L’entrée à l’université est considérée comme une des transitions scolaires les plus difficiles, caractérisée par de nombreux échecs et abandons. Mais pourquoi cette transition est-elle si compliquée à vivre pour l’étudiant ? Comment peut-on expliquer que la situation ait si peu évolué malgré l’importante attention qui lui a été accordée ? Et surtout, comment peut-on faire pour faciliter la transition de l’étudiant d’aujourd’hui ?
Cet article vise à répondre à ces questions au regard de nos travaux de recherche, de l’analyse de la littérature scientifique et de notre analyse critique de l’institution universitaire.
Cette lecture s’adresse aux différents acteurs de l’enseignement soucieux de se questionner sur la question de la transition universitaire, d’actualiser leurs connaissances des résultats des recherches ou de tendre vers une vision plus nuancée de cette problématique complexe.
Si ce sujet vous interpelle, je vous invite donc à poursuivre votre lecture et à nous accompagner pour un court instant dans ce voyage intellectuel.
Par Mikaël De Clercq, chercheur - UCLouvain.
La question de la réussite et de la persévérance de l’étudiant en première année à l’université n’est pas neuve et a déjà fait couler beaucoup d’encre dans le monde de la recherche en sciences de l’éducation.
Néanmoins, force est de constater que les taux d’échec et d’abandon restent stables depuis plus de 25 ans en Belgique Francophone[1]. Même si cette stabilité n’est pas toujours synonyme que rien ne s’est amélioré[2], la transition reste une problématique actuelle et sensible.
Depuis près de quarante ans, des milliers de recherches ont été menées sur cette question. Un de nos précédents articles[3] a fait l’analyse de ces travaux.
En bref, la recherche nous apprend que les déterminants de la réussite peuvent être divisés en quatre caractéristiques : les caractéristiques d’entrée, l’environnement social, les facteurs motivationnels et l’engagement de l’étudiant.
Par ailleurs, ce sont les caractéristiques d’entrée qui ont le plus grand effet : à savoir, par ordre d’importance, le passé scolaire de l’étudiant, son bagage socioéconomique et son processus de choix d’étude [4].
Ensuite, ce sont les facteurs motivationnels qui déterminent sa performance. Ici l’intérêt pour les cours joue un rôle notable, mais c’est la confiance que l’étudiant a dans sa capacité à réussir qui a le plus fort impact sur sa réussite. Ce facteur est d’ailleurs identifié comme le deuxième plus important après le passé scolaire. L’engagement est également identifié comme important. Le temps que l’étudiant passe à étudier favorise sa réussite et tend à diminuer l’anxiété ressentie (considérée comme de l’engagement émotionnel).
Finalement, le soutien des proches et des enseignants est identifié comme des moteurs importants pour favoriser la motivation et l’engagement de l’étudiant, mais ces derniers ne semblent pas être des prédicteurs directs de sa performance. Cela signifie qu’un étudiant motivé, engagé dans ses études et soutenu par son environnement ne réussira pas mieux qu’un étudiant présentant le même niveau de motivation et d’engagement, mais un plus faible soutien. Notons toutefois que si ce constat est vrai pour la réussite de l’étudiant, il n’en est pas de même pour sa persévérance. Dans ce cas, le soutien des proches joue un rôle très important.
Pourquoi la transition reste-t-elle si complexe à promouvoir ?
Des années/décennies de recherche ont permis d’identifier de nombreux facteurs qui favorisent la réussite de l’étudiant : améliorer son bagage scolaire, travailler sur son choix d’étude, développer sa confiance en lui, le pousser à travailler davantage, réduire son stress et finalement lui apporter du soutien. Mais alors, pourquoi cette transition reste-t-elle si difficile ? Voici quelques pistes d’explications permettant de pousser la réflexion un peu plus loin.
Un premier élément de réponse se situe dans le manque de considération de la diversité dans la transition. En effet, la population étudiante est aujourd’hui de plus en plus grande et hétérogène. Néanmoins cette diversité est trop peu considérée. De plus, la question de la transition se pose comme si l’ensemble des contextes universitaires étaient les mêmes. Or, nos recherches montrent que tant la diversité étudiante que la diversité de contexte sont d’une grande importance pour comprendre le vécu de la transition[1]. L’intégration sociale est par exemple trois fois plus importante pour les étudiants issus d’un milieu plus précarisé et peut avoir un effet négatif pour des étudiants trop confiants. Concernant les contextes, nous constatons par exemple une variation de 30 à 80% du taux d’échec entre différents programmes d’études et des effets différenciés des variables liées à la réussite. Par exemple, assister aux cours sera d’une importance cruciale dans le programme de sciences biologiques et peu important dans le programme de droit. Finalement, la temporalité de la transition est peu considérée. Nos recherches montrent par exemple que l’entrée à l’université est un moment particulièrement sensible où il est possible d’avoir un impact fort sur les attitudes et croyances de l’étudiant. Pour agir efficacement sur la réussite de l’étudiant, il sera donc important de considérer ses caractéristiques spécifiques, son contexte de transition et la phase de transition dans laquelle il se situe. Nos récents travaux ont d’ailleurs tenté de modéliser la transition universitaire au travers de cette triple considération et pourraient aider à améliorer nos actions[2].
Une autre explication réside également dans la gestion actuelle de nos actions de promotion de la réussite. Tout d’abord, aujourd’hui, il est frappant de constater que les différents acteurs de la réussite collaborent peu. Ce manque de communication engendre des redites, la répétition d’erreurs du passé et une baisse générale de l’efficacité dans nos interventions. Une meilleure mutualisation des connaissances permettrait d’arrêter de « réinventer la roue » et de profiter ensemble des compétences complémentaires de chacun des acteurs. Ensuite, un problème réside dans l’évaluation de nos actions. En effet, l’évaluation des dispositifs d’aide est loin d’être systématique et dépasse rarement la simple estimation de la satisfaction des étudiants. Cette situation est problématique car elle ne permet pas de savoir ce qui fonctionne aujourd’hui. Pire, ce manque d’évaluation peut cacher des interventions qui, malgré de bonnes intentions, ont des effets négatifs sur la réussite de l’étudiant. Une meilleure évaluation couplée à une plus grande communication constitue donc aujourd’hui un important levier d’amélioration[3] .
Une dernière piste de réponse provient de l’approche générale de la transition universitaire. En effet, la transition universitaire est souvent considérée au travers du prisme de la réussite ou de la persévérance de l’étudiant. Ce prisme a deux faiblesses qui nuisent à une compréhension fine du vécu de l’étudiant. Premièrement, ces concepts de réussite et de persévérance sont assez flous et mesurés de façon très variée, ce qui pose des problèmes de comparaison entre les résultats des études[4]. Il y a peu, nous avons posé une question simple à des professionnels de l’éducation : qu’est-ce que réussir à l’université ? Pour certains, la réussite était considérée comme l’acquis des compétences relatives aux cursus. Pour d’autres, l’obtention du diplôme résumait la réussite. Pour d’autres encore, c’était la capacité à trouver sa voie et à se construire en tant que futur acteur de la société. Autant de réponses qui montrent la complexité même de la définition de réussite et sa difficulté à la circonscrire avec précision. Deuxièmement, cette approche considère l’étudiant comme le premier acteur de sa réussite. Néanmoins, dans notre contexte éducatif ouvert, l’objectif de réussite de l’étudiant est parfois à relativiser[5]. De plus, la question du rôle institutionnel et des obstacles à la transition est également occultée de l’analyse[6]. La question ne serait alors plus « comment l’étudiant fait-il pour s’adapter à l’université ? », mais plutôt « comment les acteurs de l’éducation peuvent-ils réduire les obstacles à la transition de l’étudiant ? ».
En conclusion, voici ce que nous pouvons retenir de cette brève synthèse.
Tout d’abord, nous constatons qu’un travail peut être initié en amont de l’entrée à l’université, notamment au travers de l’orientation réaliste et concrète de l’étudiant et de sa prise de confiance dans ses capacités de réussite. Dans le cas où l’étudiant a déjà entamé son cursus, un conseil serait d’agir au plus tôt dans l’année avant que l’accumulation de lacunes ne soit trop importante.
Ensuite, n’oublions pas de considérer la spécificité de chaque cas. Nous agissons avec des étudiants spécifiques dans un contexte spécifique à un moment spécifique. Rappelons également l’importance d’une évaluation rigoureuse de nos actions considérant les spécificités susmentionnées, et gardons à l’esprit que malgré de bonnes intentions de départ, une intervention non évaluée peut avoir des effets négatifs insoupçonnés.
Au-delà de ces quelques recommandations, il est important de garder à l’esprit l’impact relatif que peuvent avoir nos actions, dans la mesure où des facteurs stables (passé scolaire et niveau socioéconomique) ont un impact majeur sur l’adaptation de l’étudiant. Replaçons également nos actions dans la réalité du système belge. Beaucoup d’étudiants entrent à l’université pour tenter l’aventure et n’ont parfois pas comme objectif premier la réussite.
Deux derniers questionnements peuvent également faire évoluer notre réflexion face à la transition. La première serait : qu’est-ce, selon moi, une transition réussie à l’université ? En effet, la réussite et la persévérance ne sont pas les seuls objectifs et ne sont pas toujours à encourager. La seconde serait : comment aider l’étudiant en favorisant son adaptation ET en réduisant les obstacles auxquels il est confronté ? Cette dernière perspective donne une vision plus juste de l’implication respective du contexte, du système et de l’étudiant dans le bon déroulement de sa transition.
Les Cahiers de recherche du Girsef
L’étudiant sur les sentiers de l’enseignement supérieur : Vers une modélisation du processus de transition académique - Mikaël De Clercq