Masculinités non-hégémoniques : des configurations ambigües et plurielles
Les recherches sur les masculinités, font partie d’un champ d’étude qui ne cesse de croître depuis une trentaine d’années partout dans le monde. S’insérant pleinement dans la lignée des études de genre et des études sur la sexualité, elles participent à l’enrichissement des réflexions sur les rapports sociaux de sexe. Si les études de genre ont démontré la multiplicité des formes de féminités et de masculinités, il faut néanmoins dépasser une approche essentiellement typologique afin de mieux comprendre la construction du genre en tant que dynamique sociale et processus relationnel (Connell, 1995). En ce sens, Raewyn Connell a développé depuis le début des années 1980 sa théorie sur la masculinité hégémonique et les différentes relations au sein des masculinités, soulevant la question des relations de pouvoir comme vecteur d’une dialectique constante au sein des relations de genre. Cette approche relationnelle permet de comprendre la complexité et l’ambigüité des processus en œuvre dans la formation des configurations de genre.
Que nous apporte encore aujourd’hui ce cadre théorique et comment est-il mobilisé et réapproprié par la communauté scientifique ? Sous l’intitulé Masculinités non-hégémoniques : des configurations plurielles et ambiguës, ce colloque se concentrera sur la question des différentes masculinités dans nos sociétés, en s’attachant principalement aux figures non-hégémoniques (subordonnées, complices et/ou marginales) et aux relations qu’elles entretiennent avec l’hégémonie. Si les masculinités peuvent également être utiles pour appréhender les expériences des « femmes », ce colloque se concentrera particulièrement sur les expériences des « hommes ». L’objectif sera de travailler sur les nouvelles perspectives proposées par des chercheur.e.s qui, au départ de différentes méthodologies, questionnent les représentations des masculinités et leurs expériences subjectives. Les masculinités ne posent pas les mêmes questions aux disciplines qui les interrogent ; quels sont les terrains d'entente et les constructions communes qui peuvent être trouvés ? Une approche interdisciplinaire sera privilégiée et chaque session sera composée d’intervenant.e.s provenant de disciplines variées (la sociologie, l’anthropologie, l’histoire et la psychologie sociale) afin d’encourager le dialogue et d’approfondir nos regards.
Le colloque débutera le 15 mai autour d’une présentation magistrale qui posera les bases théoriques et les enjeux socio-politiques qui se trouvent derrière le genre, et plus particulièrement autour de la question des masculinités. L’intervention sera suivie le lendemain par une journée composée d’une conférence abordant l’étude des masculinités depuis une approche intersectionnelle, ainsi que de trois sessions thématiques, privilégiant chacune un angle de vue lié à des questions centrales dans la construction genrée des individus dans nos sociétés contemporaines.
La première session, intitulée « Expériences du corps et de sexualité au-delà de l’hétéronormativité » se concentrera sur la matérialité avec laquelle se construisent nos pratiques et expériences sexuées. Pour Raewynn Connell l’idée qu’il existe une « masculinité réelle », à savoir une image de l’homme « naturel » hétérosexuel et profondément masculin qui est généralement comprise comme provenant du corps des « hommes », est fortement ancrée dans nos sociétés (Connell, 1995 : 45). Il s’agira de bousculer cette croyance hétéronormative en interrogeant l’expérience que les personnes ont de leur corps et de leur sexualité. La session mettra en avant leurs conceptions variées de la masculinité, et illustrera comment cette pluralité est articulée dans les relations au sein des différents types de masculinités.
La seconde session, « Pratiques de paternité/parentalité et normes de masculinité, exploration en marge » reviendra sur l’importance d’étudier les hommes et les masculinités dans leurs limites, ici la sphère domestique, espace traditionnellement associé au « féminin » (Hearn & Morgan, 2014; Morgan, 1992). Les quelques débats qui ont eu lieu sur le sujet ont porté sur la mise en perspective d’un type de pratiques de paternité, celles des hommes pourvoyeurs de soin, avec le modèle proposé par Connell : à quel type de masculinité faut-il les associer ? Ont-elles été absorbées par la masculinité hégémonique (Brandth & Kvande, 1998) ou sont-elles liées à la masculinité complice, parce que tout en revendiquant une parentalité égalitaire, ces pères ne se détachent pas complètement des modèles normatifs dominants (Plantin, Mansson, & Kearney, 2003)? D’autres défendent plutôt que les pères pourvoyeurs de soin voguent entre les différentes formes de masculinité et qu’il serait vain de chercher des associations univoques et définitives (Doucet, 2006). Cette session s’ancrera dans le prolongement de ces réflexions, partant d’autres types de pratiques de paternité/parentalité pour chercher à les situer par rapport aux différentes formes de masculinité.
Enfin, la dernière session « Idéaux religieux de masculinité » tentera de voir comment les masculinités sont ou ont été expérimentées au sein des religions. Indépendamment de la confession, comment les rôles et représentations des masculinités « religieuses » se réfèrent-ils au(x) modèle(s) de masculinité hégémonique qui domine(nt) dans la société séculière ? Le discours sur les rôles sexués constitue un enjeu primordial et constant pour la religion, considérée comme un des lieux clés où se défend et s’affronte l’inégale distribution du pouvoir (Woodhead, 2012). La construction d'une masculinité se révèle dès lors un moyen efficace pour établir ou contester l'autorité au sein des organisations religieuses (Delap & Morgan, 2013). Comment les hommes négocient-ils dans leurs pratiques la normalisation de leur identité religieuse, afin de contrer l'image « efféminée » des croyants (Werner, 2011) ? Y a-t-il un idéal à atteindre pour le croyant (qu’il soit père, mari, travailleur, prêtre) ? Est-ce que les masculinités se construisent sur des oppositions binaires (avec les femmes, avec les laïcs, avec les athées) ? Peut-on y retrouver des éléments de la masculinité hégémonique ? Il s’agira de pointer la coexistence et la succession dans le temps de diverses normes et pratiques des masculinités (Van Osselaer, 2009), dans un dialogue interdisciplinaire.
Références :
Connell, R. (2014). Masculinités : enjeux sociaux de l'hégémonie, trans. M. Hagège and A. Vuattoux. Paris: Amsterdam.
Brandth, B., & Kvande, E. (1998). Masculinity and child care: The reconstruction of fathering. The Sociological Review, 46 (2), 293-313.
Connell, R. (1995). Masculinities. Cambridge & Oxford: Polity Press & Blackwell Publishers.
Delap, L., & Morgan, S. (2013). Men, masculinities, and religious change in twentieth century Britain. New York: Palgrave Macmillan.
Doucet, A. (2006). Do men mother?: Fathering, care, and domestic responsibility. University of Toronto Press.
Hearn, J., & Morgan, D. H. J. (2014). Men, Masculinities and Social Theory (RLE Social Theory) (Vol. 46), Routledge.
Morgan, D. H. (1992). Discovering men (vol. 3). Taylor & Francis.
Plantin, L., Mansson, S.-A., & Kearney, J. (2003). Talking and doing fatherhood: On fatherhood and masculinity in Sweden and England. Fathering, 1 (1), 3.
Van Osselaer, T. (2009). Christening Masculinity? Catholic Action and Men in Interwar Belgium. Gender & History, 21 (2), 380–401.
Woodhead, L. (2012). Les différences de genre dans la pratique et la signification de la religion. in M. Della Sudda et G. Malochet (eds), Pouvoirs, genre et religions, 51-52.
Werner, Y. M. (2011). Christian masculinity: men and religion in Northern Europe in the 19th and 20th centuries. Louvain: Leuven University Press.