Quand et pourquoi notre planète passe-t-elle d’une période chaude, interglaciaire, à une période glaciaire ? Qu’est ce qui enclenche les changements abrupts typiques de la fin de ces périodes ? Nos chercheurs ont montré qu’ils sont associés à un seuil dans l’énergie que le Terre reçoit du soleil ! À quand la fin de notre interglaciaire ? Quid du cumul avec les effets du réchauffement climatique ? Réponses de Qiuzhen Yin, Chercheure Qualifiée FNRS au Earth and Life Institute de l’UClouvain.
Pourquoi est-il important d’étudier les phénomènes liés à la fin des périodes interglaciaires ?
Nous sommes à présent dans une période chaude qu’on appelle interglaciaire. Cet interglaciaire a commencé il a environ 12.000 ans et il est extrêmement important de savoir quand il se terminera de manière naturelle. Pour ce faire, nous avons étudié les interglaciaires du dernier million d’années et leurs terminaisons. La fin de tous ces interglaciaires est caractérisée par des changements abrupts. Nous avons pu montrer que ces changements sont associés à un seuil dans l’énergie que la Terre reçoit du Soleil.
Qu’est ce qui explique que l’irradiation du soleil varie au cours du temps / Est-elle cyclique, pourquoi ?
L’irradiation solaire varie sur de longues périodes de temps à cause de la variation à long terme des éléments de l’orbite de la Terre et de son axe de rotation. Ces éléments sont ceux qui caractérisent la forme de l’orbite de la Terre, la position des saisons sur cette orbite, et l’inclination de l’axe rotation de la Terre. Les variations de ces éléments sont quasi-périodique et les périodes moyennes se montent à 100.000 ans (pour la forme de l’orbite de la Terre), 41.000 ans (pour l’inclination de l’axe rotation de la Terre), 23.000 et 19.000 ans (pour la position des saisons). Toutes ces variations induisent des variations plus ou moins similaires dans l’irradiation solaire.
Quand le prochain seuil d’irradiation devrait-il être atteint et mettre fin à notre période interglaciaire ?
A partir de l’analyses des 11 derniers interglaciaires, on a montré que lorsque l'irradiation estivale de l‘hémisphère nord diminue atteignant le seuil, un refroidissement fort et brutal survient dans l'hémisphère nord dû à un affaiblissement brutal de la circulation dans l’océan Atlantique. Notre analyse montre que la valeur du seuil n'est pas exactement la même pour tous les interglaciaires passés, mais se situe dans une fourchette étroite. Le prochain seuil se présentera dans 50.000 ans. Si ce seuil correspond aussi à la fin de notre interglaciaire, celui-ci devrait se terminer d’ici 50.000 ans. Cela montre que notre interglaciaire est exceptionnel par sa longueur, surtout si on le compare avec la longueur des interglaciaires précédents qui est de l’ordre de 10.000 à 20.000 ans. Nous insistons sur le fait que cette longueur n’a rien à voir avec l’impact possible des activités humaines sur le climat, mais est entièrement due aux variations des éléments astronomiques et de l’irradiation solaire qui en découle. Dans notre étude, la concentration en CO2 dans l'air est fixée à son niveau typique d’interglaciaire, 280 ppmv, à comparer aux 415 ppmv actuel.
Quels pourraient être les effets cumulés de la diminution de l’irradiation solaire et du réchauffement climatique pour notre planète ?
L’impact de réchauffement climatique sur le seuil lié à la fin d’interglaciaire est une question extrêmement difficile, parce qu’il dépend non seulement de la variation astronomique, mais aussi de la réponse non-linéaire du système climatique au réchauffement climatique. Une étude antérieur réalisée par André Berger et Marie-France Loutre de l'UCLouvain (Berger and Loutre, 2002, Science) a montré que notre interglaciaire durerait à peu près 50.000 ans en réponse aux seules variations astronomiques. Cette étude a aussi montré qu’une concentration en CO2 de l’ordre de 750 ppmv conduirait à la disparition totale de la calotte glaciaire du Groenland au cours des 10,000 prochaines années, laquelle se reconstruirait au cours de dizaines de milliers d’années suivantes sous l’influence d’une concentration naturel de CO2 (280 ppmv).
Quelles sont les pistes de réflexion qu’ouvrent les résultats que vous publiez dans Science ?
Pour étudier l’impact possible du réchauffement climatique sur la longueur de notre interglaciaire, il est impératif de commencer des simulations qui tiendront compte de comportement non seulement de l’atmosphère et de l’océan (ce que nous avons fait dans notre article publié dans Science), mais aussi des calottes glaciaires et du cycle du carbone (y compris l'impact de la végétation et du sol) et de leurs interactions avec le climat. Pour cela, il est important de développer des modèles climatiques qui intégrent les interactions des différentes composantes - du système climatique et qui sont capables de simuler correctement les cycles glaciaires-interglaciaires du passé. Il est donc primordial de bien distinguer l'impact des phénomènes naturels et de l'impact des activités humaines sur le climat.