« La diversité des débats fait évoluer l’université »

didier lambert

Le recteur de l’UCLouvain, Didier Lambert, nous partage son analyse sur le rôle des universités face à la situation au Proche-Orient, sur les leviers d’actions possibles et sur les revendications des collectifs étudiants qui occupent les universités de par le monde.

Plus de 200 académiques, scientifiques et membres du personnel ont signé une carte blanche en soutien aux étudiant·es UCLouvain qui occupent actuellement les auditoires de Coubertin, en soutien au peuple Palestinien. Quelle est votre réaction ?

Tout membre de l’UCLouvain a la liberté d’exprimer son opinion face à tout conflit. Il est primordial de questionner la légitimité de collaborations universitaires quelle que soit leur origine, qui soutiennent de manière répétée ou sont directement impliquées dans les violations du droit international et des droits humains.
L’UCLouvain doit pouvoir être à l’écoute et adapter son fonctionnement. Avec des débats qui doivent avoir lieu dans les instances adéquates de l’université. C’est la raison pour laquelle cette question a été abordée, à deux reprises, en mars et mai 2024, au sein du conseil académique.
Ce qui émane de ces interpellations, c’est la diversité des points de vue. Chacun·e a un rôle à jouer au sein de l’université. Le rôle de l’UCLouvain, en tant qu’université, est de se concentrer sur ses matières fondamentales, soit la défense de la liberté de chercher et de pouvoir enseigner en toutes circonstances. Là où les membres de la communauté universitaire ont la liberté d’interpellation. Et c’est ça qui permet la richesse des débats.

Quelle est la position de l’UCLouvain face au conflit israélo-palestinien ?

Sans aucune ambiguïté, l’UCLouvain appelle à un cessez-le-feu dans cette région et à la libération de toutes les personnes retenues en otage ou illégalement détenues.
L’UCLouvain condamne la destruction des infrastructures d’enseignement et d’enseignement supérieur en particulier.
L’UCLouvain s’engage, comme les autres universités de la FWB, à essayer de restaurer, le moment venu et à la mesure de ses moyens, les espaces d’enseignement supérieur sur place.

Quelles actions l’UCLouvain a-t-elle mis en place depuis le début du conflit ?

Le collectif StudentsforPalestine et les signataires de la carte blanche demandent la suppression des accords institutionnels entre l’UCLouvain et des universités israéliennes. La réponse est claire : l’UCLouvain n’a pas d’accords stratégiques avec des universités israéliennes, et ce depuis plusieurs années.
Ce qui existait, par contre, ce sont des accords de mobilité in et out avec 4 institutions israéliennes. Elles ont été suspendues dès le mois d’octobre et elles resteront suspendues jusqu’à nouvel ordre, tant que la sécurité des personnes ne peut pas être garantie et tant qu’il n’y a pas d’indication claire que le positionnement de ces universités dans le conflit est en accord avec le respect des droits humains et du droit international.
Enfin, il existe des collaborations entre chercheur·euses de l’UCLouvain avec d’autres chercheur·euses d’universités israéliennes. Ces collaborations sont analysées depuis de nombreuses années via un screening très poussé au regard de critères éthiques et responsables. C’est le cas aussi pour d’autres pays que Israël. L’UCLouvain a par ailleurs créé une boîte à outils à destination des promoteur·trices de recherche, reprenant des questions essentielles à se poser avant de se lancer dans un nouveau partenariat.
Enfin, le conseil académique a, dès le mois de mars, pris la décision de renforcer deux programmes à destination des étudiant·es ou du personnel universitaire réfugié, via un budget complémentaire de 300 000 €. Ce montant complémentaire permettra d’étoffer :

  • D’une part le programme Access2University, qui est ouvert aux étudiant·es palestinien·nes et israélien·nes s’ils et elles souhaitent reprendre des études à l’UCLouvain ;
  • D’autre part, le programme Scholars@Risk, soit l’accueil de scientifiques qui seraient en danger, pour leur permettre de poursuivre leurs missions d’enseignement et de recherche.

Les étudiant·es demandent à l’université de se positionner davantage. Que leur répondez-vous ?

L’interpellation du collectif étudiant et des signataires de la carte blanche vient interroger deux temps distincts. L’université a l’habitude de travailler sur un temps long (analyse de la situation avant d’agir). Là où les étudiant·es et les signataires, par leur liberté d’expression et par leur liberté d’indignation, nous demandent d’agir dans l’instantanéité.
L’UCLouvain s’est rapidement exprimée (dès le 18 décembre 2023), par l’intermédiaire du CRef, en dénonçant la situation au Proche-Orient. Ensuite, l’UCLouvain a fait le choix de prendre le temps d’analyser la situation avant d’entreprendre des actions. Par le passé, nous avions été interpellés face à la crise des migrants, puis la guerre en Ukraine. Et c’est grâce à cette analyse sur un temps long que l’UCLouvain a pu apporter des réponses pérennes, telles que Access2University.
Cette confrontation entre temps d’action immédiat et réflexion est intéressante, parce qu’elle fait évoluer l’université.

Le collectif étudiant relaie des revendications que l’UCLouvain ne semble pas entendre. Pourquoi ?

Je vais répondre avec un constat très concret : sur les 22 universités européennes qui font partie du réseau The Guild auquel l’UCLouvain est affiliée, 18 d’entre elles font l’objet d’une occupation. Nous sommes donc face à un mouvement global et international. Et ce qui me frappe, c’est que les revendications sont les mêmes partout : un boycott généralisé de toutes les relations. Pourtant, la réalité diffère d’une université à l’autre : certaines ont des collaborations stratégiques ou institutionnelles avec des universités israéliennes, d’autres, comme l’UCLouvain, ont seulement des programmes d’échanges ou de collaborations de scientifique à scientifique.
Si on reprend l’exemple du réseau The Guild, aucune université ne souhaite un boycott unilatéral : toutes indiquent qu’il faut interroger les collaborations au cas par cas. Si l’on interroge l’histoire, les universités, et donc l’UCLouvain également, se sont construites sur l’ouverture plutôt que sur l’exclusion. C’est une force du mouvement universitaire. Si on se penche sur les régimes totalitaires, ils ont tous voulu museler la voix libre des universités, or ce principe de liberté d’expression mais aussi de liberté d’enseigner et de chercher, sur tous sujets, sont des éléments constitutifs et fondamentaux des universités. Et ils doivent le rester.

Des membres du personnel de plusieurs universités belges ont annoncé qu’ils et elles feraient la grève de la surveillance des examens. Quelle est votre position sur cette action ?

Ce mouvement touche les valeurs fondamentales de l’université au niveau de l’équité de l’évaluation de l’enseignement. Et il est clair que l’UCLouvain ne peut pas approuver ce type d’action.
Il existe un cadre réglementaire qui régule les irrégularités et la tricherie. Et donc, s’il y avait tricherie, ce serait au final les étudiant·es qui subiraient les conséquences liées à la position de ces surveillant·es grévistes.
Donc, j’entends la préoccupation légitime de s’indigner par rapport à la situation, mais je ne peux pas approuver le moyen d’action choisi dans ce cas.

Publié le 31 mai 2024