Tous fous? Non, bien sûr!

LOUVAINS

On recense de plus en plus de maladies mentales. Alors… Sommes-nous tous fous ? Non, répond François Nef : « On peut avoir des passages à vide, sans pour autant être fou ».

Le nombre de maladies mentales répertoritées, et donc de personnes reconnues malades psychologiquement , est en recrudescence. Cependant, la réalité est plus complexe. Pour comprendre, il faut remonter en 1952, lorsque des Américains publient un ouvrage scientifique, le DMS ou Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders afi n de classifier les différentes maladies mentales selon des critères et symptômes précis. Une initiative que salue François Nef, professeur de psychologie clinique à l’UCL : « Il fallait une harmonisation pour permettre la fiabilité du diagnostic. » En 2013, la 5e édition du DMS liste un nombre significatif de nouveaux troubles mentaux. Une augmentation des maladies qui crée aujourd’hui la controverse : à vouloir diagnostiquer à tout-va, on risque de finir dans un monde où tout un chacun peut être, un jour ou l’autre, considéré comme fou… Un meilleur diagnostic, pour une meilleure prévention ? Plus tôt est diagnostiqué un trouble psychiatrique, meilleure serait la prévention ou la thérapeutique. Peut-être. Sauf que souvent, il n’existe pas de réponse toute faite : les maladies mentales ne sont pas objectivables par des tests biologiques comme peuvent l’être les maladies somatiques. Mais alors, pourquoi répertorier toujours plus de troubles ? C’est là que la polémique enfle, selon François Nef. « Certains experts, avides de reconnaissance, font la promotion de leurs recherches. Et derrière, l’industrie pharmaceutique apporte son appui à coup de psychotropes. » Sans compter le stress (parfois inutile) généré par des diagnostics trop rapides, souvent erronés. Une personne en deuil, si elle est toujours déprimée après 15 jours, sera désormais reconnue comme malade et risque de se retrouver sous antidépresseur. Alors qu’auparavant, elle aurait géré sa baisse de moral grâce au soutien de son entourage par exemple. Prendre le temps À trop catégoriser, on en oublie aussi de faire des ponts entre certains troubles. Une personne qui a des problèmes à son travail peut en perdre le sommeil, ce qui entraîne des perturbations de l’humeur. Résultat, elle endure davantage de soucis professionnels, etc. Chacun de ces troubles pourrait être considéré et traité séparément mais la spirale ne serait pas enrayée. Alors qu’aborder la situation dans son ensemble permet d’améliorer le ‘diagnostic’ et donc le traitement. Et François Nef de relever que « cela nécessite de prendre le temps : celui de réaliser une évaluation clinique complète et celui de construire une réponse appropriée, par le biais, par exemple, d’une psychothérapie. » Et de conclure : « Ce qui devrait prévaloir avant tout diagnostic, et donc tout traitement, c’est la reconnaissance de la souffrance de la personne, plutôt que des catégories diagnostiques arbitraires. »

Isabelle Decoster
Attachée de presse UCL

Le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) est la ‘bible’ de certains psychiatres. Cette référence scientifique, publiée par l'Association américaine de psychiatrie, décrit et classifie les troubles mentaux. Un autre ouvrage de référence existe, édité par l’OMS. La plupart des diagnostics posés dans le monde sont réalisés sur base de l’un de ces deux ouvrages.

En savoir plus ? « Sommes-nous tous des malades mentaux ? » de Allen Frances aux éditions Odile Jacobs
Besoin d’aide ? Les consultations psychologiques spécialisées de l’UCL (CPS) : https://uclouvain.be/consultations-psychologiquesspecialisees

Crédit photo : Alexis Haulot

Article paru dans le Louvain[s] de décembre 2017-janvier-février 2018