Métavers: nouveau joujou pour geeks ou prochaine révolution grand public?

De plus en plus utilisé dans les médias, le terme « métavers » n’en reste pas moins nébuleux pour bien des citoyen·nes. Cet univers virtuel dans lequel le public sera totalement coupé de la réalité pourrait s’imposer dans les prochaines années. Pour cela, les géants du marché devront relever différents défis : technologique, énergétique, démocratique…. S’il offre de nombreux avantages (télétravail, lutte contre l’isolement, etc.), le métavers présente aussi divers risques (cybersécurité, santé mentale, etc.). Pour y voir plus clair, l’UCLouvain propose les éclairages de 6 expert·es UCLouvain aux spécialisations diverses : anthropologie, communication, cybersécurité, éthique, clinique et marketing.

 Le métavers : késako ?

  • Un éclairage d’Olivier Servais, anthropologue à l’UCLouvain, spécialiste des univers virtuels

Apparu dans des ouvrages de science-fiction américains au cœur des années ’80, le terme « métavers » est de plus en plus utilisé ; il décrit un univers virtuel dans lequel les citoyen·nes s’immergent totalement en franchissant les limites corporelles et matérielles. Si le grand public, les médias et, surtout, quelques géants (notamment Meta/Facebook, Microsoft et Amazon) s’intéressent à ce métavers, il faudra encore patienter quelque peu avant de le voir éventuellement débarquer dans nos quotidiens. « Outre les limites techniques et les questions juridiques, il faudra également que les promoteurs du métavers relèvent trois défis : préserver nos démocraties, conserver le lien social et sauvegarder l’environnement », note Olivier Servais, anthropologue à l’UCLouvain. Si ces pièges sont évités, le métavers pourra amener une réelle plus-value à notre monde, notamment aux secteurs de l’éducation, des loisirs et de la culture. Le métavers pourrait donc être une véritable révolution … ou un incroyable échec. Réponse dans les prochaines décennies.

Pour quand ? Pour qui ? Pour quoi ?

  • Un éclairage de Thibault Philippette, professeur à l’Ecole de communication de l’UCLouvain, directeur du Game Lab de l’UCLouvain

S’il peut sembler révolutionnaire pour les non-initié·es, le concept de métavers ne date pourtant pas d’hier : voici plus de 30 ans que les jeux en ligne ou les communautés virtuelles rassemblent des internautes. « Mais pour qu’il s’invite dans chaque foyer, le métavers devra effectuer une mue technologique, basée notamment sur l’utilisation d’appareils (casques, gants ou lunettes) moins chers, moins lourds et plus simples d’utilisation », prévient Thibault Philippette, directeur du Game Lab de l’UCLouvain. Une collaboration entre les principaux géants des technologies devrait également accélérer la diffusion du métavers. Si tous les secteurs pourraient, à terme, l’utiliser, trois d'entre eux pourraient s'en emparer plus rapidement : le monde des entreprises (notamment pour organiser le télétravail), l'univers du marketing et des communications et le milieu de l'éducation.

Sécurité : le métavers, un univers impitoyable ?

  • Un éclairage d’Axel Legay, professeur à l’Ecole polytechnique de l’UCLouvain

Les utilisateurs et utilisatrices du métavers pourraient, comme tous les internautes, être victimes de vols « classiques » et de collectes de leurs données. Si de tels méfaits sont déjà fréquents sur le web, leur ampleur pourrait être multipliée dans le métavers. « En 20 minutes, un avatar effectue par exemple plus de 2 millions de mouvements, qui sont autant de signatures biométriques de leur propriétaire », illustre Axel Legay, professeur à l’Ecole polytechnique de l’UCLouvain. S’il existe des réglementations destinées à protéger les internautes (comme le RGPD), le métavers sera difficilement sécurisable et en fera des proies particulièrement vulnérables. Trois conseils de base pour ceux et celles qui s’y aventureront : protégez au maximum votre connexion (antivirus, mots de passe, etc.), dévoilez-en le moins possible sur vous et renseignez-vous sur le matériel que vous utilisez. En plus de sensibiliser et de former les utilisateurs et utilisatrices, il faudra également que l’Union européenne, malgré le retard qu’elle a pris en la matière, se dote d’une réelle identité digitale et parle d’une seule voix pour protéger ses citoyen·nes.

Quelles conséquences sur l’être humain de demain ?

  • Un éclairage de Mark Hunyadi, éthicien, professeur à la faculté de philosophie à l’UCLouvain

Aujourd’hui, le numérique est partout et toute personne est obligée de l’adopter et de se conformer à des conditions qui lui sont unilatéralement imposées (abonnement, matériel, etc.) ; l’essor du métavers représentera une étape supplémentaire en proposant une expérience fictive, déconnectée de la réalité, dans « un monde en soi ». L’appétit de Facebook/Meta et des autres géants des technologies (GAFA) pourrait avoir un impact terrible sur le développement des hommes et des femmes de demain, les enfermant dans des bulles et renforçant encore un peu plus leur individualisme aux dépens de leurs aptitudes sociétales. Paradoxalement, ce métavers standardisera encore un peu plus les êtres humains, qui chercheront, dans cet univers, à assouvir les mêmes désirs, à atteindre les mêmes objectifs. La fascination pour les innovations technologiques et l’effet d’entraînement pourraient assurer un large succès populaire au métavers, notamment auprès des plus jeunes. « Faut-il en avoir peur ? Non, mais il faut s’en méfier et trouver rapidement des réponses et des outils de contrôle », estime Mark Hunyadi, éthicien et professeur à la faculté de philosophie à l’UCLouvain.

Addictions : des dégâts redoutés sur la santé mentale

  • Un éclairage de Gérald Deschietere, chef des urgences psychiatriques aux Cliniques universitaires Saint-Luc (UCLouvain) 

Au fil des dernières décennies, les jeux vidéos, les réseaux sociaux et, d’une manière générale, l’essor du Web ont déjà mis à mal la santé mentale de nombreux internautes. Mais en offrant la possibilité d’évoluer dans un univers totalement virtuel et donc coupé de la réalité, le métavers pourrait créer des addictions encore plus importantes. Certain·es, notamment au sein de la jeune génération, pourraient avoir de la difficulté à comprendre qu’il existe encore une vie réelle, dans un monde physique. « La technologie peut représenter un danger, mais c’est aussi une chance, une opportunité », indique Gérald Deschietere, chef des urgences psychiatriques aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Le métavers pourrait par exemple simplifier la vie des patient·es souffrant d’agoraphobie. « Mais il faudra, comme toujours, des limites et des contrôles », conclut l’expert UCLouvain.

Le métavers, nouveau temple de la consommation ?

  • Un éclairage d’Ingrid Poncin, professeure à la Louvain School of Management de l’UCLouvain, spécialiste de la consommation et du marketing digital

Si le métavers attise la curiosité du monde économique, c’est que cette révolution technologique devrait permettre aux entreprises de renouveler et de diversifier leurs stratégies. Elle modifiera également le comportement et les attentes de la clientèle. Au cours des dernières années, certaines expériences de commerce virtuel ont été menées, qui se sont généralement avérées peu rentables. « Le métavers pourrait changer la donne, en permettant principalement aux commerces et aux entreprises de faire vivre une expérience immersive totale aux client·es et en offrant, à la différence d’un achat en ligne sur un site Web, une réelle présence sociale et une interaction avec le personnel du magasin », souligne Ingrind Poncin, professeure à la Louvain School of Management de l’UCLouvain. Lorsque le métavers s’invitera dans nos quotidiens et que les principales barrières technologiques seront franchies, les entreprises devront s’interroger : investir d’importantes sommes pour embarquer dans cet univers en vaudra-t-il la chandelle ? Pour y offrir quels services ? Et avec quels objectifs : attirer de nouveaux publics et augmenter ses ventes ou simplement travailler son image ?

Publié le 25 janvier 2022