À quoi ressemblera l’étudiant·e en 2035 ? Pour la 3e fois, le Louvain Learning Lab (LLL) interroge la façon d’enseigner à travers un Hack’Apprendre. À l’heure du web et des nouvelles technologies, la posture de l’enseignant·e qui transmet à l’étudiant·e qui apprend est bouleversée. L’ enseignant·e devient accompagnateur et le hiatus entre savoir et compétences s’efface : le ‘à quoi sert cette théorie ? Tu comprendras plus tard’ est révolu. Un terrain sur lequel l’UCL est pionnière !
Apprendre autrement, ça procure du plaisir !
« L’innovation, ce n’est pas un changement de méthode mais changer sa façon de travailler. » C’est aussi un autre mode de transmission : ‘il n’y a plus l’un qui sait et l’autre qui apprend. C’est la capacité à se mélanger et à réfléchir, ensemble. « Une sorte de mouvement perpétuel. »
Jean-Charles Cailliez est un infatigable innovateur. Vice-président innovation de l’Université catholique de Lille, il est toujours à la recherche de nouvelles approches d’enseignement. Mais attention, pas pour remplacer les bonnes vieilles méthodes d’apprentissage : « J’observe que les professeurs les plus innovants sont aussi les meilleurs en enseignement académique. » Et de casser un premier cliché : celui de l’antagonisme entre les méthodes d’hier et d’aujourd’hui. Il perçoit les différentes formes d’enseignement comme un maillage. Son credo ? L’ alternance. « Quand on pousse fort l’innovation, on transmet sans doute moins de connaissances, mais c’est plus durable. » D’où l’utilité d’alterner. Pour osciller entre quantité et qualité.
L’innovation pour apprendre
Le secret de l’enseignement 2.0 ? Le DIY (do it yourself). Avec l’embarras du choix : les classes inversées ou même renversées : « Là, ce sont carrément les étudiants qui donnent cours au prof. Ils travaillent en équipe, confrontent leurs connaissances et créent ainsi le contenu. Soit le do it with others ». Les cartes mentales, l’apprentissage par projet, les web TV ou wiki radio, « une manière de remplacer les examens oraux par une émission à construire, soit 5 minutes de live pour montrer s’ils ont compris la matière ! » Et encore, les serious games, l’impro ou les escape games : « les étudiants doivent résoudre des énigmes pour sortir de la classe. La seule manière d’y arriver ? Connaître le cours ». Ou comment apprendre en s’amusant. « Et ça fonctionne ! » martèle Jean-Charles Cailliez. Mais sous certaines conditions : « ces innovations ne remplacent pas l’enseignement académique, elles le renforcent. La bonne articulation ? 80 % de cours aca et 20 % d’innovations. » Une multitude d’expériences qui permettent « à chacun d’apprendre à son rythme et de s’approprier SA méthode d’apprentissage. »
Université et entreprise : même combat
Des évolutions qui créent un nouveau relationnel, entre profs et étudiants. Et, plus surprenant, entre employeur et jeunes diplômés aussi. Lorsqu’ils sortent de l’unif, ils veulent retrouver cet esprit collaboratif. « Si l’université a été capable d’évoluer, le monde de l’entreprise doit embrayer. » Et Jean-Charles Cailliez d’aller plus loin : « Pourquoi ne pas imaginer un CA renversé ? » Selon lui, les mondes de l’enseignement et de l’entreprise se ressemblent, celui de l’éducation est professionnalisant et celui du travail est apprenant : « Au fi nal, on a plus appris au boulot que durant ses études, il y a une plus grande transmission des savoirs et on y développe beaucoup plus ses compétences. » L’ étudiant de demain ? Il étudiera tout au long de son parcours, le fameux lifelong learning, soit « le bonheur au boulot ! Ça procure du plaisir, sauf si on nous impose la méthode. D’où l’importance de diversifi er les approches d’apprentissage. »
Isabelle Decoster, attachée de presse UCL
HACK'APPRENDRE Le Louvain Learning Lab de l’UCL fait fi gure de pionnier en Europe, tant pour ses formations, ses innovations technologiques constantes que pour Hack’Apprendre, suivi par de nombreux observateurs à l’international. Un Hack’A quoi ? Hack’Apprendre, une journée de réflexion pour penser l’enseignement du futur et en particulier, en 2018, imaginer l’étudiant de 2035. Ils sont pédagogues, spécialistes du numérique, étudiants, professeurs et chercheurs. Ça foisonne, les cerveaux sont en ébullition : on s’interpelle, on rit, on repousse les limites du possible, on ôte les barrières, on efface le connu et on fonce vers l’inconnu. Mieux, on l’imagine, ce terrain inexploré, on le crée, on le façonne. Avec l’envie farouche de participer à l’évolution de la société, pour un monde où chacun aurait accès au savoir, et ce, tout au long de sa vie. Les résultats de ces cogitations sortiront en septembre 2018, sous forme d’un cahier 100 % numérique avec photos, vidéos et sons, histoire de partager les idées et solutions dégagées lors du Hack’Apprendre de l’UCL. |
« Je veux travailler à l'émancipation par le numérique »
Un mot pour cibler l’apport des nouvelles technologies dans l’enseignement ? Professeur à l’UCL, pionnier de leur utilisation, Marcel Lebrun n’hésite pas : « l’essentiel est comment cette technologie change notre vision de l’enseignement », explique un des piliers du Louvain Learning Lab (LLL). « Le paradigme de l’enseignant qui sait et transmet vers l’étudiant qui apprend a évolué. C’était valable au 15e siècle quand les supports de mémoire étaient peu nombreux. Avec les livres, les médias, le web,… ce paradigme se mêle à d’autres formes pour accompagner les étudiants. »
Très tôt, des recteurs comme Pierre Macq et Marcel Crochet ont perçu la transformation de l’enseignement, donnant naissance à l’Institut de Pédagogie universitaire et des Multimédias (IPM, futur LLL) en 1995. « Vous imaginez, on allait former les enseignants de l’université ! Je vois aujourd’hui combien ces idées ont percolé et l’UCL reste un pôle dans ce domaine ». Si, face à une évolution fulgurante, on peut s’inquiéter du caractère aliénant des nouvelles technologies, « je veux quant à moi clairement travailler à l’émancipation », s’enthousiasme le pédagogue.
Qui sera l’étudiant en 2035 ? « La plupart auront de 18 à 23 ans, avec une proportion plus importante de personnes plus âgées. L’ âge est moins important que leurs besoins particuliers auxquels nos programmes d’étude ne pourront pas répondre. » Un agriculteur de 40 ans qui veut créer un projet en permaculture cherchera des éléments d’agronomie, de gestion, de droit mais pas un master en cinq ans. « Si on ne le fait pas, d’autres le feront, y compris des privés ». Mais dans un monde où le savoir est partout, les humains n’auront-ils pas besoin d’un campus dans un espace-temps donné ? « Alors il doit ressembler à ce que Hack’Apprendre a esquissé : un lieu décloisonné avec une approche par compétences ou par projets plus que par disciplines, où le hiatus entre savoir et compétences s’efface : le ‘à quoi sert cette théorie ? Tu comprendras plus tard’ est révolu. »
« Nous sommes aujourd’hui dans un mouvement bottom-up : ce n’est plus seulement la recherche ou le politique qui est déterminant mais le ‘hack’, au sens positif, c’est-à-dire des personnes qui s’inspirent des autres. Je ne crois plus tellement au potentiel des structures pour susciter l’innovation mais davantage à une approche ‘connectiviste’ qui met en réseau pour instruire, expérimenter, partager. » Heureux de travailler au sein d’une structure, Louvain, qui est attentive à ce genre d’approche, Marcel Lebrun défi nit sa vision : « l’université doit être plus ouverte, moins cloisonnée, plus transparente, fédératrice de réseaux. »
Dominique Hoebeke
L’exemple arménien |
La curiosité et la créativité comme stimulants
Ils étaient 80 à participer à la journée de réflexion Hack’Apprendre, pour répondre à cette question : à quoi ressemblera l’étudiant en 2035 ? Parmi eux, Manuela, David et Pierre. Mais qui sont-ils vraiment, ces curieux, désireux d’étayer la réflexion sur cet enseignement du futur ? Et surtout, qu’est-ce qui les a motivés à participer à ces cogitations ? Rencontre.
David Abeels, étudiant en sociologie et économie à l'UCL. |
Manuela Guisset, conseillère pédagogique au Louvain Learning Lab. |
Pierre Delmelle, professeur à la Faculté des bioingénieurs. |
« J’avais déjà participé au 2e Hack’Apprendre de l’UCL, en 2016 », explique David Abeels, étudiant en sociologie et économie à l’UCL. « J’avais envie de poursuivre, pour voir comment contribuer à changer les choses. » Pour lui, l’éducation est la pièce maîtresse de la société. C’est elle qui pousse les jeunes à être curieux et qui les prépare au monde du travail. Une étape cruciale. Qui, à ses yeux, ne fonctionne pas aujourd’hui de manière optimale. Or justement, c’est ça l’objectif d’Hack’Apprendre : « une journée pour sortir du cadre, pour explorer les possibles et imaginer, innover, confronter, tester,... ! » explique Manuela Guisset, enthousiaste. Conseillère pédagogique au sein du Louvain Learning Lab, c’est elle qui, avec d’autres dont Marcel Lebrun, a oeuvré à l’organisation de cette journée. C’est cette idée d’aller toujours plus loin, de dépasser le connu pour aller vers l’inconnu, qui a motivé Pierre Delmelle, professeur en sciences de la terre et du sol à la Faculté des bioingénieurs de l’UCL, à participer : « La manière de donner cours n’est pas la même selon que l’on enseigne à des bacs ou des masters ou même en fonction de la matière délivrée. C’est pour cette raison que j’étais présent : découvrir de nouvelles pratiques, intégrer de nouvelles idées, histoire de m’adapter au mieux, tant à l’auditoire qui est face à moi, qu’aux attentes et envies des étudiants, de plus en plus portés sur le numérique. »
Manuela résume ce qui s’est dégagé des discussions : « Les apprenants de demain sont des étudiants-citoyens qui cherchent à développer des compétences précises (techniques, soft skills, etc.) afin d’insuffler une cohérence dans leur vie professionnelle. » Et les enseignants alors ? Ils seront amenés à les accompagner dans des processus personnalisables qui comptent une haute plus-value humaine, dans le contexte numérique qui les entoure. Et c’est justement cela qui a le plus intéressé Pierre Delmelle : « J’ai été secoué, dans le sens positif du terme. C’est stimulant de voir qu’il y a des gens qui osent, qui vont plus loin, qui cassent les barrières de l’enseignement classique. » Et Manuela de confirmer : « L’enseignant peut se présenter comme un coach, un accompagnateur. Mais cela ne se fera pas sans espaces d’apprentissage adaptés et une valorisation adéquate de l’innovation. »
Ce qu’ils ont retiré de cet Hack’Apprendre, version numérique ? Pas d’outils concrets (ce n’était d’ailleurs pas l’objectif) mais plutôt une meilleure vision des tendances à venir. Et surtout, une bonne dose d’espoir pour David : « Grâce au numérique, il y a de meilleures chances pour que l’éducation devienne davantage accessible à tout un chacun. Et que la connaissance soit vectrice de lien, permette de relier les gens entre eux. » De son côté, cette journée a conforté Pierre dans son envie d’aller plus loin : « Participer à ce type d’événement créatif, cela donne confiance et nous pousse à prendre plus de risques. Je serais tenté de tester le principe de classe renversée. Mais cela demande du temps aussi… J’applaudis l’initiative de l’UCL. »
Au final, Pierre, Manuela et David avaient un objectif commun : via la curiosité et surtout la créativité, avoir un impact sur la société de demain. I.D.
Crédits photos : Jacky Delorme, Benjamin Zwarts, Alexis Haulot
Article paru dans le Louvain[s] de juin-juillet-août 2018 |