Speeches "Adelle Blackett"

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Discours de Séverine Dinjar, directrice administrative de l'IRES, marraine d'Adelle Blackett

Monsieur le Recteur,
Chère Pr Blackett, chère Adelle,
Mesdames, Messieurs,

En 1919, sous l’égide du Traité de Versailles, est fondée l’Organisation Internationale du Travail (l’OIT). Elle se voit confier pour principaux objectifs de faire avancer la justice sociale et de promouvoir le travail décent, deux thématiques qui sont au centre de vos préoccupations, chère Madame Blackett, et qui sont vues comme des conditions incontournables à la construction d’un monde sans conflit et sans violence. Le préambule de la Constitution de l’OIT affirme ainsi :

« qu’une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale » ;

« qu’il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelle sont mises en danger » et « qu’il est urgent d’améliorer ces conditions » ;

Il est assez frappant de voir qu’un siècle après la rédaction de cette constitution, les termes de son préambule résonnent toujours avec autant d’à-propos et de pertinence.

Malgré les multiples initiatives qui sont prises et les avancées qui ont déjà eu lieu, le travail décent est encore loin d’être une réalité à travers le monde. L’effondrement du Rana Plaza ou les conditions de travail des ouvriers sur les chantiers de la coupe du monde du Qatar ne sont que des parties émergées d’un immense iceberg responsable de quelques 7.700 décès journaliers dus à des maladies professionnelles ou à des accidents du travail. Et ce sont, selon l’OIT, 780 millions de femmes et d’hommes qui travaillent sans parvenir à dépasser le seuil de pauvreté de 2 dollars par jour.

Cette justice sociale universelle semble donc toujours bien difficile à atteindre dans un contexte de mondialisation qui prend encore trop souvent la forme systémique d’un jeu à somme nulle dans lequel les pays du Sud global et leurs ressortissants font office de perdants au profit de ceux du Nord.

Même au sein de nos pays industrialisés, le travail décent et la justice sociale restent de vagues concepts pour de nombreuses personnes, en particulier pour les personnes racisées et migrantes. Parmi elles, se trouvent bon nombre de travailleuses et de travailleurs qui ont été qualifiés bien commodément d’essentiels pendant la pandémie de Covid-19 mais qui ne tirent avantage de ce rôle indispensable qu’ils occupent dans notre économie et dans nos sociétés que pour être maintenus en première ligne en période de crise, alors qu’ils sont au quotidien sous-payés, exploités dans les heures qu’ils prestent, sans papiers pour certains, et que le fruit de leur labeur ne leur permet pas de vivre dignement ou d’offrir un avenir avec de véritables perspectives à leurs enfants, perpétuant ainsi un déterminisme social déjà bien trop ancré.

Le combat pour poursuivre les objectifs fixés à l’OIT est donc loin d’être fini. Il requiert d’aller plus loin. Pour ce faire, vous nous invitez, Madame Blackett, à reconnaitre que les inégalités et l’exploitation sont systémiques, qu’elles font intégralement partie du modèle de commerce transnational qui est en place et ne sont pas uniquement le fruit de « mauvais élèves » qui ne seraient que des cas dysfonctionnant de ce modèle. Partant de ce constat, il vous semble essentiel de repenser de manière transnationale le niveau de régularisation du droit du travail et la manière dont celui-ci est mis en œuvre, de sorte qu’il puisse mieux intégrer les réalités de terrain. Au sein de ce processus, vous insistez sur l’importance de tenir compte des acteurs, et des luttes quotidiennes qu’ils mènent pour la reconnaissance de leurs droits dans une vision émancipatoire du droit du travail. Soutien de leur combat et actrice de la construction d’une dynamique de mondialisation qui soit équitable et axée avant tout sur la dignité humaine, vous mettez votre expertise au service de nombreuses organisations afin d’aider à développer des dispositifs capables de lutter contre les discriminations et de réellement protéger les travailleurs les plus vulnérables, ceux qui sont invisibilisés mais sur lesquels, vous, vous portez votre regard, des abus et de la violence.

 

Discours de Filip Dorssemont, professeur à la Faculté de droit, parrain d'Adelle Blackett

Chère Adelle, en effet cette édition des Doctorats Honoris Causa se place sous l’égide Face à la violence, la parole et l’image. Et la relation du travail est l’une de ces relations dans lesquelles un risque de violence, que ce soit physique ou morale, est toujours présent. Le travail est une grande abstraction, mais elle est indissociable de l’être humain qui doit le fournir. Or cet être humain, contrairement à la notion de sujet de droit, n’est pas dissociable de son corps.

Dans vos travaux scientifiques et dans votre service à la société qui concernent plus particulièrement ce que vous avez appelé les formes contemporaines de l’esclavage ainsi que le sort réservé aux travailleurs domestiques, vous avez fait preuve de courage, d’audace en qualifiant d’esclavage des formes de travail forcé. La Cour européenne des droits de l’homme a refusé de qualifier des situations de travail forcé d’esclavage, en se référant d’ailleurs à une définition de la Convention onusienne relative à l’esclavage de 1926. Cette convention définit « l’esclavage » en fonction de l’Institution de la propriété.Cette définition implique que l’esclavage est institué par le droit étatique privant certains êtres humains de la qualité de sujet de droit…

Adelle Blackett n’est pas tombée dans ce piège formaliste, qui ne permet que de constater que l’esclavage n’est plus organisé ou institué par aucun Etat, comme s’il fallait conclure par une fin de l’histoire. Plutôt que de calquer l’institution de l’esclavage sur celle de la propriété, Adelle Blackett nous suggère de calquer l’institution de la propriété de manière un peu Copernicienne sur l’institution de l’esclavage.

Il n’est pas discutable que la violence est omniprésente dans les relations du travail que vous avez étudiées. Face à cette violence, il y a des réponses. Il y a l’image et il y a les paroles. Les assemblées constituantes, les législateurs, les juges, les professeurs de droit ne produisent pas des images et on ne peut que s’en féliciter. Par contre, ils se servent de paroles, les seuls outils de leur métier, mais ces paroles ne sont pas dénuées de pouvoir.

Les paroles qui ont été mobilisées par Adelle Blackett relèvent du répertoire des droits humains. Il est devenu de bon ton de critiquer les organes de supervision internationaux et européens qui sanctionnent le respect des droits humains comme des restrictions de la souveraineté nationale. Mais pourquoi les citoyens devraient-ils défendre une souveraineté qui n’est exercée que pour violer leurs droits humains ? Pourquoi ne pas saluer l’idée d’un contrôle extérieur sur l’exercice de cette souveraineté ?

Les enseignements d’Adelle Blackett ont une pertinence particulière au moment où une Commission parlementaire spéciale chargée d’examiner l’Etat indépendant du Congo et le passé colonial de la Belgique, ses conséquences et les suites qu’il convient d’y réserver, se penche sur le Rapport des Experts. Le Rapport de ces experts, parmi lesquels figurent nos collègues Pierre-Luc Plasman et Valérie Rosoux, ne passe sous silence ni le travail forcé ni l’esclavage. Une lecture attentive permet donc de démystifier un récit problématique présentant la création de l’Etat indépendant du Congo comme une tentative de mettre terme à l’esclavagisme dit arabe et la reprise de cet Etat par la Belgique comme une tentative de mettre un terme à des pratiques de travail forcé. En réalité, des pratiques de travail forcé instituées par cet Etat indépendant ou tolérées par cet état se sont substituées à l’esclavagisme et ont continué jusqu’à la fin de cette période coloniale . La Belgique n’a ratifié la convention principale de l’OIT interdisant le travail forcé qu’en 1944.

On ne peut que constater que l’Etat belge, par le biais de son parlement, n’a pas encore daigné donner jusqu’à ce jour une suite quelconque aux constats incontestables et non contestés de ce rapport d’experts.

Adelle Blackett, vous avez été l’experte principale auprès du Bureau International du Travail de l’Organisation Internationale du travail dans le cadre des études et des travaux préparatoires qui ont conduit à l’adoption de la Convention n°189 sur les travailleuses et travailleurs domestiques. Dans votre livre Everyday Transgressions, vous avez témoigné de votre implication dans ces travaux. Le mot transgression peut être source de confusion, pour les adeptes de Jacques Lacan. Mais je ne peux pas vous cacher que la lecture de ce livre a été une source de jouissance intellectuelle, qui m’est apparue comme une transgression . A-t-on le droit de se procurer autant de plaisir en lisant un ouvrage rédigé par une juriste, évoquant des normes juridiques ?

J’espère que la longévité de votre mère que vous évoquez dans votre livre sera aussi la vôtre, que notre Université puisse continuer à collaborer avec vous et à vous accueillir.

Pour toutes ces raison, Monsieur le Recteur, nous avons l'honneur de vous demander de décerner à Madame Adelle Blackett le titre de docteure honoris causa de l'UCLouvain.

 

Discours d'Adelle Blackett, professeure de droit à l'Université McGill (Canada)

(à venir)