Fake, faux, flou

LOUVAINS

 

Les fake news ont partie liée avec les mutations technologiques… mais elles ne sont que la pointe émergée de l’iceberg. Une certitude : la recherche doit s’en préoccuper.

Quand le faux s'engouffre dans les mutations technologiques

« Vers 1150-1200, au Moyen Âge, l’écrit devient essentiel alors qu’il était jusque-là considéré comme sans importance pour le commun des mortels. Tout le monde s’en empare. La masse d’informations enfle, sidérante, à tel point que certains s’emparent de l’écrit pour appuyer des rumeurs, des fausses nouvelles. » Le Pr Paul Bertrand (Institut de recherches Religions, spiritualités, cultures, sociétés) compare cette évolution à la mutation technologique radicale que nous connaissons depuis 30 ou 40 ans. « Il y a aujourd’hui une prise en main de la société sur cette transformation, on sort des cadres, on crée de nouvelles formes de communication et les registres du vrai et du faux s’en trouvent bouleversés. » Apparaît une zone floue, très éloignée de ce que l’on connaissait il y a 50 ans, lorsque la critique documentaire distinguait le vrai du faux. Comment réagir ? « L’université doit reprendre en main la réflexion sur cette question. S’en remettre aux journalistes ou au fact checking n’est pas une solution », assène Paul Bertrand qui, dans son cours ‘Humanités numériques’, tente une refonte de la critique de l’information, bientôt accompagnée d’un manuel technique.

« Le président l'a dit »

Quel lien entre rumeur et fake news ? La rumeur nait en parallèle ou précède la fake news. Au Moyen Âge, quand une rumeur enfle, elle devient concrète à travers des textes trafiqués. Aujourd’hui, une rumeur, par exemple liée à des migrants soidisant kidnappeurs, prendra corps à travers la diffusion de vidéos détournées de leur sens premier. « Les spécialistes de la rumeur jouent là-dessus. Quand Donald Trump tweete à propos d’une rumeur, elle devient réalité : le président l’a dit », explique l’historien spécialiste de critique documentaire. D.H.

> uclouvain.be/rscs

Le carnet de l’équipe de Paul Bertrand, RESCRIPT, Centre de recherche sur la scripturalité médiévale
> https://rescript.hypotheses.org/h37

Un savoir de plus en plus complexe

Sociologue des sciences et de l’expertise, Grégoire Lits s’intéresse à la façon dont les journalistes, qui doivent produire une information ‘vraie’ sur ce qui se passe au sein de la société, interagissent avec l’autre instance de vérité qu’est la science. Autre axe de ses recherches : comment les technologies transforment-elles la société et la manière de produire de l’information ?

« Un état de la littérature montre que six types de contenus peuvent être qualifiés de fake news », explique le chercheur. « Du journal satirique Gorafi aux campagnes de désinformation politique, on a affaire à des cas tellement différents que simplement parler de fake news n’est pas pertinent.»

La pointe émergée de l'iceberg

Ces contenus ont cependant en commun leur caractère fictif, la volonté de tromper et la viralité, qui court-circuite le travail des journalistes. Comment les technologies numériques transforment-elles la production de l’information ? C’est un autre sujet de recherche développé au sein de l’Observatoire de recherches sur les médias et le journalisme (ORM). « De ce point de vue, les fake news sont la pointe émergée de l’iceberg, l’ORM s’intéresse à ce qui est immergé », poursuit Grégoire Lits.

Dans un contexte de désinformation liée au changement climatique, le chercheur pointe le rôle des journalistes qui doivent jeter des ponts entre un savoir technique de plus en plus complexe et la population dont le niveau d’éducation s’est élevé. Sur ce point, Grégoire Lits plaide pour que les journalistes soient davantage experts dans leur domaine. « Ils occupent une position essentielle entre la science et le public. » D.H.

Cold war redux?

“The nature of Russian disinformation campaigns is still unclear”, says Dr Zoltán Dujisin, a Marie Curie Leading Fellow at Erasmus University Rotterdam, who explores how claims to truth are legitimated through expertise. “I try to understand the networks of expertise producing knowledge about alleged Russian disinformation. The crisis of Legitimation of expertise has raised the stakes. The term ‘fake news’ is losing relevance. The real concerns are spin and bias manipulation, not fabrication.”

Dr Dujisin examines the production of journalistic identities through their embedding in networks of Russia expertise and its consequences for how truth and expertise are constructed in the public sphere.

Politics and media intermingled

“There’s an element of a media cold war”, he says. “Open hostility between Russian media and Western, particularly liberal newspapers, is entangled with the political and geostrategic struggle. Politics and media have always intermingled, it’s naïve to think media don’t play a role in what is a clear phenomenon in international relations. Disinformation is a symptom of the larger problem of polarisation that’s been brewing over the last decade. Manipulation is probably more effective because you can trust your own media consumers to not trust what’s coming from the other side. But disinformation has always been around. It’s spreading faster, but is it really the cause of the other problems we see? Some people are invested in believing or disbelieving that. The truth is we need more research, more engagement with Russia expertise, and more data expertise.”

Lee Gillette

> www.eur.nl/people/zoltan-dujisin-muharay

Article paru dans le Louvain[s] de mars-avril-mai 2020