POST GROWTH

Imaginer l’après-croissance

Post Growth est une invitation à réfléchir collectivement et de manière pratique à l’avenir de la vie  sur la planète, la notion de croissance sous toutes ses facettes et implications, ainsi qu’aux limites de la technologie, de la politique et de notre imagination. Ce projet au croisement entre art et science est porté par Nicolas Maigret (artiste en résidence UCLouvain 2017-2018) et son collectif DISNOVATION. Une dizaine de chercheur·euses de l’UCLouvain y sont associé·es, dans des domaines aussi variés que le droit, la philosophie, l’anthropologie, la climatologie, l’architecture, l’économie, les sciences politiques, les nanotechnologies, etc. Nous avons rencontré Nicolas Maigret à l’occasion de l’exposition qu’il a présentée au Centre iMAL à Bruxelles en octobre dernier. Une exposition qui est en quelque sorte un point de départ pour le travail de co-création qu’il va mener au sein de notre Université.

Comment ce projet est-il né ?

NM:  Notre projet est né avec  une question : quels liens peuvent exister entre la croissance économique, qui est  le modèle dans lequel se trouvent nos sociétés occidentales depuis deux siècles, et la croissance énergétique dont dépend cette croissance économique ? Or il se trouve que cette intense croissance énergétique, qui s’accélère continuellement depuis 200 ans, a de nombreux liens avec les crises environnementales qu’on est en train de vivre. Nous avons donc essayé de donner à comprendre les corrélations entre ces deux dimensions. Pour ce faire, nous sommes allés à la rencontre d’un certain nombre de chercheur·euses, de théoricien·nes, mais aussi d’écrivain·es et d’activistes pour collecter des concepts, des principes, des notions pouvant nous aider à décoder ces différents liens, et aussi pour stimuler notre imaginaire sur ce que pourrait être une société après la croissance. Dès l’origine, nous avons souhaité travailler de manière transdisciplinaire et faire circuler ces notions à travers les disciplines, mais aussi en dehors d’elles. Ainsi, nous avons rencontré une chercheuse, spécialiste des connaissances autochtones, qui nous a partagé différentes notions éclairantes comme le principe de la septième génération. Il s’agit d’une sagesse autochtone nord-américaine qui préconise qu’avant de prendre toute grande décision on se préoccupe de l’impact que celle-ci pourrait avoir sept générations plus tard. Cette projection dans un temps long requiert d’autres systèmes de priorisation, de rapport à l’intérêt individuel et à l’intérêt du groupe, à sa conservation et sa résilience. 

Une fois toutes ces données recueillies, que peut faire l’artiste ?

NM: Une des choses qui nous ont intéres-sés au terme de cette recherche et de ces rencontres avec un ensemble de penseurs, c’était comment activer les notions et les principes qu’ils.elles nous avaient transmis et comment les faire circuler dans la société, en dehors de l’académie. Nous avons donc développé tout un ensemble d’illustrations, de visuels, d’objets destinés à faciliter la circulation de ces notions à travers les médias, des jeux, des systèmes de cartes, des posters, etc. En parallèle, nous avons aussi développé toute une méthodologie de facilitation et une série de jeux pour débattre de ces sujets. C’est un chantier que nous développons depuis plusieurs mois. On peut en découvrir quelques premiers prototypes ici dans l’exposition.

Justement, que peut-on voir dans cette exposition présentée au Centre d’art iMAL de Bruxelles?

NM:  L’aboutissement et les prototypes qui ont émergé de ces recherches ont pris la forme d’installations artistiques, de dispositifs de jeux, d’interviews remontées et animées et de tout un ensemble d’expériences, quasiment de laboratoire, à la frontière entre arts et sciences, 
qui sont présentées ici à iMAL jusque janvier 2021. La série d’œuvres présentée propose d’envisager un métabolisme social en reconnexion avec les réalités vivantes, énergétiques et matérielles de la biosphère, en s’appuyant sur l’éco-féminisme, les connaissances autochtones, la comptabilité environnementale et le matérialisme historique. Cette exposition bruxelloise est une première étape du projet. Le travail mené avec les chercheur·euses de l’UCLouvain devrait étoffer encore cette recherche et aboutir à une nouvelle exposition à l’automne 2021.

Comment s’organise concrètement le travail avec les scientifiques de l’UCLouvain ?

NM: Post Growth est un projet porté par un collectif qui compte à la fois des artistes, des développeurs de jeux, un philosophe, une chercheuse sur les questions politiques et environnementales, etc. Et donc avec ce groupe « art-science », nous allons engager tout un processus de recherche et de collaboration avec une équipe de l’UCLouvain. Une dizaine de chercheur·euses de différents départements de l’université vont travailler avec nous. Ils·elles prendront cette exposition et l’ensemble des prototypes présentés ici comme un point de départ qui sera développé, critiqué, prolongé dans diverses directions, en fonction des compétences, des recherches et des domaines propres aux scientifiques concerné·es. L’idée est de ne pas considérer cette exposition ou celle qui sera à Louvain-la-Neuve comme des points finaux, mais plutôt comme un processus de recherche et de production d’outils de réflexion et de perception des enjeux contemporains. Du coup, la forme purement artistique (exposition) est une des finalités possibles, mais il y aura aussi tout un ensemble d’autres finalités qu’on va développer avec les chercheur·euses. A la fois des articles scientifiques, des conférences, mais aussi des dispositifs partageables, reproductibles et qui pourront circuler dans d’autres sphères que celles du musée ou de la galerie.

Quel regard portez-vous sur ce qu’on nomme la recherche-création qui vise à hybrider l’art et la science ?

NM: Je retiens une dimension qui est, à mes yeux, très stimulante. En rencontrant des chercheur·euses, on s’est rendu compte, avec notre collectif DISNOVATION, à quel point les recherches universitaires sont souvent très cloisonnées. Et on peut le comprendre. Pour développer des recherches spécialisées et très approfondies, on a besoin de segmenter les disciplines et de canaliser  l’attention. En conséquence, il y a très peu de porosité avec les autres disciplines et champs de préoccupation. Il me semble que, dans ce contexte, l’artiste peut avoir un rôle intéressant à jouer en proposant des transversales, des modes de passage et de friction entre différents champs d’observation et d’expertise, parfois voisins mais déconnectés. C’est un peu ce qu’on essaie de proposer à travers le projet Post Growth : mettre en commun tout un ensemble de savoirs, d’intuitions, de compréhension des enjeux contemporains, en les faisant dialoguer à travers des disciplines et des modes de sensibilité, d’observation, de quantification qui peuvent être complètement hétérodoxes. 

Le temps de la recherche et de l'art

OLIVIER SERVAIS, doyen de la Faculté des Sciences Économiques, Sociales, Politiques et de Communication de l’UCLouvain, a constitué une équipe de chercheur·euses autour du projet Post Growth initié par l’artiste Nicolas Maigret. Rencontre aux frontières des arts et des sciences. 

Comment s’est constitué ce groupe ancré dans 7 Facultés différentes ?

OS Le projet de Nicolas est très inter-disciplinaire. Nous avons d’abord ré-fléchi ensemble aux types de compé-tences et aux types de profils que l’on souhaitait pour développer ce projet. Nous avons d’abord « recru-té » via nos réseaux respectifs, avec l’idée que les collègues sollicité·es puissent démultiplier l’appel en utili-sant leur propre réseau afin d’asso-cier une grande diversité de cher-cheur·euses, de scientifiques, d’assistant·es et, par la suite, d’étu-diant·es.

Quelle est la plus-value, pour des universitaires, de travailler avec un artiste comme Nicolas Maigret ?

OS Nicolas Maigret est un artiste qui s’inscrit dans une démarche de re-cherche artistique et qui se docu-mente énormément. Il mène un tra-vail de déconstruction critique par l’art qui, in fine, valorise le savoir scientifique. Et il utilise ce savoir pour nourrir sa réflexion. On peut parler ici d’une interconnexion entre artiste et scientifique où chacun s’enrichit mutuellement. De plus, il aborde des questions de société qui sont vraiment des questions fonda-mentales. Le projet Post Growth se situe notamment au cœur des ques-tions de transition et pose un regard critique sur certains types de mo-dèles alternatifs. S’associer à ce pro-jet paraissait du coup particulière-ment pertinent par rapport à l’actualité de notre institution.

Que peut-on attendre de ce travail de co-création ?

OS Nous voulons d’abord prendre le temps de la recherche et de l’art, sans vouloir arriver à une production immédiate. Notre objectif est de dé-boucher dans un an sur une exposi-tion qui sera construite sur base de l’exposition présentée au centre iMAL, mais que nous allons amender, augmenter, compléter avec de nou-veaux modules grâce à l’apport des chercheur·euses de l’UCLouvain. Parallèlement, Nicolas nous amène à réfléchir sur nos questions autre-ment. Il n’est pas impossible que ce travail débouche sur des co-publica-tions par exemple. Nous sommes ici dans un processus de recherche fondamentale, avec une part d’in-connu, de non programmé, d’ouver-ture aux possibles. Et c’est très sti-mulant quand on se situe dans ce type de perspective trop rare au-jourd’hui. L’artiste nous pousse à nous interroger autrement, à adop-ter un regard différent, décalé, sur le monde. Pour moi, c’est un élément clé dans la posture de l’universitaire.

L'exposition "POST GROWTH. Imaginer l'après croissance" fera escale
à Louvain-la-Neuve du 20/10/21 au 15/12/21

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Publié le 30 août 2021