Van Rompuy

DRT Louvain-La-Neuve

Le jeudi 8 septembre 2022 se tenait la cérémonie de proclamation du Master en droit.

L'Europe, la jeunesse et l'avenir

Cette promotion était placée sous le parrainage de Monsieur Herman Van Rompuy,
Président émérite du Conseil européen et Ministre d'Etat.


Monsieur le Recteur,
Madame la Vice-rectrice,
Messieurs les doyens,
Monsieur le président de l’Institut,
Mesdames et Messieurs les professeurs et assistants,
Mesdames les membres de l’administration,
Mesdames et Messieurs les jeunes diplômés,
Mesdames et Messieurs,

Je reste reconnaissant à l’UCLouvain d’avoir été la première à me conférer le titre de docteur honoris causa, il y a douze ans. Je suis reconnaissant aux étudiants de m'avoir demandé de prendre la parole aujourd'hui en tant que parrain de cette promotion en droit. Je ne suis moi-même qu'un bachelier en droit ! Entre-temps, j'ai été professeur invité à l'UCL pendant de nombreuses années et j'ai pris la parole ici à de maintes reprises. Je me sens un peu chez moi ici. Je suis également chez moi en Europe, dont je suis devenu un militant dès l'âge de 16 ans, pendant mes années de collège. À cette époque, la cause européenne était une idée enthousiaste. Elle a séduit les jeunes de l'époque. Nous sommes maintenant presque 60 ans plus tard. Aujourd'hui, l'Union fait partie de notre ADN. Elle est tellement imbriquée dans notre vie quotidienne qu'elle est exposée aux critiques, surtout en ces temps de crise permanente et d'énorme incertitude. Et pourtant, notre avenir réside dans plus d'Europe, pas dans moins.

La paix était la principale raison de la création de l'Union. L'Europe a été fondée après les dizaines de millions de morts de la Seconde Guerre mondiale. J'appartiens à la génération de la paix. Moi-même, je n'ai jamais connu la menace de la guerre. Il n'y a jamais eu de combat au sein de l'Union. Il y a eu des combats dans les Balkans occidentaux et chez nos partenaires orientaux, l'Ukraine en premier lieu. J'étais président du Conseil européen lorsque la révolte de la place Maidan à Kiev a éclaté à la fin de 2013. Entre 2014 et le 24 février de cette année, 13 000 personnes étaient déjà mortes. Une guerre insensée menée par le nationalisme nostalgique de la Russie. Il s'agit d'un nationalisme fondé sur un sentiment de supériorité, et non sur la fierté de sa propre langue et de sa propre culture. L'Union est constituée de nombreuses cultures diverses, mais également d'une unité autour de valeurs. L'Union, pour sa part, a laissé le passé derrière elle, y compris le passé des empires de nos grands États membres. Nous ne pouvons pas changer le passé. Mais nous pouvons changer l'avenir. De votre vivant, l'Union s'élargira encore et englobera presque toute l'Europe continentale, à l'exception de la Russie. Le Brexit est un anachronisme. Celui qui est en faveur de l'Union est en faveur de la paix. Une idée toujours jeune. Chacun d'entre nous veut vivre une vie normale, loin de la violence et de la dégradation. Même sans guerre, une vie normale est déjà suffisamment difficile.

L'Union est l'outil le plus puissant contre la plus grande menace qui pèse sur le genre humain : le changement climatique. Nous avons vu les ravages qu'il a provoqué en Wallonie l'été dernier. La Flandre est menacée, à terme, par l'élévation du niveau de la mer. Nous sommes littéralement dans le même bateau et dans la même tempête. L'Europe veut être le premier continent neutre sur le plan climatique d'ici à 2050. Les États membres en ont convenu dans la législation européenne. Au niveau mondial, il y a les accords conclus avec 190 pays à Paris et à Glasgow. L'Union a parlé d'une seule voix lors de ces conférences. La mise en œuvre incombe aux États membres et, dans un certain nombre d'entre eux, aux régions, comme dans notre propre pays. L'Union a réduit les émissions de gaz à effet de serre d'un quart depuis 1990, bien que l’ économie ait augmenté de 60 %, mais ce n'est pas suffisant. Le Green Deal était le projet le plus important de l'Union avant la pandémie, la guerre et la pénurie d'énergie. Il en restera ainsi, même si nous devons faire quelques concessions à court terme pour nous assurer que nous survivrons tous à l'hiver. Le climat n'est pas seulement une question de pouvoirs publics. C'est notre affaire car elle concerne nos vies. Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour le climat mais demandez ce que nous pouvons faire ensemble. En 2019, il y a eu une révolte des écoliers et des étudiants. Nous ne pouvons pas vivre dans une société bloquée.

L'Union veut être la patrie de la démocratie. Elle veut être une Union de valeurs. Ceci est d'autant plus important face à l'axe autoritaire Russie-Chine et à peine un an et demi après la prise d'assaut du Capitole. C'est pourquoi l'Union prend également des mesures contre les gouvernements des États membres qui violent les principes de l'État de droit. Deux pays ne recevront plus d'argent européen pour cette raison précise. Les sommes en jeu sont énormes. L’enjeu aussi. Dans les autres pays, nous devons travailler à accroître la confiance dans nos institutions, en particulier chez les jeunes. Lors des dernières élections pour le parlement français, 70% de la jeune génération est restée à la maison. La confiance à l’égard de nombreuses institutions et organisations est en déclin, tout comme la confiance entre les personnes. La peur, l'insécurité et les inégalités rejettent les gens sur eux-mêmes. Un individu seul voit plus facilement ses ennemis et est plus sensible aux messages et aux émotions négatives. Les nombreuses crises survenues depuis 2008, à commencer par celles des banques et de l'euro, suivies du terrorisme, des catastrophes climatiques, de l'immigration irrégulière massive, de la pandémie, de la guerre et de l'inflation, ont renforcé ces tendances. Les forces politiques doivent collaborer davantage pour obtenir de meilleurs résultats. Nous ne devons pas considérer la démocratie comme acquise pour toujours. Les extrémistes de toutes sortes ne sont pas pour la liberté. Seule une politique performante axée sur la justice, l'innovation, le climat et l'intégration, peut inverser la tendance.

Le monde d'aujourd'hui est plus complexe et plus dangereux qu'il y a quelques années. La méfiance entre les acteurs mondiaux est plus grande qu'à l'époque de la guerre froide. Dans ce nouveau monde, l'Union cherche sa place. Elle recherche la compagnie de pays partageant les mêmes valeurs, mais elle reste ouverte au dialogue et à la coopération avec les autres. Nous restons favorables à un commerce ouvert, mais il doit être équitable. Nous voulons protéger notre modèle sans être protectionnistes. Nous voulons la paix mais dans le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de chaque pays. Nous ne voulons imposer notre système social à personne, mais personne ne nous empêchera d'exprimer notre opinion sur ce qui se passe ailleurs. Nos pensées sont libres.

L'Union veut rester compétitive dans une économie mondiale hyperconcurrentielle. C'est pourquoi nous investissons dans les domaines où nous sommes à la traîne et risquons de perdre notre souveraineté. Je pense à l'intelligence artificielle, aux semi-conducteurs, au traitement des données, aux batteries et autres. Il y a quelques années, il n'y avait pas une seule entreprise européenne parmi les plus grandes entreprises numériques du monde. Nous devons être inventifs et innovants. Nous devons renforcer encore davantage le climat autour de nos universités afin de pouvoir transformer nos connaissances en initiatives. “Plus” est en nous. Nous pouvons le faire à notre manière, en tenant compte de nos valeurs humanistes et de la qualité de la vie. Cela aussi fait partie de la soutenabilité.

Dès le depart, l'Union était un projet de paix et de liberté. C'est bien plus qu'un marché commun ou une monnaie commune, aussi importants soient-ils. L'Union est une nécessité dans le monde d'aujourd'hui afin de promouvoir nos valeurs et nos intérêts. Mais à mon avis, l'Union est aussi l'incarnation de la plus belle chose qui existe entre les hommes : travailler ensemble et vivre ensemble, au-delà des différences de 27 histoires, 24 langues et cultures. Il est possible de s'améliorer dans tous les domaines. Beaucoup de choses doivent être repensées encore et encore, mais l'essentiel, ce dont il s'agissait au départ, demeure.

J'espère avoir pu vous transmettre un peu de ma conviction et de mon enthousiasme inaltérable.

Publié le 09 septembre 2022