«La poésie réveille ceux qui dorment»

LOUVAINS

Poète, comédienne, metteuse en scène, désignée à deux reprises ‘Poète nationale belge’, Laurence Vielle est l’artiste en résidence de l’UCLouvain en 2019-2020.

Comment êtes-vous entrée en poésie ?

Laurence Vielle : J’ai mis du temps à me dire poète parce que cela fait partie de moi depuis mon enfance. En première primaire, j’avais appris le son UL. Pendant les vacances, je me baignais dans la Lesse, à Resteigne, et je criais tous les mots en UL que je connaissais : Jules, bulle, calcul… ; j’avais composé un long poème en UL et je le criais dans la rivière. Et donc la poésie a toujours été pour moi associée à l'oralité. J’ai besoin de la faire jaillir de moi comme l’eau qui coule. Ma poésie est une poésie de l'oralité.

Laisser surgir ce qui vient, c’est cela le travail du poète ?

L.V. : Pour moi, dans ma pratique, la poésie a quelque chose à voir avec le jaillissement, le surgissement, l’abandon à quelque chose d’éternellement printanier qui me conduit dehors. Et ce qui sort de moi est très lié au souffle et au rythme. Les poètes, quels qu’ils soient, sont des joueurs de mots, de langue, de sons. Nous sommes des artisans, des fabricants. Nous travaillons avec la matière qui est la langue, et nous y allons de tout notre être.

Quelle peut etre la contribution des poètes et de la poésie au monde contemporain ?

L.V. : Dans un monde où tout s’uniformise et qui semble entré dans une espèce de torpeur, le poète va mettre du mouvement et réveiller ceux qui dorment. Un poète est un (r)éveilleur. Il y a quelque chose de mystérieux dans la poésie, un peu comme quand on tombe amoureux. Chacun peut tomber sur une phrase qui va le bouleverser et changer sa vie. Je pense à Jorge Semprun qui connaissait beaucoup de poèmes par coeur et qui dit que ça, ça l’a sauvé du camp de concentration. Pour moi la poésie, c’est du feu, c’est le langage qui brûle.

Vous avez choisi comme titre de votre résidence à l’UCLouvain : ‘urgence poétique’. Pourquoi ?

L.V. : Pour moi, il est aussi urgent de s’ouvrir à la poésie que de parler du climat ou de la justice sociale. Parce que la poésie est un accueil permanent de ce qu’on a en soi de différent et de la différence de l’autre. La poésie est un lieu au bord du gouffre où l’autre est bienvenu, où la rencontre est possible. La poésie nous apprend que nous ne sommes pas blancs ou noirs. Nous sommes tous sans arrêt en mouvement et c’est ça qui nous relie. C’est cette impermanence. Et puis la poésie, c’est aussi l’art du souffle et le souffle est sans frontières. La poésie, pour moi, est aussi totalement orale et, dans cette oralité, je respire le souffle de quelqu’un d’autre et je partage avec lui le même air.

Durant cette année, vous travaillerez avec une vingtaine d’étudiant·es de la mineure en culture et création, ISSU·ES de toutes Facultés. Qu’allez-vous leur proposer ?

L.V. : Je vais les mettre à l’ouvrage dès la première heure. Qu’ils se confrontent d'emblée avec le travail d’écriture poétique. Avec les étudiants, j’aimerais que, chaque fois qu’on se voit, on sorte dans l’espace, entre le ciel et la terre, parce que pour moi c’est là que ça se passe. J’attends des étudiants qu’on marche ensemble, qu’on joue le jeu ensemble d’être poètes dans la cité. Tout au long de l’année, nous allons réaliser des interventions poétiques dans Louvain-la-Neuve, nous rencontrerons des poètes, nous imaginerons une ‘nuit de la poésie’, et plein d’autres choses encore.

Que pensez-vous pouvoir apporter, comme poète artiste en résidence, à l’université ?

L.V. : L’université est un lieu où travaillent plein de chercheurs dans tous les domaines, y compris celui du langage. Et si cette recherche sur la langue pouvait s’incarner cette année par une parole poétique infusée dans toute l’université, ce serait fantastique. Je voudrais que nous soyons toutes et tous des faiseurs de quelque chose qui vienne un peu bouleverser l’ordre quotidien, qui vienne ouvrir des fenêtres dans les murs. Mon rêve serait qu’on soit un bataillon de poètes qui contaminent la ville.

Frédéric Blondeau
Responsable UCLouvain Culture

La résidence d'artiste de Laurence Vielle propose plusieurs rendez-vous ouverts à tou·tes en collaboration, notamment, avec les Midis de la Poésie.
> uclouvain.be/culture

Article paru dans le Louvain[s] de septembre-octobre-novembre 2019