Troisième dose ou vaccin adapté au variant delta?

Est-il temps d’adapter le vaccin aux variants ? Cette question commence à se poser au sein de la population. La situation sanitaire se dégradant au fil de l’automne, les hospitalisations augmentant et les hôpitaux se retrouvant une fois de plus sous tension, certains se demandent pourquoi la vaccination, pourtant massive, en Belgique ne permet pas d’éviter une quatrième vague. Et pourquoi donner une troisième dose de vaccin plutôt qu’une version adaptée au variant delta ?

Et puisqu’il est au cœur des discussions et des clivages ces derniers mois, c’est le vaccin, et plus particulièrement son efficacité qui sont remis en cause. Au point que même des personnes vaccinées et convaincues des bienfaits des vaccins mis sur le marché se demandent pourquoi les firmes pharmaceutiques n’adaptent pas les vaccins pour en améliorer l’efficacité contre les nouveaux variants. La possibilité d’adapter ces vaccins aux variants facilement, en 6 semaines, avait en effet été annoncées lors de leur mise sur le marché. Sophie Lucas, immunologiste à l’Institut de Duve et professeure à la Faculté de médecine et médecine dentaire de l’UCLouvain, nous aide à comprendre et à démêler le vrai du faux autour de l’efficacité des vaccins contre les variants et de la nécessité de les adapter ou non à ce stade.

Pourquoi propose-t-on une troisième dose des vaccins existants plutôt qu’un vaccin adapté au variant delta ?

Les vaccins actuels ont été élaborés sur base d’une version pré-alpha du virus pour permettre au corps de fabriquer une réplique de la protéine spike de ce virus et, par conséquent, de réveiller et éduquer notre système immunitaire à se défendre contre tout intrus portant cette protéine spike à sa surface. Celle-ci est composée de plus de 1200 acides-aminés. Entre la version pré-alpha du SARS-CoV 2 et le variant delta qui circule le plus aujourd’hui, seuls quelques acides aminés ont changé dans cette protéine spike. Or le vaccin entraîne la production de nombreux anticorps différents qui se lient à divers endroits de cette protéine pour l’empêcher de se fixer à nos cellules et de les infecter. Si la majorité des anticorps produits suite à a la vaccination sont toujours capables de se lier à la protéine spike d’un variant, les vaccins restent très efficaces contre le variant en question. Et c’est le cas actuellement avec le variant delta. La réduction d’efficacité du vaccin à cause des quelques acides aminés mutés dans sa protéine spike est réelle mais minime, notamment parce que la grande majorité des anticorps peuvent encore se lier ailleurs sur cette protéine spike du variant delta. Il faut surveiller cela en continu mais pour le moment il n’y a pas d’intérêt à modifier les vaccins.

Comment expliquer que la situation se dégrade à nouveau malgré le grand nombre de personnes vaccinées ?

On observe aujourd’hui que les taux d’anticorps produits suite à la vaccination initiale (comme ceux produits suite à l’infection par le virus lui-même, (voir encadré)) diminuent au fil du temps,. D’où l’intérêt de cette troisième dose qui va rebooster l’immunité contre le virus, et lui permettre d’être beaucoup plus efficace à nouveau contre une potentielle infection par le SARS-CoV 2. Cette troisième dose va simplement augmenter la qualité et la durée de l’immunité induite par les deux premières doses. De manière générale, les doses supplémentaires de vaccins induisent une réponse immunitaire plus intense, plus durable et plus protectrice. Mais la situation sanitaire observée aujourd’hui n’est pas seulement liée à cette diminution de l’immunité au fil du temps. Elle est liée à une combinaison de facteurs, comprenant aussi la fraction non-négligeable des personnes non-vaccinées dans la population, et la capacité de ce variant à être beaucoup plus contagieux que ses prédécesseurs.

Quand sera-t-il temps de considérer une nouvelle version des vaccins ?

Les mutations sont surveillées en continu, comme pour la grippe. Beaucoup l’ignorent mais le vaccin contre la grippe représente chaque année un énorme travail impliquant plus de 200 laboratoires dans le monde pour analyser les mutations et l’efficacité du vaccin contre le virus Influenza. Ce vaccin est adapté chaque année. Ce sera pareil pour le SARS-CoV 2, ses variants et l’efficacité des vaccins contre ceux-ci, qui sont sous la loupe de nombreux experts de par le monde. Lorsque l’immunité et les anticorps générés suite aux vaccins actuels ne seront plus suffisants pour combattre les variants en circulation, il sera temps d’adapter les vaccins. Mais il n’est pas possible d’anticiper plus que ce que l’on fait pour l’instant, car les mutations qui rendraient les vaccins insuffisamment efficaces ne sont pas encore apparues. L’idéal serait évidemment de pouvoir mettre au point un vaccin permettant d’éduquer notre système immunitaire contre une partie stable et commune à tous les variants du SARS-CoV 2. Un vaccin universel.

Des études commencent à sortir au sujet d’un potentiel vaccin universel, comme celle de la KU Leuven

Nombreux sont les laboratoires qui cherchent un vaccin efficace quel que soit le variant. L’étude de la KU Leuven est intéressante, réalisée chez l’animal exclusivement, et propose un nouvel antigène, soit la réplique de la partie du virus qu’on présente au corps via la vaccination. Celui-ci induirait des réponses plus « universelles », actives de manière équivalente contre les variants alpha, beta, gamma et delta. Cela dit, l’article ne compare pas directement l’antigène vaccinal d’origine au nouvel antigène vaccinal pour la protection contre le variant delta et donc ne permet pas de conclure que la protection contre delta spécifiquement est meilleure avec ce nouvel antigène par rapport à l’ancien. Il apporte surtout une solution à la diminution de protection conférée par certains vaccins contre le variant beta, qui n’est pas devenu dominant chez nous… à cause du variant delta ! Mais ce pourrait être intéressant pour le développement de vaccins adaptés dans le futur, suggérant qu’il y aurait moyen de les adapter de manière plus « universelle » contre les variants futurs. Mais, si cela reste hypothétique à ce jour, ce sera peut-être utile pour la suite.

Immunité naturelle versus immunité vaccinale

Ceux qui « ont fait » la Covid peuvent-ils compter sur leurs anticorps pour se défendre contre une future ré-infection ?
Le taux d’anticorps dans le sang suite à une infection ou à une vaccination fluctue dans le temps. Ces taux devraient donc être surveillés très régulièrement, tout en sachant qu’ils varient aussi beaucoup selon les conditions d’analyses utilisées par chaque laboratoire.  Mais ce qui augmente encore bien plus considérablement la difficulté d’utiliser ces taux pour évaluer nos défenses, c’est qu’il n’y a à ce jour aucune corrélation absolue entre le niveau d’anticorps dans le sang et la protection contre l’infection et la maladie. Ce qui veut dire qu’on ne connaît pas le niveau minimum d’anticorps qu’il faudrait avoir dans le sang pour être correctement protégé. Enfin, et surtout, la protection contre la maladie est multifactorielle et ne repose pas uniquement sur les anticorps. C’est donc une chimère de penser qu’on est protégé parce qu’on a toujours des anticorps dans le sang suite à une infection précédente.

Publié le 30 novembre 2021