Marche pour le climat: «Descendre en nombre dans la rue, c’est un signal fort»

Peut-être ferez-vous partie des milliers de citoyen·ne·s qui descendront dans la rue ce 2 décembre pour réclamer des mesures fortes face au réchauffement climatique ? À trois jours de cette vaste mobilisation, nous vous proposons une mise en perspective avec Geoffrey Pleyers, socioloque à l’UCLouvain, spécialiste des mouvements sociaux et nommé cet été à la vice-présidence de l’Association Internationale de Sociologie.

La marche de ce dimanche à Bruxelles n’est pas la première mobilisation de masse en faveur de la justice climatique. Quelles sont les origines de ce mouvement ?

Il y a eu d’importantes manifestations dans de nombreuses villes du monde lors des grands sommets internationaux, comme le sommet de la terre qui s’est tenu en 1992 à Rio, ou la COP de 2009 à Copenhague et, plus récemment, la COP 21 à Paris il y a tout juste 3 ans. Ces manifestations citoyennes sont la partie la plus visible d’un mouvement écologiste qui connait un important renouveau depuis le début du siècle. Il s’ancre dans des pratiques moins visibles mais qui touchent un nombre croissant de citoyen en Belgique et à travers le monde, par exemple avec les réseaux alimentaires alternatifs ou la simplicité volontaire. Ce renouveau de l’écologie est profondément inspiré par des cosmovisions et des mouvements du Sud de la planète, la philosophie du « buen vivir » (vivre bien) qui vient des communautés indigènes d’Amérique Latine, selon lequel pour bien vivre, il ne faut pas forcément accumuler les richesses mais plutôt se centrer sur les relations sociales et vivre en harmonie avec la nature dont nous faisons partie.

À l’écologie pratique, celle des petits gestes quotidiens, semble s’ajouter cette fois une revendication pour changer le système en profondeur. Est-ce là une nouveauté dans les revendications ?

Pas exactement. Le slogan de la COP15 à Copenhague en 2009 était déjà « Changeons le système, pas le climat ». Derrière le slogan, il y avait cette idée que les pratiques écologiques quotidiennes sont importantes mais qu’elles doivent s’accompagner d’une contestation du modèle économique et politique dominant. On ne peut pas résoudre les problèmes écologiques et limiter le changement climatique sans un changement profond. La mobilisation a été massive à Copenhague. Beaucoup parlaient à l’époque de « la COP de la dernière chance ». Cette COP a fait beaucoup de déçus. Les acteurs se sont alors démobilisés pendant quelques années et se sont recentrés sur l’écologie au quotidien.
L’élan de mobilisation a repris une forme massive au cours de la préparation de la COP21, qui s’est tenue à Paris. Les militants ont alors beaucoup insisté pour dire qu’il fallait à la fois militer auprès des institutions internationales (lors des COP par exemple), poursuivre sur le plan des pratiques d’écologie quotidienne et mener en parallèle des actions de résistance. Cette non-violence active est de plus en plus importante en Belgique depuis la COP21. Le mouvement écologique articule aujourd’hui trois répertoires : l’écologie au quotidien (la consommation locale, la mobilité douce, etc.), des manifestations régulières pour remettre le thème dans l’agenda politique et de la désobéissance civile.

Quelles sont les revendications portées par les citoyen·ne·s qui se mobilisent ?

Leur message est clair : on ne peut pas limiter les effets du changement climatique sans un changement profond au niveau économique et politique. Chacun doit contribuer à limiter son impact sur l’environnement, mais le problème du climat ne peut se régler uniquement au niveau individuel. Et le problème, c’est que même les engagements limités pris lors de la COP de Paris ne sont pas tenus. Aujourd’hui, aucun pays européen n’est dans les clous par rapport à ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Penser que l’on peut garder notre système économique inchangé et limiter le réchauffement climatique paraît de plus en plus illusoire. Sans parler d’une révolution, il faut plus que de petits ajustements.
Le domaine de l’énergie ou des transports montrent les contresens des politiques actuelles. Les gouvernements européens mettent en avant les subventions aux énergies renouvelables ou le financement des transports publics, mais ils financent bien plus massivement la filière automobile et les énergies fossiles. Une des mesures importantes à revendiquer est donc que notre gouvernement arrête de subventionner le modèle actuel qui met la voiture au cœur de la politique de transport. Il est plus coûteux de voyager en train qu’en avion, essentiellement pour des raisons fiscales : le kérosène n’est pas taxé et les compagnies aériennes ne paient pas le coût environnemental produit par leurs activités. Quel gouvernement régional ou fédéral prendra des mesures sérieuses pour limiter le financement direct et indirect des énergies fossiles ?

Peut-on parler d’un « lobby citoyen » ?

Je n’aime pas beaucoup cette notion de lobby qui fait référence à quelque chose de caché, à un jeu d’influences. Les lobbys sont très puissants aujourd’hui et il y a plus de lobbies à Bruxelles qu’à Washington. Les grandes entreprises décident aujourd’hui de ce qui se fait par rapport au réchauffement climatique. Je préfère parler de mouvement citoyen. Ce mouvement est justement là pour dénoncer les pratiques des lobbys (comme le fait par exemple l’Ensemble Zoologique de Libération de la Nature à Bruxelles) et montrer qu’il y a une expertise citoyenne en faveur de l’écologie.

Est-il est important d’être nombreux dans ce mouvement citoyen ou des changements importants peuvent-ils venir d’un nombre restreint de personnes mobilisées ?

Descendre en nombre dans la rue, c’est un signal pour le monde politique. C’est aussi un signe pour tous ces gens qui se mobilisent, pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls, que leur mouvement prend de l’ampleur. Il y aussi une certaine expertise qui s’y développe. Quelques personnes bien informées peuvent passer un bon rapport à un député européen et faire la différence. Le psychologue social écologiste Serge Moscovici parle de « minorité active ». Les principaux protagonistes des grands changements sociaux sont souvent des minorités actives, comme le sont aujourd’hui les citoyens écologistes.

Plusieurs rassemblements pour la justice climatique auront lieu presque simultanément début décembre. Faut-il forcément une mobilisation mondiale pour solutionner les grands enjeux de société ?

Oui, le niveau mondial est important. Mais pour régler les problèmes écologiques, il faut passer par tous les niveaux de mobilisation, de l’international au local. Cette articulation de tous les niveaux est indispensable. Au niveau global comme au niveau individuel, le risque est toujours de ne rien faire parce qu’on considère que l’autre (un autre pays ou un voisin) pollue plus que nous, alors qu’il faudrait 4 planètes si tout le monde consommait comme les Belges. Un autre défi est le fossé entre le discours et les actes. C’est typiquement ce que l’on voit avec la COP21 où les chefs d’états et de gouvernements se félicitaient des engagements pris. Trois ans plus tard, on constate que très peu de pays sont en phase avec leurs promesses. Il faut donc une action globale, lors des COP par exemple, et se montrer ensuite conséquent au niveau national et local.

>> Lire aussi notre article sur Science Today : « Mouvements sociaux, sous l'oeil expert de Geoffrey Pleyers »

Publié le 29 novembre 2018