Course à pied : dompter frictions et virages !

Pour gagner des millièmes de secondes et battre des records, le moindre détail compte. Comme limiter la friction de l’air ou le coût énergétique d’un virage. Deux aspects étudiés par nos chercheurs. Leurs résultats permettront aux athlètes de construire de nouvelles stratégies de course ou d’entraînement, et d’améliorer ainsi leurs performances.

Ce week-end on saute à pied joint dans le célèbre Mémorial Van Damme à Bruxelles. Au programme 32 disciplines et des athlètes qui cherchent à se qualifier pour les Championnats du Monde 2025 de Tokyo. C’est ici que des records du monde sont régulièrement battus ! « Pour battre des records, les athlètes profitent de la présence de lièvre (ou pacer), leur permettant de courir une partie de la course en groupe, un peu plus à l’abris du vent », expliquent Arthur Dewolf et Raphael Mesquita, chercheurs au laboratoire de biomécanique et physiologie de la locomotion à l’UCLouvain. Bien que les lièvres (pacers) soient une composante courante des courses d'élite, leur avantage en termes d'aspiration pour un athlète a été assez peu étudié.

Récemment, Arthur Dewolf, Raphael Mesquita et leurs collaborateurs ont étudié l’impact du vent sur la performance en course à pied. Pour ce faire, ils ont demandé à des athlètes de courir dans un tunnel à vent dans diverses conditions (sans vent, et avec des vents de face ou de dos allant jusqu’à 50 km/h). « On en parle beaucoup en cyclisme alors que la résistance de l’air n’est que très peu prise en compte dans la course à pied. Même si cet impact est moins important, il peut devenir significatif pour la performance », explique Arthur Dewolf. « Lors de la finale du 100 mètres sprint aux Jeux Olympiques de Paris, la médaille d’or masculine s’est joué à cinq millièmes de secondes. Une légère amélioration de l’aérodynamisme aurait probablement pu faire la différence ». De façon assez logique, lorsqu’on diminue la surface de contact avec l’air, la friction diminue. D’où l’importance de porter des vêtements adaptés, aérodynamiques, avec des matières permettant une meilleure pénétration dans l’air. « On voit régulièrement, lors des épreuves, des athlètes qui courent avec des chaînes en or ou les cheveux détachés. Comme lors du 200 mètres féminin où la troisième place s’est jouée à un cheveu (4 coureuses en moins de 4 centièmes) pour une coureuse qui ne les avait pas attachés ! Cela a forcément augmenté les frictions de l’air et très légèrement ralenti sa course », souligne Arthur Dewolf.

Mais quel est le rapport entre courir derrière un lièvre (drafting) ou en groupe (clustering) et les frictions de l’air ? Une question d’aspiration ! Courir en groupe permet en effet de créer un phénomène d’aspiration tel que celui observé dans les pelotons de cyclisme. Cet effet permet aux cyclistes de limiter la friction et d’économiser plus de 60% d’énergie en comparaison à un même trajet effectué individuellement. « Côté course à pied, le gain d’énergie n’est pas aussi spectaculaire mais il peut aller tout de même de 5 à10% d’énergie lorsque les coureurs avancent groupés », révèle Raphael Mesquita.

Le marathon ou la course de l’heure sont vus comme des sports individuels mais les coureurs auraient donc tout intérêt à collaborer et courir en groupe sur une partie du parcours avant de se séparer pour tenter de battre un record !

400 mètres : le virage redouté

Toujours dans la course à pied, les chercheurs se sont penchés également sur les contraintes mécaniques subies par les athlètes dans les virages. « Cette recherche a découlé initialement d’une discussion avec un entraineur national soulignant le fait que les athlètes sortent très fatigués du deuxième virage du 400 mètre », explique Arthur Dewolf.

« Dans la course à pied il y a différentes phases : une phase de contact avec le sol et une phase aérienne. Pour les virages, c’est-à-dire pour changer de direction, cela ne peut se faire que lorsque le pied est au sol. Pendant cette phase de contact, il faut solliciter des groupes musculaires précis et différents de la course en ligne droite pour réorienter la trajectoire », explique le scientifique.

Pour comprendre pourquoi ce deuxième virage est si fatiguant pour les athlètes, Arthur Dewolf et Raphael Mesquita ont évaluer les contraintes mécaniques s’appliquant sur les athlètes. Ils ont ainsi pu mettre en évidence que, à haute vitesse, le coût mécanique d’un virage est de 10 à 15% supérieur par rapport aux lignes droites. C’est la première fois que cela est quantifié ! La fatigue plus spécifiquement observée lors du deuxième virage est due à la répétition de cet effort.

Les chercheurs ont également comparé ce qu’il se passe au niveau des deux jambes, celle à l’intérieur du virage et celle à l’extérieur du virage. Et les scientifiques ont également observé que dans un virage les deux jambes ont des rôles bien distincts : la jambe extérieure propulse majoritairement le centre de masse vers l’avant alors que la jambe intérieure redirige la trajectoire du centre de masse. C’est assez contre-intuitif. », révèle Arthur Dewolf. « Il nous reste maintenant à décortiquer articulation par articulation ce qui se produit lors de ces virages ».

Les résultats obtenus dans le cadre de ces deux études vont permettre de conseiller les athlètes pour les aider d’une part à limiter l’impact des frictions sur leurs performances et à mettre au point de nouvelles stratégies de course qui en tiennent davantage compte. Mais aussi, pour les athlètes que cela concerne, à créer des programmes d’entraînement qui pourront renforcer les groupes musculaires adéquats pour la gestion des virages.

Publié le 13 septembre 2024