Marco Cavalieri sur RTBF Info à propos de Pompéi

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Ruines de Pompéi : "Il y a une communication sensationnaliste autour de ces découvertes"

Un article de Daphné Van Ossel, p

Ce 7 novembre, les archéologues de Pompéi annonçaient une “découverte exceptionnellement rare” : celle d’une chambre d’esclavesEn août dernier, les mêmes dévoilaient un “squelette exceptionnellement bien conservéEn février, ils indiquaient qu’un char de cérémonie avait été retrouvé, qualifiant cette trouvaille de “découverte extraordinaire.

 

Mois après mois, Pompéi “continue de révéler ses secrets” au point que c’est devenu une sorte de formule consacrée. La ville ensevelie par l’éruption du Vésuve en l’an 79 exerce toujours la même fascination. Mais toutes ces découvertes se valent-elles ? Marco Cavalieri, professeur d’archéologie romaine et d’antiquités italiennes à l’UCLouvain, qui a participé à des fouilles sur le site, nous apporte son éclairage.

Les découvertes annoncées régulièrement par les archéologues de Pompéi sont-elles toutes exceptionnelles ?

Dans la communication autour de ces sujets, on fait toujours état de découvertes “exceptionnelles”, quelque chose de “jamais vu”, de “très bien conservé”…  C’est vrai que les découvertes à Pompéi sont souvent époustouflantes car c’est une sorte de monde figé, mais il faut faire la part des choses entre la communication et les données archéologiques et historiques.

Il ne faut pas oublier que l’Europe a versé à l’Italie 105 millions d’euros suite à des effondrements sur le site (en 2012, un vaste plan pour sécuriser le site a été lancé, baptisé “Grand projet Pompéi”, financé par l’Union européenne, ndlr), donc il faut montrer qu’on travaille, que ça vaut la peine.

Ils ont fait beaucoup de bonnes choses mais je ne soutiens pas cette manière de communiquer sur la recherche, qui devient sensationnaliste, spectaculaire et qui perd son côté éducatif.

Qu’en est-il de la dernière découverte en date, cette chambre d’esclaves (voir vidéo ci-dessous) ?

Là, c’est effectivement quelque chose d’intéressant. On est en fait un peu en dehors de Pompéi : la découverte a été faite dans une villa au nord de la ville. On y a trouvé une petite pièce, avec 3 lits dont un plus petit qui était peut-être celui d’un enfant. C’est très intéressant au niveau anthropologique. Par contre, s’agit-il bien d’esclaves ? C’est une hypothèse ! L’archéologie n’est pas une science exacte.

Il faut mettre cette découverte en lien avec une autre qui a été faite en février dernier. Les archéologues ont alors retrouvé une pièce, là vraiment majeure, inédite : un char de cérémonie en bronze, un char de parade et non de transport. Cela montre que le propriétaire de cette villa était quelqu’un qui avait des moyens et une culture orientalisante.

Si on met les deux éléments ensemble, on peut comprendre un peu mieux qui vivait dans cette villa et l’idée qu’il s’agisse d’une petite pièce d’esclave paraît plausible.

On continue aussi à découvrir régulièrement des corps ?

On trouve des corps depuis les fouilles de Giuseppe Fiorelli, au 19e siècle. Les corps des habitants ont été recouverts par la lave; ils ont fini par se désagréger mais ils ont laissé des cavités dans le terrain (et parfois des morceaux de squelettes). Giuseppe Fiorelli a eu l’idée d’y verser du plâtre liquide, pour obtenir ainsi des moulages des corps disparus.

Par contre, plus récemment, grâce aux nouvelles technologies, on peut faire plus que ça. C’est ainsi qu’on a pu retrouver dernièrement un corps inhumé dans un tombeau. Ce n’était pas un fugitif mort lors de l’éruption, c’était quelqu’un qui était inhumé, et dont le corps existe encore, et est d’ailleurs très bien conservé : on voit encore ses cheveux, et il présente encore des morceaux de tissu. Et ça, c’est plutôt inédit à Pompéi. On peut à présent faire des analyses ADN sur le corps, mais aussi faire toutes sortes de recherches sur les différents éléments de ce tombeau intact.

On a aussi récemment beaucoup parlé d’un thermopolium (comptoir qui proposait des plats chauds à emporter) 

C’est pour moi le parfait exemple de cette communication spectacle. Des thermopoliums, il y en a plein à Pompéi. En 62, un tremblement de terre très important a fait fuir les élites de la ville. On y retrouvait alors des commerçants, des artisans, et la ville s’est rempli de ce qu’on pourrait appeler des “fast-foods”, un espace où on peut manger quelque chose de chaud, et où, à l’étage on peut aussi se payer des prestations sexuelles.

Cette pièce-ci est effectivement très bien conservée. En soi, oui, c’est exceptionnel, à Pompéi tout est exceptionnel, mais, d’un point de vue archéologique, ça ne nous donne pas énormément d’informations supplémentaires. C’est la même chose pour certaines mosaïques ou certaines fresques : elles sont belles, bien conservées mais elles ne sont pas exceptionnelles pour autant dans le sens où elles ne nous apprennent rien de neuf. Mais, cela permet d’épater les bourgeois, si vous voulez…

Le site de Pompéi s’étend sur 66 hectares. 22 ha, soit un tiers du site, n’ont pas encore été fouillés. Il y a donc encore beaucoup de découvertes à faire ?

Oui, bien sûr il y a encore des découvertes à faire, mais je vais être un peu schizophrène dans ma réponse. Pour moi, en tant qu’archéologue, la fouille est un outil de connaissance, mais, en même temps, chaque fois que je fouille, je détruis, je remets à l’air un passé qui a besoin d’être conservé. Et cela a un impact économique très important.

Il y a beaucoup de gens qui fouillent à Pompéi. Quand j’y étais, il y avait 25 universités sur le terrain. Avant, les gens fouillaient, puis repartaient et la maintenance retombait sur l’Etat.

Désormais, les projets sont plus ciblés, et, pour obtenir l’autorisation de fouiller, il faut réserver un tiers de son budget à la conservation du site. Et si on ne peut pas garantir la conservation, il faut réenterrer, c’est la meilleure manière de conserver. C’est ce que j’ai fait quand j’y ai travaillé. On a d’ailleurs laissé une plaque métallique avec les informations sur nos fouilles pour les archéologues du futur.

Donc, il faut se demander si ça vaut la peine de fouiller, s’il ne vaut pas mieux attendre. Désormais, c’est mieux contrôlé mais pendant des siècles, ça a été un peu comme une chasse aux trésors aux dépens du patrimoine.

Quoi qu’il en soit, Pompéi continue toujours de fasciner ?

Oui, c’est vrai, et tant mieux, mais il faut faire attention parce que, dans l’imaginaire collectif, Pompéi finit par représenter ce qu’était une ville romaine, or ce n’est pas la réalité. Au premier siècle après JC, Pompéi était une ville provinciale, marchande, pas tellement riche car l’élite était partie. On a eu la chance que la ville soit figée, mais on la prend comme modèle pour interpréter tout le monde romain, c’est une erreur. C’est comme si je disais, en fouillant en l’an 3000, que Louvain-La-Neuve est le miroir de Bruxelles ! C’est un peu le message que la "surcommunication" fait passer…

Publié le 23 novembre 2021