"Je est un autre", écrivait Rimbaud dans ses lettres dites "du voyant", datées de 1871. Hier comme aujourd'hui, cette affirmation cristallise une série de questionnements, que ce soit à propos du genre poétique, romanesque, de l'énonciation lyrique, narrative ou de leurs interactions. Plusieurs membres d'ECR tentent de repenser ces problématiques à partir d'angles variés, allant de l'analyse de la lyrique historique et contemporaine à la trouble indécision entourant l'espace générique des écritures de soi.
Notre groupe s'interroge sur ce que J.-M. Maulpoix a qualifié - entre autres - de "quatrième personne du singulier", un sujet qui serait à la fois (ou "ni...ni...") un sujet empirique et un sujet fictif. Quel est son statut ontologique, sémantique et pragmatique ? Dans quels genres littéraires opère-t-il et sous quelles formes ? Quels sont ses effets et ses apports ? Notre équipe questionne ainsi la réduction des problèmes du "sujet lyrique" au seul champ poétique, préférant peut-être, à l'instar de Ph. Hamon, parler de "textes à effet de sujet". Ce déplacement terminologique, dont le mérite est également ne pas réduire le problème à un seul aspect du "sujet", permet de repenser plus globalement la question de la subjectivité et de l'auctorialité, démarche nécessaire notamment depuis la (fausse) arrivée sur la scène critique du terme "autofiction" et de sa myriade de dérivés. "Sujet lyrique", "roman lyrique", "essai lyrique", "roman autobiographique", "autofiction", etc. sont autant d'hybridations et d'inventions de soi qu'il convient d'interroger, d'analyser et de clarifier, dans le but, peut-être, d'établir un continuum plus précis allant de l'autobiographie à la fiction.
Dans le cadre d'une réflexion plus ample sur le genre lyrique comme phénomène culturellement ancré, nous sommes par ailleurs amené.e.s à envisager la question de l'intertextualité, qui est très régulièrement sous-jacente, voire fondatrice, dans notre objet d'étude. L'étude des imaginaires occupe en ce sens une place fondamentale dans l'analyse de la lyrique contemporaine, donnant lieu à une réflexion de fond sur les intertextes qui parsèment la création littéraire, qu'ils soient mythiques, bibliques ou issus de jeux d'échos entre différentes traditions plus récentes.
La question de l'énonciation poétique implique également d'interroger les enjeux sociaux de l'expression lyrique. De cette manière, la poésie doit aussi être envisagée en dehors d'un carcan purement esthétique auquel elle semble devoir sa valeur symbolique. C'est selon cette perspective que nous nous attachons notamment à examiner la politique de l'esthétique (J. Rancière) propre au genre lyrique, en nous penchant, entre autres, sur différentes formes d'engagement littéraire.
Dans la continuité de cette réflexion sur le franchissement des limites du genre poétique traditionnel, la poésie expérimentale constitue un autre de nos domaines de recherche. L'hybridation dont il est question est cette fois une hybridation médiale, dans laquelle le genre lyrique sort des mécanismes éditoriaux traditionnels pour être exploré au travers de livres-objets, de performances, de poèmes documentaires ou d'autres créations multimédia. Cette dernière dimension transmédiale de la poésie peut se réaliser dans l’espace public. C’est à cet environnement particulier qu’a été consacré un colloque du centre ECR en 2015, ainsi qu’un numéro spécial de la revue Les lettres romanes [Poésie et espaces publics in Les lettres romanes - 71.3-4 (2017), pp. 187-377.]