« On vit en se disant ‘le 16 mars, c’est LE jour’, et puis tout change »

 

Le témoignage de Louise Coppin, doctorante à l’Institut de recherche expérimentale et clinique (IREC, laboratoire PEDI, Etienne Sokal) de l’UCLouvain et médecin assistante clinicienne candidate spécialiste (MACCS) en pédiatrie aux Cliniques universitaires Saint-Luc.

La défense de thèse de Louise Coppin ne s’est pas vraiment passée comme elle l’avait imaginée. Le 16 mars, date entourée en rouge dans son calendrier pour présenter son travail de quatre années, la Belgique est entrée en confinement. Conséquence : Louise est devenue la première futur·e docteur·e de l’UCLouvain à passer devant son jury par écrans interposés.

Comment avez-vous réagit quand vous avez compris qu’il serait impossible de défendre votre thèse face au jury ?

Il y a eu plusieurs émotions ! La première, ça a été le désarroi, je me suis dit « pas ça en plus ». Il faut savoir que j’ai un parcours un peu particulier puisque j’ai fait 4 ans de thèse puis j’ai repris l’assistanat de pédiatrie, et tout ça en ayant 2 enfants. Il a fallu cadrer l’ensemble en même temps, entre les gardes, les enfants et défendre ma thèse. Ça a été intense. Donc on vit en se disant « le 16 mars, c’est LE jour », et puis en un coup tout change.

Avec Xavier Stéphenne, mon promoteur, on souhaitait absolument maintenir la défense, même via Teams, donc on a tout mis en place alors que je ne connaissais pas du tout ce programme de téléconférence! Ça a été 4 jours de stress intense. Il a fallu convaincre tout le monde et faire de multiples tests pour s’assurer que tout puisse se dérouler parfaitement. Et puis le matin du fameux lundi 16 mars, le programme Teams ne fonctionnait plus, le serveur était saturé vu que c’était le premier jour de télétravail généralisé en Europe. Un appel affolé s’en est suivi vers mon promoteur. Malheureusement on était impuissant face à ce problème informatique, il ne restait plus qu’à espérer que le problème se résolve avant 15h30, l’heure J. En regardant heure par heure, je perdais courage, mais par magie, à 13h, le problème était résolu. Donc j’ai dit à mon mari qui était en télétravail : « Maintenant tu t’occupes des enfants, je dois préparer ma thèse ». Puis c’était parti pour 40 minutes de présentation dans un bureau improvisé!

Pas de problème technique, tous les membres du jury ont réussi à se connecter ?

Oui, à leur manière ! Le free wifi de Saint-Luc n’est pas assez fort dans certaines zones de l’hôpital, dès lors trois membres du jury ont dû se mettre dans la même pièce en gardant bien les distances de sécurité.

Vous vous êtes sentie à l’aise dans cet exercice virtuel ?

Je n’ai pas eu le temps de stresser pour ma présentation parce qu’il y avait déjà tellement de facteurs de stress de par la situation actuelle qu’une fois que j’étais lancée, je me suis dit « Louise, vas-y, c’est ton moment ». Je me suis aussi dit que les gens allaient être plus indulgents, mais la présentation et les questions se sont très bien passées.

Comment avez-vous « fêté ça dignement » malgré le confinement ?

J’ai pris les enfants dans mes bras, j’ai versé une petite larme et on a bu un verre de vin parce qu’il n’y avait pas de champagne au frais (et là j’en ai un peu voulu à mon mari ;)).

Comment tourne-t-on la page après 4 ans de thèse ?

Tant qu’il n’y a pas la défense publique, on ne tourne pas la page. On ne sait pas encore si cela pourra se faire en présentiel ou pas mais pour moi, c’est triste de faire une thèse 4 ans pour la présenter à des écrans, ce n’est pas la même chose sans drink et sans convivialité, même s’il faut faire avec la situation qu’on a. Dans notre cas, on a actuellement souhaité la postposer et attendre septembre pour défendre en présentiel.

En ce moment, vous travaillez toujours à Saint-Luc, vous sortez d’ailleurs d’une garde de 24h. Quel est votre quotidien durant cette crise ?

La situation à l’hôpital est inhabituelle. En pédiatrie, nous sommes épargné·es par les cas graves de coronavirus mais on a eu des patient·es positif·ves qui étaient asymptomatiques, donc ça, c’est stressant parce qu’on se dit « mince, j’ai été en contact ». Je travaille dans le service de gastro-entérologie et hépatologie pédiatrique du Pr Sokal, l’unité médico-chirurgicale des pathologies digestives de l’enfant, et l’activité y est réduite. Seul ce qui est urgent a encore lieu, les enfants nécessitant un greffe de foie, les chirurgies, … Vu que c’est un peu plus calme, ça me laisse un peu souffler après ma thèse, parce que d’habitude le rythme est très soutenu. Mais ça reste irréel.

Vous terminez votre assistanat et serez bientôt officiellement pédiatre. Quelle sera la suite ?

Je termine dans un mois. D’habitude, on fait cinq ans d’assistanat, sept avec une thèse. Ici, j’ai fait sept ans et demi. Beaucoup d’assistant·es prennent un break de 1, 2 ou 3 mois quand elles·ils terminent. Moi ce n’est pas prévu ! Je commencerai directement à Saint-Jean, à Bruxelles, où j’ai ma place comme pédiatre et gastro-pédiatre depuis un peu moins d’un an. Avec une collègue, nous allons y développer la gastro-pédiatrie et continuerons à collaborer avec les cliniques universitaires Saint-Luc.

Une thèse pour faire progresser les traitements des maladies du foie

Pourquoi faire une thèse quand on est assistante en médecine ?

Tout juste après avoir appris avoir réussi le concours de pédiatrie, Xavier Stéphenne nous a dit « j’ai un sujet de thèse, celles et ceux que ça intéresse, venez me voir ». C’est le sujet et son enthousiasme qui m’ont convaincue. Donc c’était plutôt par curiosité intellectuelle que par souhait d’une carrière académique.

Quel est votre sujet de recherche ? Dans le laboratoire du Pr Sokal, on travaille sur l’utilisation de cellules souches hépatiques pour traiter des maladies du foie. Mon sujet est d’étudier l’interaction de ces cellules avec la coagulation lorsqu’on les infuse dans les vaisseaux sanguins. Ces cellules sont pro-coagulantes, ce qui veut dire qu’elles activent la coagulation lorsqu’elles sont en contact avec le sang. Des études préliminaires ont été réalisées par mon promoteur Xavier Stéphenne, dès lors l’objectif de ma thèse, c’était de continuer ses travaux et mieux comprendre le mécanisme pour trouver des moyens d’éviter cette activation de la coagulation.

Et les résultats ? Les cellules souches hépatiques peuvent effectivement induire une coagulation mais cela dépend de la dose cellulaire utilisée. Si l’on utilise moins de cellules, il n’y a pas d’activation de la coagulation. Et si l’on veut utiliser de grosses doses de cellules hépatiques, on peut rajouter des anticoagulants comme l’héparine pour contrôler le phénomène.

Photo : ©Hugues Depasse