Des chercheurs découvrent une nouvelle méthode pour lever l’immunosuppression dans le cancer

Des équipes de recherche belges de l’UCLouvain et WELBIO, du VIB et de l’UGent, et de la société de biotechnologie argenx, ont fait une double découverte en matière d’immunothérapie du cancer, ouvrant de nouvelles perspectives de traitement. Concrètement, les chercheurs ont réussi à établir la structure 3D d’un assemblage de protéines qui inhibe les réponses immunitaires, et en parallèle, ont découvert comment un anticorps spécifique peut bloquer l’immunosuppression provoquée par cet assemblage de protéines. Cet anticorps pourrait être utilisé cliniquement comme biomédicament pour stimuler l’immunité des patients contre les cellules cancéreuses, déclenchant la destruction des tumeurs par les cellules immunes. Cette double découverte est publiée dans la première édition de la revue Science, ce jeudi 25 octobre 2018.

Contexte et découvertes précédentes

Pourquoi les réponses immunitaires anti-tumorales sont-elles inefficaces chez une majorité des patients cancéreux ? C’est à cette question que se consacre la Prof. Sophie Lucas au sein de son laboratoire de l’Institut de Duve de l’UCLouvain. Depuis 2004, la chercheuse concentre l’activité de son équipe sur la compréhension d’un mécanisme précis de dysfonctionnement du système immunitaire face au cancer : un type très particulier de lymphocytes T, les « Treg ». Leur fonction ? Les Treg protègent notre corps des maladies auto-immunitaires, en bloquant l’activité des autres lymphocytes T qui peuvent être des soldats trop zélés et générer des réactions immunes excessives. Mais chez les patients atteints de cancer, ces Treg ont un comportement indésirable : ils sabotent les réponses immunitaires contre les tumeurs. Comment ? En émettant une protéine-messager nommée TGF-beta, qui transmet des signaux inhibiteurs aux cellules immunitaires voisines, notamment celles supposées détruire les cellules cancéreuses. 

La manière dont les Treg émettent le TGF-beta est complexe et habilement régulée. Ce messager étant très puissant, il doit être gardé sous contrôle. En 2015, Sophie Lucas et son équipe ont découvert que le messager était relâché par les Treg via une protéine appelée GARP, présente à la surface des Treg. En collaboration avec la firme de biotech argenx, la même équipe a également découvert qu’il était possible de bloquer l’émission du messager par GARP au moyen d’anticorps spécifiques, rares et difficiles à obtenir. L’étape suivante : découvrir comment GARP régule l’envoi du messager et comment les anticorps bloquent ce mécanisme. 

Les mécanismes moléculaires élucidés

Pour élucider ces questions, les équipes de Sophie Lucas et d’argenx ont joint leurs forces à celles de l’équipe du Prof. Savvas Savvides du VIB-UGent Center for Inflammation Research. Objectif : établir une structure 3D du complexe de protéines réunissant GARP et le TGF-beta en utilisant la cristallographie aux rayons X. Cette méthode, inventée il y a un peu plus de cent ans, est toujours développée et utilisée à ce jour pour analyser les structures de macromolécules biologiques à l’échelle atomique.
Mais dans un premier temps les chercheurs n’ont pas réussi à obtenir des cristaux avec le complexe formé par GARP et le TGF-beta. Pour contourner l’obstacle, ils ont décidé d’utiliser un des anticorps spécifiques décrits plus haut pour stabiliser la structure. Un effort collectif couronné de succès puisqu’il a permis aux Drs Stéphanie Liénart (UCLouvain) et Romain Merceron (VIB & UGent) de résoudre et visualiser la structure du complexe de protéines et d’obtenir des détails sur le fonctionnement de l’anticorps thérapeutique.

 « Nous avons découvert que la molécule GARP ressemble à un fer à cheval chevauché par le TGF-beta. Ces deux molécules sont si étroitement liées que le TGF-beta lui-même contribue à la structure en fer à cheval de GARP . L’anticorps adhère à GARP et au TGF-beta, et forme une glue qui les maintient ensemble, de telle sorte que lorsque d’autres molécules tirent sur une partie de la structure, la partie active du TGF-beta n’est pas libérée, ce qui l’empêche de transmettre son message inhibiteur. » Prof. Savvas Savvides (VIB-UGent)

“La visualisation de ce large complexe de molécules montre qu’il est possible de bloquer l’activité du TGF-beta émanant d’une source cellulaire définie et limitée, comme la surface des Treg. Cette découverte permet d’établir de nouvelles approches thérapeutiques extrêmement spécifiques pour traiter des maladies associées à une activité altérée du TGF-beta ou des Treg, notamment en immunothérapie du cancer. » Prof. Sophie Lucas (Institut de Duve - UCLouvain)

Les anticorps co-développés par l’équipe de la Prof. Sophie Lucas et la société argenx ont fait l’objet d’une prise de license en août 2018 par la société pharmaceutique AbbVie. Son objectif : poursuivre le développement clinique du biomédicament dans le futur. Et après ? « Une autre suite pour nous, c’est de continuer la recherche fondamentale sur ces molécules que sont GARP et le TGF-beta. Nous allons essayer de déterminer leur fonction dans d’autres types cellulaires, comme les lymphocytes B ou les plaquettes où nous savons que GARP peut aussi être présent, et dans d’autres contextes que le cancer », conclut Sophie Lucas.

Publication
Structural basis of latent TGF-β1 presentation and activation by GARP on human regulatory T cells, Liénart, Romain Merceron et al., Science 2018
http://science.sciencemag.org/lookup/doi/10.1126/science.aau2909

Financements
WELBIO, FNRS, ERC consolidator grant – programme H2020 de l’Union européenne (n°682818), VIB et UGent

Publié le 25 octobre 2018