La justice intergénérationnelle ? Cette notion bien plus riche qu’il n’y parait est au coeur du livre d’Axel Gosseries, What is intergenerational Justice? paru aux éditions Polity (Cambridge).
Axel Gosseries, responsable de la Chaire Hoover, publie What is intergenerational Justice?, la synthèse de plus de 25 ans de recherche sur les générations.
Comment définir la justice intergénérationnelle?
Elle concerne les relations entre personnes d’époques et d’âges différents, qu’elles coexistent ou non. Que devons-nous au futur, voire au passé ? On s’interroge sur ce que les âgés doivent aux plus jeunes et inversement. Un des défis est le fait que nous ne coexisterons pas avec la plupart de ces générations, ce qui rend par exemple une délibération démocratique impossible. Et aussi le fait que, pour les relations entre classes d’âge, l’idée de limite d’âge pourrait paraitre à première vue compatible avec une forme d’égalité, si elle est prise sur des vies complètes.
Qu'implique la notion de génération?
C’est un raccourci pour qui s’intéresse à cette dimension temporelle qui implique l’absence de coexistence, un dialogue impossible avec des personnes d’un autre temps et un rapport de force qui se présente en des termes inhabituels. Même sans coexistence physique, chaque génération pose des choix lourds de conséquences pour les suivantes.
La durabilité implique-t-elle une répartition juste entre générations?
Je distingue justice et durabilité et aussi deux idées de durabilité. La durabilité ‘à la Brundtland’ met l’accent sur les besoins de base : quel que soit ce qu’on a reçu de la génération précédente, il faut garantir une couverture des besoins de base de la génération suivante (sans mettre en péril ceux de l’actuelle). Quant à la durabilité du ‘non déclin’, elle considère qu’on n’a pas le droit de transférer moins à la génération future que ce dont on a hérité, même si cela dépasse de quoi couvrir les besoins de base.
Qu'est-ce que la non-identité?
Le constat, anodin, que toute politique a un impact sur le moment où les personnes se reproduisent est crucial pour certaines approches de la justice. Car affirmer que certains de nos actes causent dommage au futur nous confronte à ce défi. Exemple : si un enfant dit ‘tu m’as causé un dommage parce que tu t’es reproduit à 60 ans et pas à 30 ans’, la réponse est ‘si je m’étais reproduit plus tôt, tu ne serais pas là.’ Car pour lui, c’est la seule existence possible. Autre exemple : un donneur de sperme qui donne naissance à plus de cent enfants. Si on prend en compte leur intérêt, pour eux, c’est la seule vie possible. Il s’agit alors de montrer les implications philosophiques de cette idée. Ce problème touche potentiellement toutes nos politiques qui ont un impact sur le futur. Pour en sortir, on doit moins parler en termes de dommage que se recentrer sur la dimension distributive de la justice. Si quelqu’un emboutit une voiture, il y a dommage mais la première question est ‘qui est le propriétaire légitime de cette voiture’ ? La justice distributive détermine à quoi chacun a droit et la justice rectificative n’intervient que dans un second temps. C'est la justice distributive qui nous permet de dire que transférer un monde deux fois moins bien aux générations suivantes est injuste. Elle nous permet aussi d’échapper au problème de la non-identité.
Pourquoi la justice distributive est-elle plus appropriée?
Le grand public met volontiers l’accent sur la justice rectificative : ‘vous êtes responsable du changement climatique, il faut réparer’. Or, je pense, pour plusieurs raisons, qu’il est plus robuste de dire ‘on a une ressource limitée qui fait partie d’un pool d’autres ressources, il faut la répartir de manière juste’. Autrement dit, la justice climatique, par exemple, doit être conçue comme faisant partie d’une théorie générale de la justice, globale et entre générations. Imaginons que les changements climatiques soient naturels : la justice rectificative n’aurait plus rien à dire alors que la justice distributive pourrait malgré tout imposer des obligations envers autrui, comme on le fait pour les catastrophes naturelles. Il faut se départir de notre tendance à privilégier la justice rectificative.
Propos recueillis par Dominique Hoebeke
Communication UCLouvain Bruxelles
What is intergenerational Justice? Axel Gosseries, Polity (Cambridge), 208 p., 20 €
Axel Gosseries est maitre de recherches du FNRS, professeur à l’UCLouvain et responsable de la Chaire Hoover d’éthique économique et sociale et du programme PPE de l’UCLouvain (bachelier en sciences philosophiques, politiques et économiques). |
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