Marc Verdussen est professeur de droit constitutionnel et directeur du centre de recherche sur l’État et la Constitution à l’UCLouvain.
D’ici 10, 20 ou 30 ans, la Belgique pourrait-elle avoir changé du tout au tout ?
Depuis 1970, la Belgique est dans un processus de transformation qui l’a conduit à devenir progressivement un Etat fédéral, composé de 3 régions (wallonne, flamande et bruxelloise), mais aussi de 3 communautés (française, flamande et germanophone) qui se superposent aux régions. A chaque réforme de l’Etat, de nouvelles compétences sont transférées à ces entités fédérées.
Ce qu’il adviendra de la Belgique dans 30 ans, personne ne le sait. Les pessimistes diront que les Etats fédéraux formés par désagrégation sont traversés par de fortes tendances séparatistes et que le risque de rupture y est donc beaucoup plus considérable qu’ailleurs. Les optimistes rétorqueront qu’un Etat fédéral formé par désagrégation est un Etat fédéral en continuel mouvement, dont le fédéralisme n’est jamais achevé.
Pouvez-vous donner deux exemples de ce qui a changé lors de la dernière réforme de l’Etat et qui impacte les jeunes ou leurs parents ?
En 2014, dans le cadre de la dernière réforme de l’Etat, la matière des prestations familiales (allocations familiales, primes de naissance et d’adoption) a été retirée des compétences fédérales. Cette matière est désormais gérée par les entités fédérées. Ce transfert comporte un gros enjeu symbolique, les prestations familiales faisant partie de la sécurité sociale, considérée jusqu’alors comme naturellement fédérale.
Toujours en 2014, la matière des baux à loyer, réglée depuis toujours par le Code civil, a été partiellement transférée aux régions. Sont visés les biens destinés à l’habitation, ce qui comprend les kots étudiants. C’est ainsi que le 15 mars 2018, la Région wallonne a adopté un décret sur le bail d’habitation.
Un État confédéral, ça n’existe pas
Peut-on imaginer qu’un jour les jeunes Belges aient des droits différents ? Mais n’est-ce pas déjà le cas ?
C’est clairement déjà le cas. Dans toutes les matières qui ont été régionalisées ou communautarisées, les droits des citoyens ne sont plus nécessairement les mêmes. Par exemple, un jeune qui souhaite faire bâtir une maison sur un terrain lui appartenant est soumis à des règles urbanistiques différentes selon la région où est localisé son terrain.
En revanche, ce qui reste commun à toutes et tous, ce sont les droits fondamentaux reconnus par la Constitution. Par leur rattachement à l’ordre constitutionnel, ils s’imposent aux entités fédérées. Ils représentent le substrat minimal de toute société qui, au-delà des clivages et de ses particularismes, aspire à se perpétuer en tant que communauté viable.
La N-VA veut évoluer vers le confédéralisme : qu’est-ce que cela veut dire et qu’est-ce que cela changera pour les francophones ?
Une confédération est une association d’Etats qui décident de régler ensemble certains domaines (défense militaire, commerce extérieur…). A cette fin, ils abandonnent une partie de leur souveraineté au profit d’organes communs. Le confédéralisme relève donc clairement des rapports entre Etats. Lorsque la N-VA revendique que la Belgique devienne un Etat confédéral, elle commet une erreur sémantique : un Etat confédéral, ça n’existe pas. En réalité, derrière la rhétorique utilisée par la N-VA, il y a la volonté de réclamer un fédéralisme radical, c’est-à-dire un Etat fédéral dans lequel la majeure partie des compétences seraient confiées aux entités fédérées.
Asymétrie institutionnelle
Certains francophones voudraient supprimer la Communauté française et transférer ses compétences (dont l’enseignement) aux Régions, pourquoi ?
Du côté flamand, les institutions de la Communauté flamande règlent les matières qui sont de la responsabilité de la Région flamande. Ce n’est pas le cas du côté francophone où les matières de la responsabilité de la Région wallonne sont réglées par des institutions qui lui sont propres (Parlement, Gouvernement, administration), toutes localisées à Namur.
Tant que les francophones ne sortiront pas de ce dilemme identitaire entre une logique régionale et une logique communautaire, cette asymétrie institutionnelle perdurera, avec toute sa complexité. Or, le caractère démocratique d’une architecture institutionnelle dépend notamment de sa plus ou moins grande intelligibilité par les citoyens.
Bruxelles pourrait-elle un jour dépendre de la Flandre ou de la Wallonie ?
Les territoires de la Région flamande et de la Région wallonne sont situés respectivement au nord et au sud du pays, tandis que celui de la Région bruxelloise, localisé au centre, est enclavé à l'intérieur des frontières de la Région flamande. La Région bruxelloise est, et restera, une région à part entière.
La question continuera d’ailleurs de se poser d’un élargissement du territoire bruxellois, qui ne correspond plus aux réalités économique et sociales de l’hinterland bruxellois. Des études scientifiques ont été consacrées à cette question et ont proposé une nouvelle délimitation du territoire de la Région bruxelloise, en y regroupant des communes ayant un profil socioéconomique comparable.