Le Laboratoire de Microbiologie Médicale a acquis un équipement de pointe permettant de mieux détecter les mutations du virus de l’immunodéficience humaine ou VIH. Une première en Belgique.
Selon l’ONUSIDA, l’organisme des Nations Unies en charge de la lutte contre le SIDA, en 2017, 36.9 millions de personnes vivaient avec le virus VIH dans le monde (19.000 en Belgique). Environ 75% d’entre elles connaissaient leur statut ; les autres ignoraient qu’elles étaient infectées. 21,7 millions de patients avaient accès à un traitement antirétroviral tandis que 1,8 million de personnes ont été nouvellement infectées au cours de cette année-là (890 en Belgique). L’ONUSIDA s’est fixé un triple objectif à atteindre pour la fin 2020 : les 3 fois 90. A savoir 90% des personnes infectées doivent connaître leur statut, 90% doivent être traitées avant le développement de la maladie, 90% des personnes traitées doivent avoir une charge virale indétectable. « Les deux derniers objectifs sont pratiquement atteints en Belgique, estime le Professeur Benoît Kabamba-Mukadi, responsable du Laboratoire de Référence SIDA de l’UCLouvain. Par contre, le premier objectif reste problématique : on estime que 15% des personnes infectées ignorent leur statut. Même si la recherche a fait d’énormes progrès en 35 ans et même s’il existe des traitements performants puisque plus de 90% des malades traités possèdent une charge virale indétectable, la pandémie du VIH reste un problème de santé publique mondial. Il ne faut pas oublier qu’on ne guérit pas du SIDA : il n’est en effet pas possible actuellement d’éradiquer complètement le virus VIH de l’organisme des patients qui ont été contaminés. »
Virus mutant
Ce bref résumé de la situation met en lumière les trois acteurs qui interviennent dans la maladie : le patient, le virus, les médicaments. Chacun a son rôle et son importance. L’efficacité des médicaments actuels ne doit pas dissimuler le fait que, pour les patients, il y a parfois certains effets secondaires gênants, qu’il peut y avoir des interactions médicamenteuses, que le patient peut avoir d’autres pathologies et que des précautions particulières sont à prendre chez la femme qui est enceinte ou voudrait l’être. Il peut donc être intéressant de modifier le traitement en fonction de ces paramètres, et cela sans perte d’efficacité. Quant aux virus, ils ne restent pas inactifs : certains mutent pour devenir résistants aux antiviraux. Ce problème de résistance peut apparaître soit au cours d’un traitement soit lors d’une nouvelle infection par un virus déjà muté. C’est dans ce contexte que les tests de résistance réalisés à l’UCLouvain grâce à une nouvelle plateforme de séquençage à haut débit prennent tout leur sens.
« Cette plateforme de nouvelle génération ou NGS « Next-Generation Sequencing », première du genre en routine clinique en Belgique, permet en effet de réaliser des séquençages haut débit du génome viral, explique Géraldine Dessilly, docteur en sciences biomédicales et responsable des analyses au sein du laboratoire. C’est-à-dire lire l’ordre d’enchaînement des nucléotides de l’ARN du virus. C’est cet ordre qui va permettre de déterminer si le virus est muté et va résister aux médicaments ». Obtenir la séquence du génome du virus n’est évidemment pas chose nouvelle, même en routine. Mais la nouvelle plateforme présente plusieurs avantages par rapport à la méthode traditionnelle. Outre sa plus grande sensibilité, l’automatisation réduit aussi les erreurs manuelles. Cette technologie permet également de quantifier les mutations de résistance alors qu’auparavant, il était seulement possible de « qualifier » c’est-à-dire de détecter la présence, on non, d’une mutation. De quoi quantifier des variants dits minoritaires, c’est-à-dire présents en petite quantité au sein de la population virale.
Des mutations assez rares
Ce test génotypique de résistance est réalisé chez les patients nouvellement infectés et chez ceux qui sont en échec thérapeutique, ce qui, pour le laboratoire de l’UCLouvain, représente environ 15 tests toutes les deux semaines. Chez les patients nouvellement infectés, les tests montrent qu’environ 10% d’entre eux sont porteurs d’un virus muté, résistant. Un nombre stable depuis le début des années 2000. Chez les patients en échec de traitement (qui ne représentent que 4 à 5% des patients traités !), moins de la moitié d’entre eux ont un problème de résistance. Des chiffres plutôt rassurants qui font dire au professeur Kabamba-Mukadi que les médicaments actuels provoquent bien moins de résistance que ceux utilisés au début de l’épidémie : « Quand on a commencé à traiter en 1987 avec l’AZT, les résistances ont été décrites rapidement dans la majorité des patients traités dès 1992. Aujourd’hui, grâce aux nouvelles molécules, des patients sont traités pendant des années sans qu’apparaissent des problèmes de résistance. Mais le virus essaie d’y échapper en développant des capacités d’adaptation; il y a donc une course entre lui et nous. » Les résultats des tests sont ensuite transmis au médecin qui suit le patient. C’est à lui de déterminer le schéma thérapeutique le plus optimal.
Perspectives
« Même si un patient répond correctement au traitement, qu’il n’y a plus de charge virale détectable, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de virus libres dans son sang, cela ne veut pas dire que tous les virus ont disparu : il en existe encore à l’intérieur des cellules, explique Géraldine Dessilly. Nous avons donc obtenu des fonds de la Fondation Louvain pour séquencer également ces virus intracellulaires. » Dans quel but ? Si un malade qui ne présente pas de charge virale veut ou doit changer de traitement pour diverses raisons (confort, grossesse, interaction médicamenteuse pris pour soigner une autre maladie, etc.), il faut être capable de dire si l’on va rencontrer un problème de résistance. Nul doute que le nouvel outil mis à la disposition des chercheurs et des cliniciens va permettre d’encore affiner le traitement contre le SIDA.
Henri Dupuis
Publié par ScienceToday le 18 Juin 2019