Traquer les résistances pour contenir l'épidémie de paludisme

LOUVAINS

 

Des mutations du parasite responsable du paludisme ont été observées en Afrique. Si elles sont encore peu répandues, l’inquiétude, elle, est vive.

Les épidémies ont un penchant pénible pour la créativité : pour perdurer, elles sont prêtes à toutes les adaptations. On ne le voit que trop bien avec les variants du covid-19. La rengaine est ancienne pour le paludisme. Déjà dans les années 1960, la résistance du parasite aux médicaments à base de chloroquine a contrecarré la belle évolution de la lutte contre le paludisme. Des dizaines d’années plus tard, un autre médicament a été élaboré à base d’artémisinine, une substance active tirée d’une plante, l’armoise annuelle. Son efficacité en fait la pierre angulaire des traitements antipaludiques, à l’heure actuelle.

Une technique efficace à bas coût

Mais une résistance à l’artémisinine s’est fait jour en Asie du Sud-Est à partir de 2008. Si l’on pensait l’Afrique épargnée jusque-là, une étude de la chercheuse Nadine Kayiba Kalenda, doctorante à l’Institut de recherche santé et société de l’UCLouvain et publiée dans la revue de référence The Lancet Infectious Diseases, montre que cette résistance est aussi apparue sur le continent africain. Engendrant de profondes inquiétudes puisque l’Afrique concentre 94 % des cas de paludisme et décès liés, selon les chiffres de l’OMS pour 2019… « Ces recherches visent à proposer un schéma de mise en place d’un programme de surveillance des résistances par le biais de marqueurs moléculaires. Et ce, en République Démocratique du Congo qui est le 2e pays le plus touché au monde en termes de cas et de décès liés au paludisme, indique Nadine Kayiba. La surveillance par marqueurs moléculaires de résistance a l’avantage de pouvoir couvrir de vastes étendues et de larges populations, dans un intervalle de temps réduit et à moindre coût. Et cette technique permet, en outre, de traquer la résistance à plusieurs molécules en même temps, contrairement aux essais cliniques. »

Réveiller les esprits

Le paludisme est transmis à l’être humain par des moustiques porteurs du parasite Plasmodium falciparum. La résistance aux médicaments antipaludiques est due à une ou plusieurs modifi cations du génome de Plasmodium, empêchant ainsi l’action thérapeutique. Dès lors que ces modifi cations sont identifiées, elles deviennent des marqueurs moléculaires de résistance et sont des moyens simples et peu coûteux de suivre de façon précoce l’apparition et la vitesse de propagation des résistances dans la population des parasites d’une région. « Dans les 41 pays que nous avons étudiés, 11 étaient vierges des mutations recherchées. Parmi les 30 autres, nous avons trouvé des marqueurs de résistance validés par l’OMS dans quatre pays : au Mali, en Tanzanie, au Kenya et au Malawi. Et des marqueurs candidats (traduisons par ‘suspects’) dans les autres. Au total, nous avons trouvé 9 marqueurs différents de résistance, à des fréquences très faibles, ce qui ne semble pas énorme. Mais face à l’idée que l’Afrique était épargnée, cela réveille les esprits. Les traitements à base d’artémisinine ont encore leur rôle à jouer en Afrique, mais la résistance ayant fait son apparition et sans traitement alternatif à ce jour, la vigilance doit être extrême. D'où le schéma que nous proposons pour surveiller et anticiper », explique Nadine Kayiba.

Surveiller, c'est se préparer

Anticiper. Mot clef et levier appuyé aussi par le professeur d’épidémiologie Niko Speybroeck, responsable de cette équipe de recherche. « Une épidémie, c’est lutter contre une menace. On ne peut pas tout monitorer, ce serait hors de prix. Il faut choisir les bons indicateurs à surveiller, et c’est un art. Que ce soit pour le paludisme ou le covid, mesurer c’est savoir. Si on a une bonne vue de la menace, alors on peut se préparer effi cacement. Pouvoir anticiper est crucial, comme on le voit avec la crise sanitaire actuelle », souligne Niko Speybroeck. Et agir avant la catastrophe est, aussi, un art délicat.

Madeleine Cense
Journaliste freelance

> uclouvain.be/the-lancet-infectious-diseases

Article paru dans le Louvain[s] de mars - avril - mai 2021