Réduire l’empreinte de l’UE sur la déforestation ? Des solutions existent !

Les importations européennes de certains produits contribuent de manière significative à la déforestation dans diverses régions du monde. Dans une nouvelle étude publiée dans One Earth, des chercheurs d’universités du monde entier, dont l’Université de Louvain, ont évalué des milliers d’options stratégiques sur la manière dont l’UE pourrait limiter cette empreinte, afin d’identifier les stratégies qui présenteraient le meilleur potentiel pour réduire la déforestation tout en étant réalisables sur le plan politique. Résultat ? Deux options s’avèrent assez facilement concrétisables : rendre les importateurs des produits responsables de la déforestation dans leurs chaînes d’approvisionnement ou soutenir des forums plurilatéraux au sein desquels entreprises, société civile et responsables politiques se rencontreraient pour s’accorder sur des mesures envisageables.

Les importations européennes de certains produits dont l’huile de palme, le soja et le bœuf contribuent de manière significative à la déforestation de diverses régions du monde. Des chercheurs de l’Université de technologie de Chalmers (Suède) et de l’Université catholique de Louvain (UCLouvain) ont évalué, dans le cadre d’une nouvelle étude, des milliers d’options stratégiques sur la manière dont l’UE pourrait limiter cette empreinte, afin d’identifier les stratégies qui présenteraient le meilleur potentiel pour réduire la déforestation tout en étant réalisables sur le plan politique.

« Sans surprise, les réglementations plus strictes comme l’imposition de restrictions sur certaines marchandises importées s’avèrent moins séduisantes. Mais dans l’ensemble, notre étude démontre l’existence d’un soutien massif, y compris à l’égard de certaines politiques qui présentent un réel potentiel pour réduire la déforestation importée, » souligne Martin Persson, professeur agrégé en théorie des ressources physiques à l’Université de technologie de Chalmers.
Des études antérieures avaient déjà établi l’empreinte importante de l’UE dans ce domaine. Plus de la moitié de la déforestation tropicale est étroitement liée à la production de produits alimentaires et d’aliments pour animaux tels que l’huile de palme, le soja, les produits du bois, le cacao et le café – que l’UE importe en grandes quantités. La question étant de savoir ce que peut faire l’UE pour réduire sa part de responsabilité dans la déforestation.

« Cette problématique s’avère d’autant plus pertinente aujourd’hui, du fait que l’UE prévoit de présenter cette année des projets législatifs visant à freiner la déforestation liée à la consommation européenne. La problématique est au cœur des débats de l’UE depuis 2008 mais prend aujourd’hui une réelle dimension politique, » commente Simon Bager, doctorant à l’UCLouvain et principal auteur de l’étude.

Les auteurs de l’article ont recensé 1 141 propositions résultant de consultations ouvertes et d’ateliers qui ont permis à l’UE de recueillir les idées d’entreprises, de groupes d’intérêts et de groupes de réflexion. Les chercheurs ont également compilé les propositions issues de nombreux rapports de recherche, notes d’orientation et autres publications où divers intervenants avançaient un éventail d’options stratégiques. Après recoupement des options similaires, les chercheurs ont identifié 86 propositions inédites.

Deux options se dégagent

Il n’est pas aisé de repérer les propositions de mesures qui permettent d’obtenir l’effet désiré et qui, parallèlement, puissent être mises en œuvre dans la pratique et bénéficient de l’indispensable soutien politique. Mais au terme de leur étude exhaustive, les chercheurs ont identifié deux options politiques particulièrement prometteuses :

  • La première consiste à rendre les importateurs des produits responsables de la déforestation dans leurs chaînes d’approvisionnement, en les obligeant à faire preuve de la diligence requise. « Si les fournisseurs d’une société importatrice écoulent des produits qui contribuent à la déforestation, la société concernée pourrait en être tenue responsable. Nous considérons qu’un tel système s’avère à la fois crédible et possible à mettre en œuvre, tant sur le plan politique que pratique – la France et l’Angleterre, où des systèmes similaires ont été implémentés ou sont en passe de l’être, nous en donnent l’exemple » poursuit Simon Bager. « La diligence raisonnable s’avère être également la mesure qui présente le taux d’occurrence le plus élevé dans notre étude; elle est mise en avant par de nombreux profils d’acteurs et bénéficie d’un solide soutien. Il faut toutefois souligner qu’un tel système, pour avoir un impact sur la déforestation, doit être soigneusement conçu et doit notamment définir quelles seraient les sociétés affectées par ses exigences et quelles seraient les sanctions et les options possibles en termes de responsabilités. »
  • La seconde option consiste à soutenir des forums plurilatéraux au sein desquels des entreprises, des organisations de la société civile et des responsables politiques se rencontreraient pour s’accorder sur des mesures envisageables afin d’exclure la déforestation dans une chaîne d’approvisionnement, un produit ou une région. Nous disposons ici aussi d’exemples positifs – le plus marquant étant celui du moratoire sur le soja amazonien adopté en 2006, où divers acteurs dont Greenpeace et le World Wide Fund for Nature avaient conclu, avec des producteurs et des exportateurs de soja, un accord qui mettait un terme aux exportations de soja provenant de zones défrichées de la forêt amazonienne. « Des exemples tels que celui-ci démontrent l’impact que peuvent avoir les forums plurilatéraux. Et, de notre point de vue, il s’agit là d’une mesure d’autant plus facile à faire accepter qu’elle permet aux parties concernées de contribuer directement à l’élaboration des mesures mêmes, » commente Martin.

Un délicat équilibre

Les chercheurs ont également étudié comment gérer le compromis entre l’impact des politiques et leur faisabilité. Une part importante de cette démarche consiste à associer diverses mesures complémentaires. Les mesures commerciales par exemple, si elles sont utilisées seules, risquent de toucher en priorité les pays producteurs les plus pauvres, raison pour laquelle elles doivent être coordonnées à une aide ciblée visant à instaurer des méthodes de production plus durables qui amélioreront les rendements sans avoir à recourir à la déforestation. Une telle démarche limiterait aussi le risque que les marchandises produites sur des terres défrichées s’écoulent simplement sur des marchés autres que ceux de l’UE.

« Si l’UE ne se concentre que sur sa contribution à la déforestation, il se pourrait que les produits issus de zones nouvellement défrichées soient alors vendus à d’autres pays – l’UE recevant quant à elle les « bons » produits. C’est pourquoi nous pensons que l’UE devrait s’assurer que les mesures qu’elle adopte soient associées à d’autres mesures qui contribueront à une transition globale vers une occupation durable des sols dans les pays producteurs », déclare Simon Bager.

En conclusion, les chercheurs résument trois principes essentiels dont devront tenir compte les nouvelles mesures si l’UE se montre fermement décidée à réduire son empreinte sur la déforestation tropicale. « Il convient en premier lieu d’adopter des mesures qui agissent comme de véritables catalyseurs du changement. Il faut ensuite avoir recours à une série de mesures associant différents outils et instruments qui contribueront à freiner la déforestation. Enfin, il reste à s’assurer de l’implication directe des acteurs de la chaîne d’approvisionnement dans les régions particulièrement importantes, et à faire en sorte d’étendre et d’élargir les mesures au fil du temps », conclut Simon Bager.

Les auteurs espèrent que l’étude et les options stratégiques identifiées inspireront les décideurs politiques, les ONG, les industries ainsi que toutes les parties prenantes qui s’efforcent de limiter l’empreinte européenne sur la déforestation. Les 86 alternatives inédites déploient un large éventail d’opportunités pour s’attaquer de front au problème – très peu d’entre elles étant des options politiquement « mort-nées » ou des propositions qui n’auraient pas d’impact sur la problématique.

Publié le 02 avril 2021