20 février 2019
14h-16h
Séminaire Schol’Art : Audrey Duru (Université de Picardie), "Un poète protestant ordinaire et des lieux communs scolastiques : L’Image d’un Mage d’André Mage de Fiefmelin (Saintonge, 1601)"
Un poète protestant ordinaire et des lieux communs scolastiques : L’Image d’un Mage d’André Mage de Fiefmelin (Saintonge, 1601)
Le recueil de vers spirituels signé par André Mage de Fiefmelin (impression hors commerce à Poitiers en 1601) est un cas intéressant de réception d’une vaste ensemble d’écrits divers à la fin du XVIe siècle. Ce rédacteur réformé vivant sur l’île d’Oléron, mal connu par ailleurs, se fait rimeur et même poète pour un volume d’environ 13 500 vers intitulé L’Image d’un Mage ou le Spirituel.
C’est l’usage d’un savoir scolastique (terminologie aristotélicienne et topologie des facultés de l’âme – notion de « savoir scolastique » à construire) que nous voudrions interroger à travers ce travail. Comment ce savoir scolastique est-il traité par la mise en vers, articulé à d’autres savoirs ou non savoirs pour dire une certaine fascination pour le littéraire et tout à la fois son abolition au profit d’une expérience par-delà l’expérience des mots ? Nous pourrons nous concentrer sur la troisième section du recueil, intitulé « L’Ame humaine », poème didactique en alexandrins et rimes suivies de deux mille vers.
Notre proposition est la suivante : ce savoir nous semble à la fois emprunté et valorisé pour lui-même dans une entreprise érudite, mais aussi discrètement détourné pour devenir figure poétique visible articulée à l’invisible, voire contesté par un traitement achevant de le rendre illisible afin de promouvoir une appréhension différente à travers la déroute de l’intellect.
L’intérêt de ce recueil nous paraît être l’identification du discours littéraire par proximité et écart avec d’autres discours, notamment religieux, spirituels et savants (à préciser). Il fournit une plateforme, apparemment insolite et isolée, pour l’appréhension du fait littéraire chez un rédacteur ou lecteur que l’on pourrait qualifier d’ordinaire.
Dans son ensemble, cette compilation est le support d’une opération de publication par réécriture « spirituelle » (incluant éventuellement traduction et mise en vers). Alors que les disciples de Du Bartas tendent à prendre pour cadre de leur écriture encyclopédique une paraphrase biblique, André Mage choisit de paraphraser toutes sortes de publications ayant pour unité leur caractère lettré (outre Du Bartas, Amours de Desportes et d’autres poètes affectifs, tels Ronsard, Belleau, et d’autres imitateurs des années 1580 et 1590 comme Jamyn, Durant, Du Peyrat, force poètes chrétiens de la même période, tels Sponde, Maisonfleur et Valagre, Chandieu, etc.) À ces vers s’ajoutent la sélection et mise en vers d’extraits de traités en prose plutôt didactiques (Boaistuau, Pierre de La Primaudaye), moraux (Jean de l’Espine), dévots (Jean Taffin), doctrinaux (Du Plessis-Mornay, Jean de Serres).
À travers ces lectures, l’on peut identifier l’origine d’une part sans doute assez importante de la culture scolastique d’André Mage : textuellement, elle relève d’emprunts littéraux aux traités de La Primaudaye (Suite de l’academie françoise, 1re éd. : 1580), de Serres (De l’immortalité de l’âme, 1re éd. : 1596), Du Plessis-Mornay (La Verité de la religion chrestienne, 1re éd. : 1581), voire Sponde (Meditations sur les pseaumes, 1588), pour la prose, Béroalde de Verville, « De l’ame et de ses facultés » (Les Apprehensions spirituelles, 1583) et « De l’ame et de ses excellences » (1593) pour les vers (suivant l’état présent de nos identifications en vue de l’édition critique : rôle éventuel de la Margarita philosophica de Gregor Reisch à voir, entre autres).
L’inscription contextuelle de ce recueil se discerne mal. Opération de prestige et de distinction, sans nul doute, peut-être moins au service du nom du poète que de son seigneur, la comtesse Anne de Pons, qui restaure le culte protestant dans sa seigneurie au tournant du siècle. Opération visant la reconnaissance par les fidèles justifiés eux-mêmes d’une Église locale, à travers la reconnaissance de la séduction du texte et à travers l’adhésion au dispositif lettré ? Le traitement des emprunts à la discipline scolastique permettra peut-être de préciser comment le maniement de représentations savantes par le poète promeut une énonciation différente d’autres discours (celles de théologiens, certes, mais aussi d’autres rédacteurs ou lettrés).
Bibliographie
André Mage de Fiefmelin, L’Image dans mage dans les Œuvres, Poitiers, Jean de Marnef, 1601.
(À poursuivre)