« La recherche ne suffit pas, il faut relever les manches »

LOUVAINS

Bruno De Wever, professeur à l'UGent et un des porteurs du projet TRANSMEMO, défend la public history et l’implication de l’historien dans la société.

Quels sont les objectifs du projet TRANSMEMO qui réunit l’UGent, l’UCLouvain et CegeSoma/archives de l’État ?

Bruno De Wever : Le premier but de ce projet qui porte sur les mémoires dans les familles d’anciens collaborateurs et résistants est de mieux comprendre le fonctionnement de la mémoire collective dans un contexte polarisé et émotionnel. Cette mémoire divise les communautés en Belgique mais aussi les communautés elles-mêmes. TRANSMEMO veut donner une voix aux enfants, petitsenfants et arrière-petits-enfants pour qu’ils puissent intégrer leur histoire dans la mémoire de la guerre. Enfin nous voulons créer le contact entre les milieux qui détiennent cette mémoire afin de faciliter la réconciliation.

Était-ce facile de travailler avec des chercheurs des deux communautés ?

B.D.W. : Entre scientifiques, il n’y a pas de tabous. Le défi était plutôt de travailler entre disciplines différentes, la psychologie, l’histoire et les sciences politiques. Nous avons été obligés d’apprendre la langue disciplinaire de l’autre. Cela a demandé du temps et de l’énergie, mais cela en valait la peine. On a volontairement choisi le Sénat comme lieu symbolique de dialogue.*

Qu’est-ce que votre statut de chercheur vous permet de faire que vous ne pourriez pas faire en étant journaliste ou politique ?

B.D.W. : Les archives s’ouvrent plus vite pour des chercheurs que pour des journalistes, surtout lorsqu’elles sont sensibles ou appartiennent à l’auditorat militaire. Comme chercheur, j’ai aussi du temps. J’ai toujours été convaincu de l’importance de la slow science. Il faut qu’une société ait une ‘zone libre’, même si cela demande du temps et des moyens. Sans elle, on ne parvient jamais à atteindre les questions fondamentales. Des échanges avec Olivier Luminet et Valérie Rosoux (UCLouvain), j’ai compris qu’on mène aujourd’hui du côté francophone les discussions qu’on a eues il y a dix ans en Flandre. Pour ma part, j’ai toujours considéré que les meilleures publications scientifiques ne sont pas les seules à avoir de la valeur. Les livres destinés au grand public et le travail avec les journalistes en ont aussi. En sciences humaines, on a compris qu’on ne peut pas privilégier les chercheurs qui vivent dans leur tour d’ivoire et qui ne font rien pour leur environnement.

Vous dites que la recherche est un ‘humus’...

B.D.W. : Je suis persuadé qu’en sciences humaines, la recherche joue le rôle d’un humus ‘sain’ sur base duquel peuvent germer de nouvelles idées.

Quel objectif anime votre travail de chercheur ?

B.D.W. : Mon nom et mon histoire familiale sont très connus. Mon grand-père était un collaborateur modeste et moi-même j’ai fait partie d’un mouvement de jeunesse très extrémiste. Je connaissais la collaboration bien avant d’entrer à l’université mais à 17 ou 18 ans, j’ai commencé à me poser des questions. J’ai consacré ma thèse à la collaboration politique et au nationalisme flamand pendant les années 1930-1940. La parution du livre qui a suivi en 1993 a eu un impact significatif. J’ai aussi beaucoup investi dans la public history en créant il y a 15 ans l’Instituut voor Publiekgeschiedenis (IPG) à l’UGent, bien avant les autres universités. Pour vraiment peser sur la discussion, il ne suffit pas de faire de la recherche, il faut aussi relever les manches et avoir les compétences pour participer au débat, entrer en dialogue avec les musées, avec des réalisateurs de films. L’émission ‘Kinderen van de collaboratie’ (suivie par 300 000 personnes sur Canvas) est considérée comme une ‘spin-off’ de l’UGent, grâce en particulier au Dr Koen Aerts qui participe à TRANSMEMO. Je défends l’idée que l’historien fait partie d’un tout.

Dominique Hoebeke
Cheffe info UCLouvain

*C’est au Sénat qu’a eu lieu le 3 octobre 2019 un colloque réunissant familles, journalistes et chercheurs autour du projet TRANSMEMO : Olivier Luminet, Aline Cordonnier, Pierre Bouchat et Valérie Rosoux (UCLouvain), Nico Wouters et Florence Rasmont (CegeSoma/Archives de l’État), Bruno De Wever et Koen Aerts (UGent).

Article paru dans le Louvain[s] de décembre 2019 - janvier-février 2020