Les anthropologues et leurs morts

Les morts dont il est question lors de ce colloque sont les personnes que les anthropologues ont rencontrées au cours de leurs terrains et qui ont compté dans la réalisation de leurs travaux. Plutôt que des « informateurs », ils se sont avérés de véritables compagnons de terrain sans lesquels leurs travaux ethnographiques n’auraient pas été les mêmes.

Certains anthropologues entretiennent des relations toute leur vie avec ces interlocuteurs privilégiés, les accueillent chez eux, aident leurs enfants à obtenir des bourses d’études au moment de la scolarité, ou les aident parfois directement financièrement en cas de nécessité. Qu'ils soient antipathiques ou sympathiques, considérés comme des ennemis, des pères, des mères, des frères ou des sœurs, qu’ils soient parfois devenus des épouses ou des époux, ils finissent, comme tout un chacun, par mourir. Et les liens avec ces défunts restent alors à être instaurés.

Les questions abordées sont les suivantes : que font les anthropologues avec ces morts si singuliers ? Et comment ces morts affectent-ils, ou ont-ils affectés, leur manière de faire et de penser l’anthropologie ? Il ne s’agit pas tant d’analyser un processus de deuil ou le statut (éthique, ontologique, etc.) de ces morts que d’explorer les manières dont ils mettent les anthropologues au travail. Ces morts acquièrent-ils de nouveaux modes d’existence à travers l’écriture, l’image, la photographie, l’artefact ou encore le rêve ? Comment influencent-ils, après le terrain, la reprise ou l’arrêt de l’écriture monographique, ou tout autre mode d’exposition du travail de l’anthropologue ? Et quelle valeur donner aux témoignages ethnographiques devenus traces mémorielles de défunts, ces défunts singuliers qui sont généralement relégués aux remerciements, à la page de dédicace de la monographie, ou au deuxième livre, celui qui est publié en dehors de la sphère académique ?

C’est donc à une tentative d’écologisation du travail ethnographique que les anthropologues invités sont conviés en acceptant de parler d’un mort sur leur terrain qui a particulièrement influencé leur pratique de l’anthropologie.