Le passé colonial belge au prisme des productions littéraires et artistiques contemporaines (2000-2015)

ECR

29 mars 2017

31 mars 2017

Bruxelles

Université libre de Bruxelles, Maison des anciens étudiants

Organisation : Université libre de Bruxelles, Université catholique de Louvain,
Université de Lubumbashi

Lieu du colloque : Université libre de Bruxelles, Maison des anciens étudiants, Boulevard du triomphe.
Date : du 29 au 31 mars 2017

Télécharger le programme

Les spectres du colonialisme européen et de ses injustices, comme l’indique l’historien de l’art T. J. Demos [1], restent emprisonnés dans une amnésie profonde. Le passé colonial belge refait parfois surface dans l’espace public, mais force est de constater que ce n’est que sporadiquement, et rarement pour établir des liens avec les formes d’exploitation contemporaines. Les contestations et polémiques qu’ont suscitées, en 2015, la volonté de la Ville de Bruxelles de célébrer l’anniversaire de l’intronisation de Léopold II ou le refus répété (une fois de plus en 2016) de la commune d’Ixelles de créer une place Lumumba sont des événements certes relayés par la presse, mais qui ne font pas (encore) l’objet d’un débat sociétal de fond, pourtant souhaité vivement par une partie de la population ainsi que par les associations citoyennes.

Dans un article récent [2], l’historien Idesbald Goddeeris tente d’expliquer cette « spécificité belge » quant à la gestion du passé colonial en soutenant que depuis le tournant du XXIe siècle, la Belgique se serait trouvé un « compromis confortable » qui consiste à « reconnaître les erreurs du passé » tout en « peignant un portrait globalement positif des colonisateurs idéalistes ». Toute critique du passé colonial se voit ainsi disqualifiée par la classe politique qui continue de focaliser son attention et de concentrer son énergie sur la crise identitaire du plat pays. La société belge actuelle souffrirait ainsi d’un « impensé colonial », qui se manifeste aussi par un manque de transmission de l’histoire coloniale au sein du système éducatif. Or, l’anthropologue Jacinthe Mazzocchetti estime qu’« en restant dans le non-dit, sans prendre la peine de creuser la question coloniale et postcoloniale », on laisse la place à un « racisme ordinaire tellement ancré qu’il en devient inconscient » [3].

Si les politiques semblent se soucier peu du débat public quand il touche à la colonisation, refusant ainsi d’établir le lien entre cette question et les conditions d’un « vivre ensemble » satisfaisant, les artistes, quant à eux, se sont saisis du passé colonial pour en faire le matériau de leur création. La publication toute récente du livre collectifCréer en postcolonie : Voix et dissidences belgo-congolaises 2010-2015 a été l’occasion, pour les responsables de l’édition (Demart et Abrassard, éds), de mettre en avant la profusion des créations qui traitent, explicitement ou implicitement, de la question (post-)coloniale. Dans Return to the Postcolony : Specters of Colonialism in Contemporary Art [4], T. J. Demos envisage toute une série d’artistes comme des « conjurers of the “spectral” », des prestidigitateurs du spectral, qui, en revisitant le temps colonial de leurs parents et grands-parents, ouvrent, grâce à de nouvelles configurations expérimentales, les possibilités artistiques à l’affect, à l’imagination, à un autre type de « vérité » tout en investiguant les formes contemporaines du néo-colonialisme.

Nombreux sont les artistes de l’extrême contemporain qui s’emparent du passé colonial belge. Ils et elles sont d’origines diverses et ont des parcours de vie souvent internationaux. Leurs œuvres, romans (Fiston Mwanza Mujila, Marcel-Sylvain Godfroid, In Koli Jean Bofane, Eric Vuillard, José Tshisungu wa Tshisungu, Wilfried N’Sondé, Clémentine Faïk-Nzuji), nouvelles (Joëlle Sambi, Parole Mbengama, Freddy Kabeya, Monique Mbeka Phoba, Bisbish Mumbu, Richard Ali), poésie (Kalvin Soiresse, Laurent Demoulin), romans graphiques et bandes dessinées (Barly Baruti & Christophe Cassiau-Haurie, Jean-Philippe Stassen & Sylvain Venayre, Maryse et François Charles & Frédéric Bihel, Stéphane Miquel & Loïc Godart, Tom Tirabosco & Christian Perrissin, Nicolas Pitz, Hermann & Yves H.), pièces de théâtre (David Van Reybrouck), courts ou longs-métrages relevant de la fiction ou du documentaire (Monique Mbeka Phoba, Sven Augustijnen, Marie-Anne Thunissen, Nathalie Borgers), photographies (Kiripi Katembo, Sammy Baloji, Vincent Meessen), musique (Badi, Baloji, Pitcho), peintures (Mufuki Mukuna, Chéri Chérin, Sammy Baloji), et bien d’autres, relèvent le plus souvent de pratiques intergénériques, intermédiales et interdisciplinaires, qui reflètent leur démarche qui consiste à la fois à défier les images médiatiques et à croiser les mémoires.

Affiche

Dominic Thomas

Dominic Thomas

Dominic Thomas is Madeleine L. Letessier Professor and Chair of the Department of French and Francophone Studies at the University of California, Los Angeles (UCLA). He is a media commentator on European politics on CNN and CGTN, the editor of the Global African Voices fiction in translation series at Indiana University Press, the translator of works by Emmanuel Dongala, Alain Mabanckou, Aimé Césaire, Abdourahman Waberi, and Sony Labou Tansi, and has written,
cowritten, edited or coedited 30 books, including La France noire (2011), Noirs d’encre (2013), L’invention de la race (2014), Francophone Afropean Literatures (2014), Colonial Culture in France since the Revolution (2014), Vers la guerre des identités (2016), The Charlie Hebdo events and their aftermath (2016), Global France, Global French (2017), and The Colonial legacy in France (2017).

Abstract :

Thomas L. Friedman argued that the world was henceforth “flat” and that the leveling of the competitive edge between emerging and industrialized countries was a logical outcome of globalization. African literature has clearly been transformed through its engagement with the concept of globalization while simultaneously becoming globalized, and recent sociological developments have been reflected in a corpus that now exhibits new post-national creative and narrative spaces in Afro-Europe, the United States, and elsewhere. But have these changes resulted in a “flattening” of the literary landscape?

Maurice Amuri Mpala-Lutebele

Docteur en Langue et Littérature Françaises et Professeur Ordinaire à l’Université de Lubumbashi, Maurice Amuri est l’auteur de plusieurs articles et ouvrages dont les plus récents sont : Voix et images de la diversité. Que peut la littérature ? (dir.), Paris, l’Harmattan, 2013 ; La sociocritique : essai d’analyse textuelle. Divergences/Convergences méthodologiques (en col.), Paris, Ed. Publibook, 2013 ; Les sagas dans les littératures francophones et lusophones au XXe siècle (en col.), Bruxelles, PIE Peter Lang, 2013 ; Des symphonies pour la croissance verte. Littérature et dynamiques de l’environnement (dir.), Paris, l’Harmattan, 2014 ; Itinéraires et identités des lettres congolaises. Hommage à Mukala Kadima-Nzuji (dir.), Paris, L’Harmattan, 2015 ; Frantz Fanon, figure emblématique du XXe siècle à l’épreuve du temps, Paris, L’Harmattan, 2016. Il obtenu une Chaire de coopération de l’Université libre de Bruxelles en mars 2017.

Résumé:

La Belgique et la République démocratique du Congo ont vécu leur expérience de la colonisation. Expérience qui, par la suite, a produit des situations et des préoccupations qui n’ont pas manqué d’inspirer les artistes dans leur création. Parmi ceux de l’extrême contemporain, Fiston Mwanza Mujila représente, dans Tram 83, les préoccupations sociopolitiques de « ce [nouveau] monde caractérisé par la coexistence et la négociation des langues et des cultures » (Moura). Ce premier roman de Fiston Mwanza Mujila révèle une écriture qui transgresse, qui déconstruit, qui désacralise… « Un désordre organisé », avoue-t-il luimême. C’est cette forme d’écriture qui nous intéresse. Comment Fiston Mwanza Mujila agence-t-il les éléments de cette représentation ? Par quelles modalités articule-t-il cette figuration de l’histoire, du social ? Comment ce dernier se dit-il à travers la construction du récit par laquelle émerge son écriture ? Nous nous proposons de répondre à ces questions en analysant Tram 83 du point de vue de la narration et de l’énonciation.

Monique Mbeka Phoba

Monique Mbeka Phoba

Monique Mbeka a un parcours atypique. Étudiante en sciences commerciales dans les années 80, elle intègre en bénévole une émission d’actualités et de cultures africaines sur Radio-Campus, la radio de l’ULB. Diverses rencontres déterminantes lui font changer son fusil d’épaule professionnelle et elle se lance dans la réalisation de documentaires. Vingt-cinq ans plus tard, elle en a une dizaine à son actif, régulièrement primés en festivals et diffusés internationalement. La rétrospective complète en a été organisée au Bozar, en février dernier, durant le festival Afropolitan. Parmi ces documentaires, figurait sa première fiction, Soeur Oyo. Ce court-métrage retrace la vision chamboulée du monde d’une petite Congolaise de 10 ans, qui intègre un pensionnat géré par des religieuses belges, dans les années 50. Corrélativement, ce court-métrage lui a inspiré l’idée de mettre en place une masterclass sur le thème du tabou de la colonisation dans le cinéma belge des 40 dernières années. Cette masterclass a remporté un franc succès.

Fiston Mwanza Mujila

Fiston Mwanza Mujila

Né en République démocratique du Congo en 1981, Fiston Mwanza Mujila vit à Graz, en Autriche. Il est titulaire d’une licence en Lettres et Sciences humaines de l’Université de Lubumbashi. Il a écrit des recueils de poèmes, des nouvelles et des pièces de théâtre en français et en allemand. Son roman polyphonique Tram 83, critique néocoloniale acerbe, a reçu de nombreux prix. Finaliste du Prix du roman des Étudiants Télérama (2015), il a obtenu le Grand Prix SGDL du 1er roman (2014) et le Grand Prix des Associations Littéraires, catégorie Belles-Lettres (Afrique) (2015) et le Prix Etisalat de littérature (2016).

Barly Baruti

Barly Baruti

Barly Baruti est né à Kisangani en République Démocratique du Congo dans une famille de peintres. À partir de 1980, il participe à des animations d’ateliers graphiques et des stages de BD. Il collabore de 1985 à 1992 avec la Radio Télévision Nationale Congolaise (RTNC) et depuis 1991 avec le C.B.B.D. (Centre Belge de la Bande Dessinée). Sa rencontre avec Frank Giroud lui permet de publier Eva K en 1995 aux éditions Soleil. À partir de 1998, il anime Mandrill aux éditions Glénat, toujours avec Frank Giroud au scénario. Très dynamique, il cherche à faire connaître la BD en Afrique en organisant le premier salon Afro BD à Kinshasa. Après la belle réussite de Mme Livingstone (Glénat), rencontre de deux hommes et deux mémoires pendant la première guerre mondiale, il signe en 2016 avec Thierry Bellefroid Chaos debout à Kinshasa. Ce dernier suit un petit voyou de Harlem parti assister au « combat du siècle » entre Mohammed Ali et George Foreman, à Kinshasa.

Laurent Demoulin

Laurent Demoulin est un romancier, poète et chargé de plusieurs cours de littérature à l’Université de Liège. Il a contribué à plusieurs revues telles que Textyles, Le Fram et La Clinique Lacanienne. Il fait également partie du comité éditorial de la collection Espace Nord. Son ouvrage Ulysse Lumumba transpose le mythe grec en un fait historique, revenant sur la blessure du peuple congolais devant l’assassinat de son premier ministre qu’il fait ici revivre sous la plume d’un Belge tourmenté par la violence du passé de son pays. OEuvre décolonisante, ce long poème cherche à affronter les spectres coloniaux, mais aussi à rapprocher deux communautés.

[1] Return to the Postcolony : Spectres of Colonialism in Contemporary Art, Berlin, Sternberg Press, 2013.
[2] Goddeeris, I. (2015). « Postcolonial Belgium : the Memory of the Congo », Interventions : International Journal of Postcolonial Studies, 17 (3), 2015, 434-451.
[3] Les propos de l’anthropologue sont rapportés dans l’article d’Elodie Blogie : « La Révolte des jeunes Belges de la diaspora africaine », Le Soir, 7 octobre 2016, accessible en ligne pour les abonnés : http://plus.lesoir.be/62912/article/2016-10-07/la-revolte-des-jeunes-belges-de-la-diaspora-africaine, consulté le 10 octobre 2016.
[4Op. cit.