Sissi, impératrice minoenne crétoise

LOUVAINS

Découvrir, l’avant-dernier jour des fouilles, la tombe d’une femme vieille de plus de 3 500 ans, parée de ses bijoux, c’est exceptionnel, émouvant et… très contraignant.

Seuls six palais ont été découverts en 120 ans d’archéologie minoenne en Crète. Et c’est l’équipe de l’UCLouvain qui a mis au jour, il y a 3 ans, le dernier palais connu ! Cela résume l’importance des fouilles archéologiques menées par Jan Driessen sur le site de Sissi. D’une vingtaine de scientifiques et apprentis archéologues à plus d’une centaine aujourd’hui, il a réussi à constituer la plus importante campagne de fouilles belge à l’étranger. Autour de l’archéologue UCLouvain, on retrouve une diversité de profils internationaux, parfois étonnants tels des botanistes, anthropologues, biologistes, micromorphologues, thanatologues, spécialistes de métaux etc. C’est que la découverte de ruines implique la mise au jour et la collecte d’une quantité très importante de restes humains, végétaux et animaux qu’il faut ensuite minutieusement étudier.

Sissi l'insoumise

Le site de Sissi longe la mer, il est élevé sur une colline, donc facile à défendre, et surtout, il jouxte l’un des plus grands sites minoens, celui de Malia. L’intérêt de ces fouilles ? Comprendre l’importance stratégique de sites annexes comme Sissi, sortes de laboratoires décisionnels et culturels. Et obtenir une foule d’informations sur les modes de vie et les fondements de la société crétoise, sous l’ère minoenne (-3000 à -1450 av. J-C.) et ensuite mycénienne (-1450 à -1200 av. J-C), deux époques découvertes il y a moins de 150 ans.

« Cette civilisation était une société collective », s’émerveille Jan Driessen. En témoignent l’habitat et les sépultures qui étaient communautaires. D’autres coutumes de vie semblaient particulièrement caractériser les Minoens, notamment celles organisées autour des femmes qui jouaient un rôle très important. « Selon les données déjà récoltées, on suppose que les successions d’une génération à l’autre se faisaient de mère en fille. Autre indice : les fresques et les statuettes ne représentent jamais les femmes dans une position de soumission face à l’homme, ce qui est loin d’être le cas dans toutes les civilisations », complète l’archéologue.

Un trésor révélateur

Le clou de la dernière campagne de fouilles cet été ? La mise au jour de la sépulture intacte d’une femme vieille de 3 500 ans ! « Ça s’est passé l’avant-dernier jour, au moment où l’on clôturait une campagne de 5 années de fouilles. C’était formidable… et stressant. L’adrénaline est montée d’un coup. Il a fallu sécuriser, mettre au jour et tout boucler, en moins de 48h », se rappelle Jan Driessen. Une chose est sûre : la sépulture devait appartenir à une femme de rang élevé. En attestent les objets retrouvés près d’elle : quelques épingles en os et en métal (qui indiquent qu’elle était richement habillée de textiles non préservés), un miroir en bronze et, merveille de la découverte, un collier de délicates perles d’or. « Un bijou d’une telle richesse, on n’en trouve qu’un tous les 10 ans ! »

Ceci dit, découvrir une tombe de ce type en Crète, « ce n’est pas unique, et c’est tant mieux », explique Jan Driessen. « Nous pourrons faire des comparaisons avec d’autres fouilles, obtenir, grâce aux analyses ADN, davantage d’indices sur son âge, sa taille, certains traumatismes éventuels endurés durant sa vie ou au contraire sa bonne condition physique, son statut social, son origine ethnique. » Un véritable travail d’expert qui permettra aux chercheurs d’avancer dans l’exploration de cette civilisation brillante, dont l’organisation sociale est encore méconnue sous plusieurs aspects. Notamment, cela permettra de considérer l’évolution des coutumes funéraires, le passage des tombes collectives aux sépultures individuelles. Pour comprendre comment s’est opéré le basculement d’une société où primait le collectif, vers des modes de vie davantage centrés sur l’individu.

Isabelle Decoster
Attachée de presse UCLouvain

 

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Article paru dans le Louvain[s] de décembre 2019 - janvier-février 2020