Comment les œufs de Pâques détruisent les forêts d’Afrique de l’Ouest

cacao

Communiqué de presse - Recherche UCLouvain

En bref :

  • En Côte d’Ivoire, premier exportateur mondial de cacao, plus de 55% des exportations sont intraçables, pointent des chercheurs UCLouvain
  • En 20 ans, 2,4 millions d’hectares de forêt ont été remplacés par des plantations de cacao dans le pays
  • Les chercheurs appellent à améliorer la transparence et la traçabilité de la filière et soulignent la nécessité d’agir à l’échelle des territoires pour stopper la déforestation

Article : https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/acad8e

Contacts presse :    
Cécile Renier, chercheuse à l’Earth and Life Institute de l’UCLouvain : gsm sur demande
Jolene Tan, responsable communication de Trase : j.tan@globalcanopy.org  gsm sur demande

La filière du cacao est confrontée à un manque criant de traçabilité et de transparence, tout en étant un des principaux facteurs de la déforestation en Afrique de l’Ouest. C’est ce qu’il ressort d’une étude publiée par Environmental Research Letters. Une équipe de scientifiques de l’UCLouvain a tenté de tracer les chaînes d’approvisionnement de cacao en Côte d’Ivoire. Selon les données collectées et disponibles en libre accès sur Trase 1, moins de 45% des exportations de cacao peuvent être tracées jusqu’aux coopératives de producteurs. L’origine des 55% restants est inconnue, car les négociants s’approvisionnent indirectement auprès d’intermédiaires ou ne divulguent pas d’informations sur leurs fournisseurs.

Or, la culture de cacao est le principal moteur de la déforestation en Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, qui retire un tiers de ses revenus à l’exportation de cette activité. Selon cette étude, les cacaoyères ont remplacé 2,4 millions d’hectares de forêt entre 2000 et 2019. La culture du cacao est responsable de 45% de la déforestation qui a eu lieu dans le pays sur ces 20 ans. En 2019, 25 % des cacaoyères se trouvaient dans des forêts classées et aires protégées, ce qui reflète la faible application des lois de protection de ces terres.

Si de grands fabricants de chocolat se sont engagés dans des politiques de zéro déforestation, tous sont exposés au risque d’importer du cacao issu de la déforestation, montre l’étude.  En effet, la plupart des engagements visant àatteindre une traçabilité à 100 % ne concernent que les approvisionnements directs. « Ces approvisionnements achetés directement à la coopérative ne représentent qu'une fraction des importations, explique Cécile Renier, chercheuse UCLouvain et coordinatrice de l’étude. Les négociants achètent des volumes importants - parfois la majeure partie de leur cacao – auprès d'intermédiaires locaux, sans savoir auprès de qui ces intermédiaires s'approvisionnent. »

En tant que plus grands consommateurs de chocolat au monde, les Européens contribuent involontairement à la déforestation en Afrique de l’Ouest. En 2019, les importations de l’Union européenne et du Royaume-Uni étaient associées à 838 000 ha de déforestation entre 2000 et 2015, selon les calculs des scientifiques.

« À l'approche de Pâques, l'Union européenne voit arriver le pic de sa saison chocolatière. C'est l'une des périodes les plus actives de l'année pour l'industrie du chocolat, qui vend de plus en plus ses produits aux consommateurs comme étant "éthiques" ou "durables". Mais, compte tenu de la traçabilité extrêmement limitée dans l'industrie, les consommateurs ne sont pas informés de l'origine de leur chocolat et des importants enjeux de durabilité qui y sont liés », souligne Cécile Renier.

En 60 ans, la Côte d’Ivoire a perdu 80% de ses forêts. L’étude montre que l’exploitation incontrôlée de cacao menace désormais les forêts frontalières du Liberia : dans les régions de Côte d’Ivoire situées le long de la frontière, 80 à 100 % du cacao exporté n'est pas traçable jusqu'à son premier acheteur, et encore moins jusqu'à son exploitation d'origine.

Avec la nouvelle réglementation européenne « zéro déforestation », les entreprises devront prouver que leur cacao n’a pas contribué à la déforestation si elles veulent les vendre dans l’UE. Cependant, selon l’étude, les négociants doivent aller au-delà de la traçabilité de leurs propres chaînes d'approvisionnement pour sauver les dernières forêts d’Afrique de l’Ouest. “Améliorer la transparence et la traçabilité de la filière est nécessaire, mais cela ne suffira pas à stopper la déforestation. Le secteur doit investir dans des initiatives à l’échelle des territoires, en soutenant les producteurs tout en assurant une protection efficace des forêts”, suggère Cécile Renier.

1. Trase est une initiative de transparence basée sur des données qui cartographie le commerce international et le financement des produits agricoles de base, fournissant des outils qui permettent de lutter contre la déforestation tropicale. www.trase.earth

Publié le 04 avril 2023