Le Vilar: un enthousiasme contagieux

En octobre 2021, le comédien, auteur et metteur en scène Emmanuel Dekoninck prenait ses fonctions de directeur du Vilar. Un an plus tard, nous l’avons rencontré pour faire le bilan de cette première année et surtout évoquer avec lui l’avenir du théâtre de Louvain-la-Neuve, ses projets, ses défis.

Comment s’est passée cette première année à la tête du Vilar ? Quel est votre état d’esprit à l’aube d’une nouvelle saison ?

ED Même si la saison passée n’était pas encore une saison où j’étais seul responsable de la programmation, j’en suis personnellement content. On a bien sûr eu quelques coups durs à cause du COVID comme, par exemple, deux très grosses annulations. Mais pour le reste je suis plutôt satisfait. D’abord, le public a répondu présent, et ça c’est formidable ! Et puis j’ai pu mettre en place des tas de projets prometteurs. J’ai pu construire pour la première fois et avec beaucoup de bonheur toute une saison culturelle que le public pourra découvrir en 22-23. 

Pour le reste, j’ai conscience de l’importance de la tâche qui m’attend, mais j’aborde l’avenir avec confiance et enthousiasme. Quand on est à la tête d’un théâtre comme le Vilar, les dossiers ne manquent pas : il y a les nouveaux projets, la nouvelle programmation, la nouvelle communication, les nouveaux visuels, etc. Et puis bien sûr il y a le dossier des travaux.

Qu’est-ce qui caractérise la programmation 22-23 du Vilar ?

ED On retrouve dans notre prochaine saison deux axes très forts. Tout d’abord, je souhaite que les productions présentées par le Vilar soient de grande qualité : qualité esthétique, de parole, de la narration, etc. Tous nos spectacles doivent être des spectacles d’excellence. Ensuite, nous visons une accessibilité maximale qui passe par une grande rigueur narrative. Une rigueur qui n’empêche pas la diversité. C’est une constante pour tous les spectacles de la saison prochaine.

Pour le reste, le mot d’ordre en termes de programmation, c’est la diversité. Nous sommes un centre scénique régional, pas un théâtre de niche comme on peut en trouver, par exemple, à Bruxelles. En tant que centre scénique de création de la région, nous devons pouvoir répondre aux attentes des publics les plus divers. L’idée est que chaque type de sensibilité puisse trouver son chemin dans la programmation. La saison prochaine, le public traditionnel du Vilar pourra s’y retrouver. Mais de nouveaux publics, qui ne venaient pas au Vilar, pourront également trouver des propositions qui répondent à leurs envies. Enfin, nous souhaitons permettre à de jeunes metteuses et metteurs en scène  émergent·es de développer leur travail. 

Nous avons programmé par exemple le spectacle En une nuit avec une équipe très jeune et des processus de création inédits. Je pense aussi à Lara Ceulemans, toute jeune metteuse en scène, qui va participer à deux projets. N’oublions pas les partenariats avec les artistes associé·es comme Jasmina Douieb, qui fera la création de début de saison, Georges Lini, etc.

Quels seront les temps forts de la prochaine saison ?

ED Je commencerai par pointer notre tout nouveau festival Out of the box. C’est quelque chose auquel je tiens beaucoup. Dans mes pérégrinations, je vois beaucoup de propositions intelligentes et bien construites, souvent dans des petites formes, où des artistes utilisent des mécaniques de scène originales, mais qu’il est difficile d’inscrire dans une série du fait de leur forme singulière, même si ce sont de vraies propositions « grand public » voire familiales. Et donc j’avais très envie de pouvoir accueillir aussi ce type de spectacles. Pour ce faire, on a eu l’idée de créer un festival qu’on a appelé Out of the box. Concrètement, il s’agit de deux propositions plutôt courtes par soirée, durant une semaine. Si cette formule fonctionne, on continuera à la développer dans les années à venir. A noter que l’artiste en résidence Emmanuelle Vincent, accueillie cette année par l’UCLouvain, interviendra à deux reprises dans le festival. A côté de cela, nous aurons aussi deux grands ballets, et j’en suis extrêmement fier. En février, le collectif (LA) HORDE, avec les danseuses et danseurs du Ballet national de Marseille et le DJ Rone, nous offrira une lecture de l’époque, en phase avec les angoisses et les espoirs d’une génération, et traitera de façon percutante la protestation et la rébellion à travers la danse. C’est ce qu’on fait de mieux en danse contemporaine aujourd’hui, même au niveau international. Un grand moment rassembleur qui attirera certainement un nouveau public au Vilar.

C’est pareil pour Peeping Tom. Triptych, qui sera présenté fin mars, est pour moi le plus magnifique spectacle de cette compagnie belge flamande. Ces trois propositions de 45’, entre théâtre et danse, avec des changements de décor entre chaque tableau, nous plongent dans une expérience captivante. Honnêtement, c’est un des plus beaux spectacles de danse que j’ai vu de ma vie. Ce n’est pas que de la danse. On est plongé dans leur univers, avec des effets de magie, un travail incroyable sur la lumière et des images qui restent collées à la rétine  pendant des semaines. Bref, comme propositions de danse pour ma première saison, c’est vraiment idéal.

Quelle place pour la création dans la programmation du Vilar ?  

ED Les créations constituent sans aucun doute le cœur de notre activité. Nous en avons onze programmées cette saison. Faire de la création, c’est notre vocation première. En première partie de saison, par exemple, nous aurons trois créations qui vont se construire au théâtre, c’est-à-dire que les artistes seront présent·es chez nous tout au long de leur processus de répétition, ce qui est précieux et enthousiasmant pour les équipes. On a Je te promets qui est notre spectacle d’ouverture. Une création de Jasmina Douieb, sur un texte de Matthieu Donck, qui est un polar pour la scène. Il y aura aussi en novembre En une nuit par le collectif Nabla avec un travail d’écriture collective. Enfin, Perfect Day, une création de la jeune metteuse en scène Lara Ceulemans sur un texte de Geneviève Damas. Tous ces spectacles créés au Vilar, nous allons pouvoir ensuite les diffuser dans toute la FWB et à l’étranger. A noter que, pour l’instant, nous ne disposons pas du grand théâtre Jean Vilar, qui est en travaux et qui est remplacé par le Studio12. De cette contrainte nous avons fait une opportunité en profitant du Studio 12 pour accueillir des spectacles où la proximité du plateau est une grande plus-value. Nous aurons ainsi des moments exceptionnels. Je pense entre autres, en deuxième partie de saison, à Ivanov une autre création, où il y aura douze des meilleur·es actrices ou acteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en grande proximité avec le public. Il y aura aussi des expériences scène-salle tout à fait uniques qu’on ne pourra plus faire dans le nouveau théâtre.

Où en est la construction de ce nouveau théâtre ?

ED Les travaux avancent à un bon rythme. Le chantier, cofinancé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Province du Brabant wallon, la Ville de Louvain-la-Neuve et le Vilar, avec également un soutien de l’Intercommunale du Brabant wallon et de l’UCLouvain, secoue au sens propre et au sens figuré, le centre de Louvain-la-Neuve. C’est un chantier extrêmement impressionnant et délicat, avec beaucoup de surprises potentielles, entre autres parce qu’on ouvre la dalle. Mais tout se passe vraiment bien, on est dans les délais. La communication avec les riverains fonctionne bien. Le théâtre devrait être terminé à l’automne 2023 et nous envisageons l’ouverture pour janvier 2024. Par contre, il y a un point très problématique : l’inflation a fait exploser le budget de construction. On se retrouve au jour d’aujourd’hui, depuis la commande du chantier, à 21% d’indexation sur les travaux. Sur un budget de 9,8 millions €, je vous laisse calculer… Nous sommes en discussion avec la Fédération Wallonie-Bruxelles qui nous prête une oreille attentive, mais nous n’avons pas encore de solution à ce jour. Nous espérons que l’ajustement budgétaire d’automne à la FWB pourra dégager des marges permettant de trouver une issue. En attendant, nous faisons appel au mécénat, tant auprès d’entreprises que de particuliers. Ainsi nous proposons à notre public d’acheter symboliquement une partie du plateau de l’ancien théâtre pour le montant de son choix. A cette fin, la Fondation Roi Baudouin a accepté de nous ouvrir un compte de projet « Rénovation du théâtre Jean Vilar » permettant la déductibilité fiscale.

Le nouveau théâtre étant en travaux, la saison du Vilar va se déployer sur trois lieux qui ont chacun leur spécificité…

ED Nous disposons en effet de trois lieux sur Louvain-la-Neuve : le petit lieu intime du Blocry, le studio 12 qui offre un grand plateau proche du public et puis, bien sûr, l’Aula Magna qui nous permet d’accueillir de toutes grandes formes dans le domaine de la danse, du cirque, de la magie nouvelle. Mais nous présentons aussi des spectacles en collaboration avec le Centre culturel d’Ottignies, la Ferme du Biéreau, et treize lieux à travers le Brabant Wallon.

Dès votre entrée en fonction, vous avez manifesté le souhait d’accueillir et de soutenir les projets théâtraux des étudiant·es. Où en est cette collaboration ?

ED On a voulu intégrer dans le projet du Vilar les deux kots à projets à vocation théâtrale que sont le Théâtre universitaire de Louvain et le Lever du Rideau. Avec ce dernier, qui organise le festival Mozaïk, nous avons même des échanges en termes de programmation. Cette collaboration est vraiment formidable. Un festival de théâtre programmé par des étudiant·es, c’est quelque chose qui mérite notre soutien et sans doute l’une ou l’autre forme de prolongement dans notre programmation. Je n’ai qu’un souhait, c’est que ces kap (kots à projets) s’approprient le plus possible le théâtre. Mais notre relation avec les étudiant·es va bien au-delà. Nous sommes reliés à l’ensemble des kap culturels qui sont regroupés depuis peu en plateforme. On discute beaucoup. En début d’année passée, je suis allé dans tous ces kots à projets culturels présenter la saison. Et c’était génial ! Dans une ville universitaire comme Louvain-la-Neuve où existe déjà une vie culturelle incroyable organisée par le monde étudiant, je pense que ce contact direct est la meilleure porte d’entrée pour faire venir les étudiant·es au Vilar. Il importe d’examiner avec les kap ce qu’on peut apporter de différent qui pourrait faire écho chez eux. Et ça marche. Après ma visite dans les kots, des groupes se sont spontanément constitués pour aller voir des spectacles. On a eu des retours de leur part et des articles dans le journal étudiant l’Etincelle. Ces kap culturels sont de magnifiques relais pour percoler dans le monde étudiant. Ils réfléchissent aujourd’hui avec nous à la meilleure manière d’inciter d’autres étudiant·es à aller au théâtre. C’est extraordinaire !

Publié le 23 septembre 2022