Le Centre interdisciplinaire de recherche sur les familles et les sexualités de l’UCLouvain organise un colloque consacré aux populismes anti-genre et anti-migration, sous la houlette de Giacomo Orsini, Tanja Vuckovic Juros et Laura Merla. Philippe Hensmans, directeur d’Amnesty International Belgique et la ministre Bénédicte Linard esquissent des pistes pour tenter d’y faire face. Quentin Landenne et Martin Deleixhe (Université Saint-Louis – Bruxelles) pointent l’ambivalence du terme.
Giacomo Orsini, Tanja Vuckovic Juros et la Pre Laura Merla (Centre interdisciplinaire de recherche sur les familles et les sexualités) organisent le colloque Excluding Diversity. At the Intersections of Anti-Immigrant and Anti- Gender Mobilizations les 29 et 30 octobre à Louvain-la-Neuve. Tanja Vuckovic Juros a travaillé sur les migrants LGBT en Belgique. Les recherches de Giacomo Orsini concernent le fonctionnement de la gouvernance sécurisée des migrations et son impact sur les migrants et les sociétés d’accueil. Laura Merla, membre de Louvain4Migration, étudie les transformations des relations familiales en contexte de mobilité. Elles et lui sont tous trois sociologues. |
« Le durcissement des lois est le fait des partis traditionnels »
Les exemples de l’empreinte des populismes anti-genre et antimigration pullulent. En Croatie, un référendum sonde la population : ‘Voulez-vous que le mariage entre l’homme et la femme soit inscrit dans la Constitution ?’. Au Brésil, une association de parents met en place un système de surveillance des propos des enseignants. En Pologne, des villes ou des régions éditent des stickers ‘LGBT-free zone’. « Il n'existe que très peu de recherches sur les populismes anti-genre ET anti-migrations », soulignent Giacomo Orsini, Tanja Vuckovic Juros et la Pre Laura Merla, chercheur·es au Centre interdisciplinaire de recherche sur les familles et les sexualités, « mais il y a des connexions entre les politiques et les organisations concernées. »
« L’idée est entretenue, expliquent les chercheur·es, que les migrations, les droits sexuels et reproductifs et les visions nonessentialistes (ex : on ne naît pas femme, on le devient) mettent en danger la survie de la société. » Mais les discours populistes peuvent se situer à deux extrêmes : pour les uns, l’immigration est une menace pour la famille traditionnelle (Vlaams Belang, la Ligue de Salvini), pour les autres elle menace notre modernité (Pays-Bas, Scandinavie ou N-VA en Flandre).
Dans les interstices des lois
Les attentats des dernières décennies ont ouvert la voie à « des politiques migratoires sécuritaires, avec des mesures et des procédures administratives restrictives et changeantes qui touchent tout le monde, quel que soit le pays d’origine. » Le come and go, autorisé, peut même s’avérer compliqué pour des académiques. « C’est très subtil : vous obtenez un visa… mais vous le recevez quand il est trop tard. » C’est d’ailleurs un des constats posés par les chercheur·es : « Beaucoup d’exclusions, aujourd’hui, se passent en dehors de la légalité. Ce sont les interstices dans l’arsenal législatif qui sont mis à profit pour exclure. » « Il y a une tension entre la liberté d’expression et les limites à ne pas franchir », poursuit Laura Merla. « Mais ce qui est certain, c’est que ces mouvements influencent l’agenda des partis traditionnels. Le durcissement des lois migratoires est le fait de partis démocratiques, pas des extrémistes. »
Les universités, première cible
Que faire ? « Promouvoir la déconstruction de ce qui se passe », avance Tanja Vuckovic Juros. « Profiter de la proximité avec l’Union européenne et donner aux politiques du matériel afin qu’ils puissent mettre en place une nouvelle ligne », ajoute Giacomo Orsini. « Intégrer nos connaissances dans nos cours et étudier les zones d’ombre, par exemple en matière de réseaux sociaux. Disséminer nos résultats, avec le soutien de l’université », pointe Laura Merla. « Et rappeler que quand les forces populistes prennent le pouvoir, les universités sont souvent la première cible », insiste la chercheuse.
Dominique Hoebeke
Communication UCLouvain Bruxelles
Photo : Tanja Vuckovic Juros, Giacomo Orsini, Laura Merla.
Les populistes désignent un ennemi
Comment Amnesty analyse-t-elle les tendances actuelles ?
Philippe Hensmans, directeur d’Amnesty Belgique : Nous sommes inquiets de la montée des populismes. Le sentiment anti-migration n’existe pas qu’en Flandre. Il est bien présent en Wallonie aussi. Or la crise migratoire n’existe pas. Il y a par contre une crise du management de la migration. L’ancien secrétaire d’État a diminué expressément le nombre de dossiers traités par jour de telle sorte que les files s’allongent. On filme ça et on dit qu’il y a un problème. Sur le genre, beaucoup ont attaqué le mouvement #MeeToo. Or ce sont souvent les mêmes qui sont anti-migrants et anti-genre.
Quels sont les germes du succès du populisme ?
Deux ingrédients fondent le populisme : la désignation d’un ennemi et le repli sur soi. Donald Trump en est un bel exemple. Son mur à la frontière mexicaine ne pourrait fonctionner effectivement qu’en mettant un gardien tous les cent mètres. Le rôle de ce mur est d’abord symbolique : désigner l’ennemi et montrer qu’on fait quelque chose contre cet ennemi. Cette technique fonctionne avec un électorat qui n’est pas confronté à cette population de migrants mais qui a besoin de repères. Avec la mondialisation, au lieu d’expliquer ce qui se passe, on désigne des ennemis. Le mur est le symbole du repli sur soi. On rend visible et concret le fait de vivre entre soi. Depuis la chute du mur de Berlin, le nombre de murs a doublé. Et puis, dans le populisme, on trouve le mensonge. On l’a vu avec Jan Jambon (Ministre-Président de la Flandre, N-VA, N.D.L.R.) et son propos sur cette famille de réfugiés qui aurait pu s’acheter une petite maison rien qu’avec des allocations familiales. C’était faux. Un discours vrai est obligatoirement rationnel.
Quels sont les moyens pour combattre le populisme ?
La meilleure réponse au populisme doit être émotionnelle pour rester dans le même registre mais de manière intelligente. La plate-forme d’aide aux réfugiés par des citoyens avec ses 40 000 membres est une belle réponse. Elle fait appel au coeur. Elle ennuie les politiques. Les fausses informations doivent aussi être bloquées. Plutôt que de répondre aux commentaires et aux trolls, il vaut mieux quelques personnes positives qui remontent dans la partie visible des réseaux sociaux. On doit adapter nos langages aux techniques d’aujourd’hui. On ne peut pas se contenter de débats et de conférences. La communauté #jesuislà qui veut ‘faire d’internet un endroit meilleur’ et compte 5 000 personnes en Belgique, est un bon exemple.
Catherine Ernens
Journaliste à Moustique
> www.facebook.com/groups/359820924602583/
Photo : Philippe Hensmans, directeur de la section francophone d'Amnesty Belgique.
Des populismes au pluriel
Comment les pouvoirs publics peuvent-ils influencer les tendances actuelles vers le populisme ?
Bénédicte Linard, ministre Ecolo de la Fédération Wallonie-Bruxelles : Les populistes utilisent les peurs, le rejet, les inégalités pour mettre toute la démocratie à mal. C’est l’histoire qui se répète. Or je suis extrêmement sensible à la préservation de la démocratie, c’est même le fondement de mon engagement et cela sous-tend la justice sociale et environnementale. Et les populistes utilisent les inégalités sociales comme terreau. Par ailleurs, il y a des populismes au pluriel et donc des réponses multiples.
Quelles réponses ? Quelle stratégie adopter ?
Il faut renforcer la participation. Je suis persuadée que l’intelligence collective est une manière de lutter contre les méfiances. Gouvernance et transparence sont des outils pour redonner confiance. C’est au coeur de mon travail comme politique, comme ministre. Il faut travailler à renforcer la prise de recul par rapport à l’immédiateté et agir par rapport aux réseaux sociaux. Les populistes ont compris que les réseaux sociaux leur sont favorables. Le Vlaams Belang a joué là-dessus pour trouver ses électeurs. Les populistes jouent avec les forces et les faiblesses de notre époque. On doit aller plus loin dans l’éducation aux médias et cela vaut pour les jeunes comme pour les plus âgés. Une étude montre que les plus âgés partagent six fois plus de fake news que les jeunes. Enfin, il y a la culture : c’est un levier magique de cohésion sociale. La culture permet à la fois un développement personnel, de créer du lien social et du dialogue et un questionnement du monde dans lequel nous vivons. Dans les sociétés où l’extrême-droite a pris le pouvoir démocratiquement, ses premières mesures sont toujours de diminuer les moyens pour la culture.
Vous pensez toucher toutes les couches de la population avec ces pistes de solutions ?
C’est l’intention. Je défends une diffusion la plus large possible de la culture. Les centres culturels et les bibliothèques peuvent toucher tout le monde. Il faut s’en donner les moyens. Il y a aussi une dimension linguistique à laquelle je suis sensible comme romaniste. Le choix des mots est aussi un outil des populistes. La manière dont on nomme n’est jamais anodine. ‘Trans-migrants’ est utilisé pour montrer du doigt alors qu’en réalité ce sont des personnes. Et les populistes le font oublier. Il faut aussi travailler là-dessus. C.E.
Photo : Bénédicte Linard, ministre de la culture, la petite enfance, les droits des femmes, la santé et les médias de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Appeler un chat un chat
Populisme… le mot est partout. Mais de quoi parle-t-on ? « Il y a un déficit de clarté conceptuelle dans les usages médiatiques et académiques de ce terme », explique Quentin Landenne, professeur invité à l’Université Saint-Louis – Bruxelles. « Le concept de populisme a une longue histoire, mais il a réémergé il y a une quinzaine d’années comme une insulte », enchaîne Martin Deleixhe, professeur invité à l’USL-B. « S’il est employé de façon péjorative, c’est que le terme n’a pas de contenu analytique. Il ne permet pas d’expliquer un phénomène politique. » Assimiler le populisme à la démagogie ? Ce n’est en rien spécifique. Faut-il l’identifier à l’opposition entre élites et peuple ? C’est assez juste, mais d’autres courants politiques s’appuient sur la même opposition.
Faire sauter un blocage
« Nous ne contestons pas que certains discours et pratiques qualifiés de populistes représentent des menaces réelles ou potentielles pour l’État de droit », insistent les chercheurs, « mais il convient d’abord de réfléchir à ce que le populisme nous apprend sur l’état actuel de la démocratie, plutôt que de considérer a priori qu’il en est une pathologie ».
Alors ? Les chercheurs remontent aux origines historiques du populisme. « Il s’agit toujours d’un mouvement populaire issu de la société civile qui fait sauter un blocage en faveur d’une logique démocratique. Il y a revendication d’égalité, mais au sein d’une structure très verticale, avec un leader fort », détaillent les chercheurs.
Russie, États-Unis, Amérique latine
Trois exemples historiques illustrent les premières expériences populistes. À la fin du 19e siècle, en Russie, de jeunes militants socialistes, membres de la classe moyenne supérieure, vont dans les campagnes (il n’y a pas de classe ouvrière) pour susciter la révolution. C’est l’époque des communautés paysannes autonomes (‘mir’), vues comme une forme de communisme primitif. À la même période aux États-Unis, des petits fermiers confrontés à l’industrialisation de l’agriculture revendiquent la régulation du marché. Le mouvement rassemble aussi la population des petites villes et les minorités afro-américaines, mais il se raffermit finalement sur une base blanche. Enfin, dans les années 1930 et 1940 en Amérique latine, des leaders syndicaux ou de gauche vont prendre la tête de mouvements contre des oligarchies ou des juntes militaires (ex : Perón en Argentine). « On a oublié ces moments d’ouverture, de critique radicale, d’égalité. Pourtant, ils montrent toute l’ambivalence du terme populisme », pointent les chercheurs.
Érosion de la vie démocratique
Alors que ces premières expériences ont émergé en résistance à l’oppression, la situation est assez différente aujourd’hui : « les démocraties occidentales sont entrées dans une ère que certains qualifient de postdémocratique et le populisme est clairement lié à cette érosion de la vie démocratique. »
Quentin Landenne et Martin Deleixhe plaident pour qu’on appelle un chat un chat. Pourquoi désigner comme populistes des acteurs qui sont avant tout nationalistes, par exemple ? « Désigner Salvini ou Trump comme nationalistes, plutôt que comme populistes, serait plus pertinent pour comprendre leur stratégie. On ne doit certes pas s’interdire de parler de populisme, mais il convient de qualifier ce concept, d’en faire un usage parcimonieux et de s’interroger sur les tensions qu’il implique », conclut Quentin Landenne. D.H.
Quentin Landenne, chercheur et professeur invité en philosophie à l’Université Saint-Louis – Bruxelles (à gauche), Martin Deleixhe, chercheur à Paris 1 Panthéon- Sorbonne et professeur invité en sciences politiques à l’USL-B (à droite), et Daniele Lorenzini, professeur à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et à l'Université de Warwick, préparent la parution d’un ouvrage collectif, La pensée populiste, qui devrait paraître fin 2020 dans la Revue européenne des sciences sociales. |
Article paru dans le Louvain[s] de mars-avril-mai 2020 |