Michel Serres, « la philosophie doit passer partout »

Michel Serres nous a quittés le 1er juin à l'âge de 88 ans. En 1992, il avait été fait docteur honoris causa de notre université aux côtés de Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général des Nations-Unies, et d'André Chouraqui, auteur d'une traduction révolutionnaire de la Bible.

Mathématicien et philosophe, professeur à Paris et à Stanford, « franco-belge » de cœur, il raconte l'adoption par son père de quatre enfants belges ayant perdu leurs parents au début de la guerre, et le début d'une aventure d'éducation commune au sceau du métissage culturel ; Méridional (né à Agen en 1930), ce passeur de frontières aimait rappeler qu'il commença par celle qui sépare le Sud adepte de l'huile d'olive et le Nord amateur de cuisine au beurre. Ce philosophe qui ne craignait pas de puiser son inspiration du côté de Jules Verne ou d'Hergé, cet académicien (élu en 1990) pour qui le fait d'être gaucher constituait une grâce parce qu'elle l'obligeait à bifurquer, à innover, à s'adapter sans cesse par la puissance de la pensée, ce malicieux qui, tel un jeteur de passerelles, maraudait dans toutes les disciplines s'autorisait enfin, après trente ans d'enseignement, une tentative de synthèse dans deux livres majeurs, Le contrat naturel (1990) et Le Tiers-Instruit (1991), et confiait l'année suivante à notre communauté universitaire :

« Apprendre consiste à traverser.

Par exemple, des sciences aux lettres et à la philosophie, pour pratiquer cette discipline transverse : l'histoire des sciences. Aussi ancienne que contemporaine, sa pratique donne l'idée d'un cycle, nouveau et permanent, d'études qui ajouteraient aux sciences exactes et à la technologie leur histoire, le droit et la philosophie, les littératures et l'histoire des religions... Je veux dire exactement à la raison droite, l'expérience de la douleur humaine, les deux piliers fondamentaux de la formation.

Je propose comme modèle typique et j'appelle aujourd'hui Tiers-Instruit celui que nous avons à former. Il devra son élevage, son instruction et son éducation, en tout son engendrement, à la raison, foyer brillant qui commande aux savoirs scientifiques ainsi qu'à la deuxième raison, brûlante en un second foyer, qui ne vient pas seulement de ce que nous raisonnons avec rectitude, mais de ce que souffre presque toute l'humanité : sans les Humanités, bien nommées, sans les cultures, les mythes, les arts, les remèdes et les contrats, cette raison-là ne s'apprend pas. »

Honoris causa : relire la présentation par le Pr Claude Troisfontaines, parrain de Michel Serres, et le discours de Michel Serres à la communauté universitaire, le 3 février 1992 (pp. 92-96 du pdf en ligne).

Dernière apparition de Michel Serres à la télévision, le 18 mai : revoir l'excellente émission « 28 minutes » sur Arte, qui lui est consacrée.

Parmi ses derniers livres : Le gaucher boiteux, 2015, Le Pommier, et Morales espiègles, 2019, Le Pommier

 

Photo : Michel Serres à l'Espace des sciences, 15 février 2011. Source : Wikimedia Commons

Publié le 03 juin 2019